Peau et affections du tube digestif

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Maladies inflammatoires chroniques de l’intestin :

Les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI) sont des affections évoluant par poussées et touchant avec prédilection les adolescents et les adultes jeunes.

Elles comprennent deux entités distinctes, la rectocolite hémorragique (RCH) et la maladie de Crohn (MC).

Peau et affections du tube digestifLes manifestations cutanéomuqueuses et ostéoarticulaires sont les plus fréquentes des atteintes extradigestives de ces MICI.

Les lésions dermatologiques que l’on peut observer sont très variées.

Dans certains cas, elles apparaissent au cours d’une MICI connue, alors que dans d’autres elles précèdent ou accompagnent les manifestations digestives, permettant le diagnostic d’une affection intestinale parfois cliniquement latente.

La fréquence des manifestations cutanéomuqueuses est très variable selon les séries, avec des extrêmes très éloignés : 2 à 85%.

Dans une étude prospective menée sur 100 patients, nous avons constaté lors de l’examen systématique que 65 % de ceux atteints de MC et 37 % de ceux avec une RCH présentaient des lésions cutanéomuqueuses en rapport avec leur maladie.

La classification qui prend en compte les circonstances de survenue de celles-ci nous paraît être la plus adaptée, même si elle est plus orientée sur la MC :

– de nombreuses manifestations sont dites « réactionnelles » bien qu’elles n’évoluent pas toujours parallèlement aux poussées digestives ;

– les lésions granulomateuses spécifiques de la MC sont définies par l’image histologique de granulome gigantocellulaire ; elles ne sont que très rarement corrélées à l’activité de la maladie digestive ;

– certaines manifestations, exceptionnelles au cours des RCH, sont liées aux diverses carences en rapport avec le syndrome de malabsorption ;

– enfin, il existe des dermatoses, souvent à déterminisme autoimmun, qui ne peuvent être classées dans les trois catégories précédentes ; la valeur de leur association à la maladie digestive est très variable d’une affection à l’autre. étude prospective menée sur 100 patients, nous avons constaté lors de l’examen systématique que 65 % de ceux atteints de MC et 37 % de ceux avec une RCH présentaient des lésions cutanéomuqueuses en rapport avec leur maladie.

La classification qui prend en compte les circonstances de survenue de celles-ci nous paraît être la plus adaptée, même si elle est plus orientée sur la MC :

– de nombreuses manifestations sont dites « réactionnelles » bien qu’elles n’évoluent pas toujours parallèlement aux poussées digestives ;

– les lésions granulomateuses spécifiques de la MC sont définies par l’image histologique de granulome gigantocellulaire ; elles ne sont que très rarement corrélées à l’activité de la maladie digestive ;

– certaines manifestations, exceptionnelles au cours des RCH, sont liées aux diverses carences en rapport avec le syndrome de malabsorption ;

– enfin, il existe des dermatoses, souvent à déterminisme autoimmun, qui ne peuvent être classées dans les trois catégories précédentes ; la valeur de leur association à la maladie digestive est très variable d’une affection à l’autre.

A – DERMATOSES RÉACTIONNELLES :

1- Aphtose buccale :

Sa prévalence au cours des MICI est considérée par certains comme peu différente de celle notée dans la population générale, soit 5 %.

Dans notre étude prospective, l’existence d’aphtes était notée dans plus de 30 % des cas. Une prévalence aux environs de 20 %, comme déjà rapportée dans certaines séries de la littérature, nous semble correspondre plus à la réalité.

Sur le plan clinique, il s’agit le plus souvent d’aphtes communs. Parfois, dans les MC, on observe une aphtose miliaire, des aphtes à tendance extensive ou des aphtes bipolaires.

La relation avec l’évolutivité de la MICI est loin d’être constante (ce parallélisme n’était noté que chez 10 % des malades de notre étude).

Les aphtes peuvent également précéder les manifestations digestives, aussi doit-on vérifier, devant toute aphtose récidivante, l’absence de tendance diarrhéique, de lésion périanale, de déficit en acide folique, fer ou vitamine B12 en rapport avec une malabsorption, et pratiquer au moindre doute une exploration digestive, surtout s’il existe une notion d’antécédent familial de MICI.

Les lésions aphtoïdes chroniques doivent faire évoquer la possibilité de lésions spécifiques.

Les aphtes de grande taille, douloureux, peuvent être traités par colchicine (généralement bien tolérée malgré la MICI), dapsone ou thalidomide.

La pentoxifylline peut parfois être utile dans cette indication.

2- Érythème noueux :

Sa prédominance féminine est nette.

Depuis l’utilisation de critères plus précis de diagnostic différentiel entre les deux MICI, l’érythème noueux (EN) est une manifestation considérée comme plus fréquente au cours des MC.

L’incidence est cependant très variable d’une série à l’autre, allant de 2 à 15% pour les MC et de 0,5 à 9 % pour les RCH.

Parfois récidivant, avec un intervalle entre les poussées variant de quelques semaines à quelques années, l’EN survient souvent pendant la première année d’évolution d’une MICI déjà diagnostiquée.

Il est le plus souvent typique mais il peut aussi présenter quelques particularités, surtout au cours des MC : peu d’éléments, atteinte unilatérale, localisation à la face postérieure des jambes et aux membres supérieurs.

Non corrélé à la sévérité de la MICI mais parfois à la topographie colique pour la MC, il survient généralement en période d’activité de la maladie.

Il s’agit parfois d’une poussée inaugurale et l’existence de manifestations digestives au cours d’un EN doit amener à chercher systématiquement une MICI dès lors qu’une infection intestinale (yersiniose, salmonellose, shigellose, infection à Campylobacter…) a été éliminée. Plus rarement, l’EN peut évoluer indépendamment des signes digestifs et même les précéder, mais une exploration intestinale systématique, en l’absence de signes d’appel, apparaît discutable dans la mesure où les MICI ne représentent qu’un faible pourcentage des étiologies des EN.

Le repos associé au traitement de la poussée digestive entraîne souvent la régression des lésions cutanées, mais il est parfois nécessaire de recourir aux anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) en cure courte, sous réserve de l’avis du gastroentérologue, ou à la colchicine.

En seconde intention, l’iodure de potassium peut également être prescrit, bien qu’il s’agisse d’un traitement ancien non validé.

3- Dermatoses neutrophiliques :

* Pyoderma gangrenosum :

Il complique 2 à 5% des MICI, avec une égale fréquence pour la RCH et la MC dont l’atteinte est plutôt colique ou iléocolique.

À l’inverse, les MICI représentent la première étiologie de pyoderma gangrenosum (PG) (20 à 30 % des cas).

Les lésions sont uniques ou multiples, récidivent dans un tiers des cas et sont parfois accompagnées d’ulcérations aphtoïdes endobuccales assimilées à un PG muqueux.

Le PG apparaît habituellement après une dizaine d’années d’évolution de la MICI, le plus souvent mais non constamment au cours d’une de ses poussées.

Il peut cependant précéder la symptomatologie intestinale ce qui justifie, en l’absence d’étiologie hématologique ou rhumatologique, l’exploration digestive systématique de tout malade avec PG, surtout s’il s’agit d’une forme récidivante et a fortiori s’il existe des signes d’appels digestifs.

La localisation péristomale est rare.

Il s’agit essentiellement de malades atteints de MC avec iléostomie.

Ce type de PG, favorisé par les diverses agressions auxquelles est soumise la peau péristomale, apparaît en moyenne 2 mois après la réalisation de la stomie, mais des périodes plus longues allant jusqu’à 3 ans ont été observées.

Le PG ne répond pas toujours au traitement de la MICI.

Les corticoïdes sont souvent nécessaires. La sulfasalazine, la minocycline et les immunosuppresseurs dont la ciclosporine représentent des alternatives thérapeutiques possibles.

* Syndrome de Sweet :

L’association à la RCH a été mentionnée dès la description de cette dermatose neutrophilique.

L’association à la MC est de connaissance plus récente et, depuis quelques années, plusieurs cas ont été rapportés.

Sans tendance à la récidive, l’éruption cutanée est habituellement typique, tant sur le plan de la topographie des lésions que de leur aspect : celles-ci sont volontiers pustuleuses et il n’y a pas de forme bulleuse ou nécrotique comme dans les syndromes de Sweet (SS) associés aux hémopathies.

Lorsque le SS apparaît, la MICI n’est pas toujours connue mais elle est le plus souvent en poussée, incitant comme pour l’EN à réaliser une exploration digestive systématique dès lors qu’une cause infectieuse (yersiniose, salmonellose en particulier) a été éliminée. Plusieurs observations de SS révélateurs de MICI ont ainsi été rapportées.

Dans les formes sévères, la corticothérapie générale est le traitement de choix.

Les AINS (indométacine) et la colchicine peuvent également être utilisés.

* Autres dermatoses neutrophiliques :

La pustulose sous-cornée de Sneddon-Wilkinson, l’erythema elevatum diutinum ou la pustulose à immunoglobuline A (IgA) intraépidermique ont également été observés au cours des deux types de MICI.

Bien que le parallélisme évolutif entre les manifestations cutanées et digestives n’ait pas été toujours constaté, ces associations à caractère exceptionnel ne sont certainement pas fortuites.

* Syndrome arthrocutané lié aux MICI :

Rare mais non exceptionnel, il est plutôt observé au cours de la RCH.

Cette préférence d’association ne paraît cependant pas évidente dans notre expérience où plusieurs patients étaient atteints de MC.

Parfois révélatrice et évoluant parallèlement à l’affection digestive, l’éruption est faite de pustules non folliculaires, reposant sur une base érythémateuse, d’une taille variant entre 2 et 8 mm de diamètre et siégeant principalement sur la face externe des membres supérieurs, la face inférieure des jambes mais aussi le tronc, voire le cuir chevelu.

Des éléments à type d’EN peuvent être associés de même que des manifestations systémiques : fièvre, myalgies, polyarthralgies, arthrites périphériques, conjonctivite.

L’histologie associe des signes de pustulose sous-cornée et de SS sans nécrose fibrinoïde des vaisseaux.

Rapportée dans la littérature sous d’autres appellations (éruption vésiculopustuleuse de la RCH, vasculite pustuleuse), cette entité est identique au syndrome du court-circuit digestif, complication classique des dérivations jéjunoiléales pratiquées dans le passé pour traiter l’obésité.

Le diagnostic différentiel se pose avec les manifestions cutanées des septicémies, la maladie de Behçet en raison de l’aspect de pseudofolliculite, le SS et le PG vis-à-vis desquels le problème est surtout nosologique.

En effet, chez certains malades coexistent des lésions pustuleuses et des éléments de plus grande taille, évocateurs de l’une ou l’autre de ces deux dermatoses neutrophiliques.

Dans leur description princeps de ce syndrome lié aux maladies digestives, Jorizzo et al avaient insisté sur l’aspect de l’éruption proche du SS.

Très récemment, du fait de la mise en évidence d’anticorps anticytoplasme des polynucléaires neutrophiles (ANCA) dans une observation, il a été suggéré que l’éruption vésiculopustuleuse de la RCH pourrait être une variante du SS.

Pour d’autres cependant, l’interprétation de cette éruption est différente : considérée pendant longtemps comme des éléments abortifs ou débutants de PG, elle correspondrait en fait à la forme pustuleuse du PG qui doit être individualisée à côté des formes ulcérées, bulleuses ou superficielles.

Le traitement est bien sûr celui de la MICI et repose plus souvent, en phase aiguë, sur la corticothérapie générale que sur la sulfasalazine ou la mésalazine.

Les antibiotiques (cyclines, sulfaméthoxazole-triméthoprime, métronidazole) actifs sur la pullulation bactérienne intestinale peuvent être efficaces.

* Pyostomatite-pyodermite végétante :

Affection rare dont seulement quelques dizaines d’observations ont été rapportées, c’est un marqueur de haute spécificité des MICI.

Cliniquement, l’image caractéristique est celle de pustules qui, par coalescence, donnent l’apparence de « traces d’escargots » disposées sur les gencives, la face interne des joues, les lèvres et le palais.

La langue et le plancher buccal sont respectés.

Ces lésions indolores sont facilement rompues et font place à des érosions à tendance végétante.

Les localisations génitales sont possibles, mais exceptionnelles.

Dans la moitié des cas, il existe une atteinte pustuleuse et végétante cutanée pouvant retarder le diagnostic si elle survient avant les lésions muqueuses.

Histologiquement, les pustules sont intra- et/ou sous-épithéliales et contiennent des éosinophiles, mais surtout des neutrophiles.

L’acantholyse est inconstante et, quand elle existe, elle est uniquement focale, tant au niveau de la peau que de la cavité buccale.

Dans certaines observations, une immunofluorescence directe (IFD) faible, non spécifique, est observée.

Les cas dans lesquels l’IFD est positive correspondent probablement à des pemphigus végétants.

* Abcès aseptiques :

De façon exceptionnelle, des abcès sous-cutanés aseptiques, correspondant vraisemblablement à des formes profondes de SS, ont été rapportés au cours de MC et de RCH.

Par ailleurs, des abcès viscéraux peuvent également s’observer au cours de MC qu’ils peuvent révéler, voire précéder de plusieurs mois.

Il s’agit préférentiellement d’abcès spléniques hépatiques ou ganglionnaires.

4- Vasculites :

Rares au cours des MICI, elles peuvent être de plusieurs types.

Les vasculites leucocytoclasiques superficielles avec ou sans IgA surviennent généralement au cours des poussées de la maladie digestive, plutôt de type RCH.

Les vasculites granulomateuses profondes se manifestent par des nodules sous-cutanés inflammatoires, des lésions purpuriques et livédoïdes avec myalgies, arthralgies, neuropathie périphérique, et sont rapportées sous l’appellation « périartérite noueuse cutanée ».

Survenant au cours de MICI anciennes, essentiellement des MC, et évoluant indépendamment de l’atteinte digestive, ces vasculites posent le problème des formes frontières avec la MC « métastatique ».

Dans certains cas, on peut également observer des tableaux d’hypodermite chronique ulcérée (HCU) survenant au cours de MC, indépendamment de l’atteinte digestive et pouvant même la précéder.

Bien qu’exceptionnellement signalée et non répertoriée parmi les manifestations classiquement associées à la MC, l’HCU n’est pas rare en pratique.

Il s’agit de nodules inflammatoires profonds, confluant parfois en « placards » et évoluant vers l’ulcération.

Ils siègent préférentiellement sur les faces antérieures et/ou postérieures des jambes et sont d’évolution chronique.

L’histologie, non spécifique, doit être réalisée pour éliminer une MC « métastatique ».

La corticothérapie générale et la Disulonet sont les traitements le plus régulièrement efficaces.

5- Érythème polymorphe :

Les quelques observations qui ont été rapportées sont anciennes et peu documentées. Dans certaines, la responsabilité d’une prise médicamenteuse, en particulier de la sulfasalazine, apparaît probable.

Dans d’autres se pose le problème de l’existence de SS à type d’érythème polymorphe (EP).

B – LÉSIONS GRANULOMATEUSES SPÉCIFIQUES :

Celles-ci ne concernent que la MC et sont définies par un aspect histologique identique à celui trouvé au niveau intestinal.

Lorsque l’atteinte concerne la région anopérinéale ou la sphère orofaciale, il s’agit de lésions par contiguïté.

Lorsqu’elles surviennent à distance du tube digestif, les lésions sont dites « métastatiques ».

1- Lésions anopérinéales :

Ce sont les plus fréquentes des manifestations cutanéomuqueuses de la MC puisque observées dans 35 à 40 % des cas, surtout en cas d’atteinte colique.

Elles précèdent les signes digestifs dans 8 à 30 % des cas, généralement de quelques mois, parfois de quelques années.

Les aspects cliniques sont très variés : fissures périanales plus larges que les fissures banales, lésions végétantes pseudotumorales à type de marisques oedémateuses ou de condylomes, ulcérations linéaires et profondes en « coup de couteau », ulcérations creusantes pouvant entraîner une destruction du sphincter anal, abcès se compliquant de fistules anales, périnéales ou rectovaginales.

L’évolution de ces lésions est marquée par des successions de poussées et de rémissions, généralement indépendantes de l’activité intestinale de la MC.

Ces tableaux de suppuration périnéofessière chez des patients atteints de MC ne correspondent cependant pas toujours à des lésions spécifiques.

Il peut s’agir d’authentiques maladies de Verneuil et plusieurs observations ont été rapportées dans la littérature.

Le caractère superficiel des lésions, l’absence de communication avec le canal anal, l’atteinte des aisselles, l’absence de récidive après traitement chirurgical représentent des arguments solides pour admettre qu’il s’agit bien de lésions d’hidrosadénite suppurative.

L’association à la MC ne paraît cependant pas fortuite, comme en témoigne l’existence de plusieurs cas d’hidrosadénite chez des parents du premier degré de patients atteints de MC, laissant ainsi penser qu’il pourrait exister un facteur génétique commun aux deux affections.

2- Lésions génitales :

Elles s’observent en général chez des patients dont la MC (en règle colique et/ou rectale) est connue depuis plusieurs années.

Pouvant dans certains cas précéder les manifestations intestinales, ces atteintes génitales sont parfois isolées, mais sont plus souvent intégrées dans des atteintes anopérinéales.

Chez la femme, le diagnostic doit être évoqué en présence d’ulcérations linéaires vulvaires en « coup de couteau » ou d’un oedème labial induré douloureux, souvent asymétrique.

Les localisations masculines sont exceptionnelles et se présentent sous la forme d’oedème scrotal et/ou pénien, de phimosis serré acquis, d’ulcérations chancriformes ou linéaires caractéristiques.

3- Lésions orofaciales :

Plusieurs aspects cliniques peuvent être rencontrés :

– des ulcérations linéaires à bords hyperplasiques des sillons gingivojugaux ;

– des ulcérations de présentation trompeuse car prenant l’aspect d’aphtes ;

– des lésions polypoïdes de la muqueuse vestibulaire ou jugale ;

– une hyperplasie oedémateuse et fissurée de la face interne des joues, des lèvres, réalisant un aspect en « pavé » (cobblestone), proche de celui observé sur la muqueuse intestinale ;

– une chéilite granulomateuse qui se manifeste par un oedème induré d’une ou deux lèvres, épisodique au début, puis permanent.

L’atteinte labiale est habituellement asymétrique, fissuraire, et s’accompagne d’une chéilite angulaire.

Les biopsies profondes avec réalisation de nombreux plans de coupe sont nécessaires pour mettre en évidence les petits granulomes spécifiques.

En l’absence d’arguments pour une sarcoïdose, il faut réaliser un bilan digestif au moindre signe d’appel, car cette chéilite granulomateuse est souvent précoce et peut précéder de plusieurs années les manifestations intestinales.

4- Lésions cutanées :

Elles sont rares et extrêmement trompeuses car d’un grand polymorphisme clinique.

Des présentations très inhabituelles à type d’érythème facial, de nodules acnéiformes, de pseudoérysipèle, d’intertrigo, ont été rapportées.

Des lésions nodulaires ou des plaques érythémateuses indurées, parfois ulcérées, sont peut-être plus évocatrices chez ces patients dont la MC est en règle connue depuis de nombreuses années, mais habituellement quiescente.

Les localisations métastatiques inaugurales sont exceptionnelles.

Il ne faut donc pas hésiter à biopsier systématiquement toute manifestation dermatologique inhabituelle au cours d’une MC.

Le traitement des lésions spécifiques de MC est souvent difficile et n’est pas codifié.

Peuvent être proposés : corticoïdes (intralésionnels, topiques ou per os), antibiotiques (métronidazole, cyclines, nouveaux macrolides), sulfasalazine, immunosuppresseurs (azathioprine, méthotrexate et ciclosporine), immunomodulateurs (anticorps anti-tumor necrosis factor [TNF]), voire excision chirurgicale en cas de lésion unique de petite taille, en sachant qu’il existe un risque théorique de récidive.

C – MANIFESTATIONS CARENTIELLES :

Exceptionnelles au cours des RCH, elles sont en rapport avec le syndrome de malabsorption.

Les carences sont globales ou sélectives (vitamines, folates, fer, protides, surtout acides gras essentiels [AGE] et zinc…) et sont à l’origine de troubles pigmentaires, de pellagre, d’atteinte muqueuse (glossite, chéilite angulaire), de troubles des phanères, de xérodermie, de placards ecchymotiques en rapport avec un scorbut, d’état ichtyosiforme, d’hyperkératose folliculaire, d’éruption eczématiforme…

Une hypozincémie, liée à la malabsorption mais également à la réduction des apports et à l’augmentation des pertes digestives, est extrêmement fréquente puisque notée dans 35 à 45 % des MC.

Les signes cutanés liés à cette carence ne sont cependant pas très fréquents.

À côté du tableau classique mais très rarement observé à type d’acrodermatite entéropathique, existent des formes trompeuses car survenant en phase de quiescence de la maladie digestive et restant localisées comme un intertrigo de la région génitale, une vulvite oedémateuse et suintante, un érythème douloureux scrotal ou un eczéma craquelé.

Il ne faut pas hésiter à prescrire un traitement d’épreuve en doublant la dose usuelle du fait de la malabsorption.

D – AUTRES MANIFESTATIONS :

Il s’agit essentiellement de maladies auto-immunes qui sont des entités bien individualisées, n’évoluant pas parallèlement aux poussées digestives, deux raisons pour lesquelles elles sont considérées comme associées et non réactionnelles.

1- Épidermolyse bulleuse acquise :

Elle est, dans 30 % des cas, associée à une MICI, principalement une MC.

Il s’agit toujours de formes classiques non inflammatoires qui ne sont pas aggravées lors des phases d’évolutivité de la maladie digestive.

Inversement, lorsque celle-ci est en période de rémission, on constate une persistance de la fragilité tégumentaire.

Ces manifestations apparaissent chez des patients dont la MICI est déjà connue, mais elles peuvent aussi la précéder, parfois de plusieurs années, ce qui justifie la réalisation d’un bilan digestif chez tout patient atteint d’épidermolyse bulleuse acquise (EBA).

2- Autres types de maladies bulleuses auto-immunes observés au cours des MICI :

Il s’agit principalement de RCH et ces associations représentent des arguments en faveur de l’origine auto-immune de cette affection.

Les pemphigus rapportés sont principalement de type vulgaire.

La pemphigoïde pose en théorie un problème de diagnostic différentiel avec l’EBA inflammatoire, mais celle-ci n’est pas associée aux MICI.

La dermatite herpétiforme (DH) est favorisée par l’altération de la barrière digestive, mais il est étonnant de constater que l’association à la MC n’a jamais été rapportée.

En revanche, la dermatose à IgA linéaire a été observée dans les deux types de MICI.

3- Autres affections auto-immunes non bulleuses rapportées de manière très ponctuelle :

Ce sont le vitiligo, la pelade, le lupus érythémateux, la sclérodermie, le lichen, la polychondrite, le syndrome de Gougerot-Sjögren…

4- Hippocratisme digital :

Il apparaît fréquent au cours des MICI.

Dans certaines séries, il aurait été remarqué dans 30 % des MC et 5 à 10%des RCH.

Dans notre étude prospective, nous n’avons approché ces chiffres que chez les malades atteints de MC : 20 % d’entre eux étaient porteurs de cette anomalie unguéale.

5- Psoriasis :

Il est plus souvent rencontré chez les malades atteints de MICI que dans la population générale, avec une prévalence variant entre 5,7 et 7,5 % pour les RCH, 7 et 11,2 % pour la MC.

Il s’agit de psoriasis vulgaires qui n’évoluent pas de façon parallèle aux poussées digestives.

Cette dermatose est aussi plus fréquente dans les familles de patients atteints de MICI.

Ces données statistiques ainsi que l’existence indiscutable de syndromes de chevauchement (spondylarthropathie, syndrome synovite-acné-pustulosehyperostose- ostéite [SAPHO] et psoriasis) pourraient être expliquées par des facteurs génétiques communs.

Infections bactériennes du tube digestif :

A – YERSINIOSES ET SALMONELLOSES :

Ces deux infections ont en commun le fait de pouvoir donner des manifestations cutanées réactionnelles qui peuvent parfois être révélatrices : EN, SS et EP.

1- Érythème noueux :

Il est rarement rapporté en association avec les salmonelloses, mais s’observe dans 10 à 30 % des cas de yersinioses au cours desquelles il concerne principalement les femmes (3/1).

Il s’observe plus rarement chez les enfants. Il survient brutalement, précédé dans plus de la moitié des cas par une symptomatologie digestive.

Le tableau clinique est en règle typique, mais quelques particularités sont parfois notées : nouures très inflammatoires, atteinte des quatre membres comme dans les MICI, association à des lésions d’EP.

En l’absence d’arguments en faveur des autres étiologies classiques d’EN, le diagnostic repose sur l’isolement de la bactérie (hémocultures, coprocultures) et la sérologie.

2- Syndrome de Sweet :

Il est associé, dans 20 à 50 % des cas, à une pathologie sous-jacente qu’il peut révéler.

Les infections du tube digestif ne représentent pas une étiologie fréquente du SS, mais quelques observations ont été rapportées avec Yersinia enterocolitica et Salmonella typhimurium.

La symptomatologie digestive précède ou accompagne les signes cutanés, mais peut manquer.

Concernant les cas de yersinioses, l’isolement de la bactérie dans les selles est inconstant, mais le sérodiagnostic est toujours positif.

3- Érythème polymorphe :

Il peut survenir en association avec de très nombreuses infections, parmi lesquelles yersinioses et salmonelloses.

Les observations sont cependant très rares et la relation entre les deux affections n’est pas toujours évidente.

4- Autres manifestations :

En dehors de ces trois dermatoses réactionnelles, d’autres manifestations cutanées peuvent également s’observer :

– dermohypodermite des membres inférieurs mimant un érysipèle ou une vasculite type périartérite noueuse cutanée dans les yersinioses ;

– taches rosées lenticulaires souvent profuses à type de roséole dont la fréquence est estimée entre 15 et 30 %, qui survient habituellement après une antibiothérapie instituée d’emblée à dose totale dans les salmonelloses.

B – MALADIE DE WHIPPLE :

C’est une maladie systémique d’étiologie infectieuse, à déterminisme intestinal et articulaire prédominant.

La bactérie responsable, Tropheryma whippelii, est apparentée aux actinobactéries mais le(s) mode(s) de contamination reste(nt) obscur(s).

Le polymorphisme des formes extradigestives (pleuropulmonaires, cardiovasculaires, neuropsychiatriques, hépatiques, oculaires… et cutanées) explique les retards diagnostiques fréquents.

Il faut évoquer ce diagnostic devant une éruption lichénoïde récidivante ou un tableau d’érythrodermie dont l’histologie peut en imposer pour une sarcoïdose, des nodules sous-cutanés spécifiques ou un EN.

Une hyperpigmentation brun grisâtre des zones exposées et des cicatrices, probablement d’étiologie carentielle par malabsorption, est notée dans près de la moitié des cas.

L’antibiothérapie prolongée par triméthoprime-sulfaméthoxasole ou cyclines est le traitement de la maladie de Whipple.

C – INFECTIONS À « HELICOBACTER PYLORI » :

Cette bactérie dont le rôle pathogène dans l’ulcère duodénal, la gastrite chronique et peut-être aussi l’ulcère gastrique est bien démontré, a été incriminée dans la survenue de nombreuses manifestations cutanées : rosacée papulopustuleuse, urticaire chronique, psoriasis, purpura rhumatoïde, phénomène de Raynaud et SS.

Cependant, au vu des publications, parfois contradictoires, il est impossible actuellement d’affirmer la relation entre ces diverses dermatoses et H. pylori.

Syndrome de malabsorption :

De causes variées, le syndrome de malabsorption associe une diarrhée et un syndrome carentiel plus ou moins complet (protides, vitamines, oligoéléments…), responsable de nombreux signes peu spécifiques : xérose, pigmentation, atteinte de la muqueuse buccale (stomatite, glossite, chéilite, aphtes), koïlonychie, chute des cheveux…

À côté de ces signes divers, des tableaux cliniques plus évocateurs d’une étiologie particulière peuvent être observés, c’est le cas des carences en zinc et en AGE, et de la DH.

A – CARENCES EN ZINC :

Le déficit en zinc s’observe également au cours des pancréatites chroniques et surtout des cirrhoses alcooliques.

On constate des lésions érythématosquameuses de siège péribuccal, palpébral, périnarinaire, génital et périanal où l’évolution est souvent érosive, avec extension à la face interne des cuisses et à la région sacrofessière.

Des placards eczématiformes ou psoriasiformes des membres sont parfois associés.

Dans les formes sévères, on observe souvent des lésions bulleuses ou nécrotiques superficielles d’évolution centrifuge, réalisant des aspects serpigineux et circinés comparables à ceux observés dans l’érythème nécrolytique migrateur du syndrome du glucagonome.

Les manifestations muqueuses (stomatite, glossite, perlèche, conjonctivite parfois) sont très fréquentes et d’un grand intérêt diagnostique dans les formes mineures que l’on observe au cours de la MC.

Le zinc plasmatique ne représentant que 1 % du pool zincique, la zincémie n’est indicative de carence que si elle est nettement abaissée.

Le seul critère formel de diagnostic est la réponse spectaculaire au traitement spécifique administré per os dans les formes mineures (Rubozinct) ou par voie intraveineuse (zinc injectable Aguettantt) en cas de déficit sévère.

B – CARENCES EN ACIDES GRAS ESSENTIELS :

Elles sont rarement isolées.

Le plus souvent, il s’agit de polycarences qui surviennent dans un contexte de malnutrition (alcoolisme, cancer évolué), de malabsorption sévère (résection intestinale) ou au cours des alimentations parentérales déséquilibrées.

Le tableau clinique est peu spécifique et évoque volontiers une dermite microbienne ou séborrhéique avec des lésions érythématosquameuses des grands plis, du visage, du cuir chevelu ou parfois généralisées.

La peau est sèche, à tendance atrophique, et des aspects ichtyosiformes ou d’eczéma craquelé, du purpura par fragilité capillaire peuvent être notés.

Les atteintes périorificielles sont parfois constatées et soulèvent la question du diagnostic différentiel et/ou de l’association possible avec une carence en zinc. Le diagnostic repose sur le dosage des AGE.

Selon l’importance de la carence, le traitement consiste en des applications de topiques à base d’huile d’onagre ou de bourrache, en une supplémentation orale (Eltéanst, Bionagrolt, Maxepat…) ou intraveineuse (Intralipidet).

C – DERMATITE HERPÉTIFORME :

La DH représente l’expression cutanée de l’entéropathie au gluten ou maladie coeliaque constamment associée, mais le plus souvent infraclinique.

À l’inverse, la DH ne s’observe que dans 3 à 5% des cas de maladie coeliaque.

La DH est une dermatose inflammatoire chronique qui touche surtout les adultes entre 20 et 40 ans. Elle est caractérisée par une éruption prurigineuse composée d’éléments papulovésiculeux souvent groupés en petits placards.

L’éruption est symétrique et prédomine sur les faces d’extension des membres et les fesses. Histologiquement, l’image typique est celle de microabcès, composés de neutrophiles et à un moindre titre d’éosinophiles, situés au sommet des papilles dermiques et responsables d’un clivage dermoépidermique.

L’IFD révèle des dépôts granulaires d’Ig caractéristiques (IgA le plus souvent) prédominant au sommet des papilles dermiques.

On ne sait toujours pas si ces anticorps sont dirigés contre une structure antigénique de la jonction dermoépidermique ou s’il s’agit de complexes immuns à IgA provenant de la muqueuse intestinale et captés dans la peau.

La recherche d’anticorps « antipeau » circulants est négative.

En revanche, des anticorps sériques antiendomysium de type IgA ainsi que antigliadine et antiréticuline de types IgG et IgA sont souvent trouvés et sont, surtout pour les premiers, un bon reflet de la sévérité de l’atteinte intestinale (atrophie villositaire).

Dans la maladie coeliaque, l’autoantigène endomysial correspond à la transglutaminase tissulaire (TT).

Les malades présentant une DH ont des IgA anti-TT qui sont corrélés à la sévérité de l’entéropathie sous-jacente et disparaissent sous régime sans gluten (RSG).

L’incidence familiale (jusque 10 %) illustre bien l’importance des facteurs génétiques dans la DH dans laquelle on trouve, comme dans la maladie coeliaque, une fréquence élevée de certains antigènes (human leucocyte antigen) HLA : B8, DR3, DQW2, et plus particulièrement les allèles DQA1*0501 et B1*0201.

La physiopathologie de la DH reste obscure, mais la participation des éosinophiles à la constitution des lésions cutanées et digestives a été montrée.

La dapsone (Disulonet) permet le plus souvent d’obtenir rapidement la disparition du prurit et l’amélioration des lésions cutanées.

Néanmoins, c’est le RSG qui constitue la base du traitement et doit être institué à vie.

Celui-ci est en pratique quasi impossible à respecter strictement au long cours.

Cependant, même suivi partiellement, il permet le contrôle biologique, mais surtout clinique et histologique, des manifestations cutanées et digestives, la diminution de la dose, voire l’arrêt de la dapsone, et, enfin, il prévient l’apparition des lymphomes intestinaux.

Ces derniers ont été observés avec une fréquence de 1 à 3% dans des études rétrospectives chez des malades ne suivant aucun régime.

D’autres manifestations cutanées ont été exceptionnellement décrites au cours de la maladie coeliaque.

Il s’agit de purpura par vasculite, d’érythème nécrolytique migrateur (syndrome du pseudoglucagonome) et d’erythema elevatum diutinum.

Manifestations cutanées des polyposes digestives :

Rapportée au cours des années 1980 dans plusieurs études à la méthodologie critiquable, la corrélation entre l’existence d’un nombre anormal de molluscum pendulum et la présence de polypes coliques n’a en fait jamais été confirmée.

En revanche, plusieurs syndromes rentrant dans le cadre des polyposes digestives et évoluant fréquemment dans un contexte familial comportent des lésions cutanées et/ou muqueuses d’autant plus importantes à connaître qu’elles sont parfois, et pendant de nombreuses années, les seuls marqueurs de l’atteinte digestive totalement asymptomatique.

En raison des risques évolutifs potentiels, dominés par la transformation maligne dans certains cas, le dépistage précoce de ces polyposes est essentiel.

A – SYNDROME DE GARDNER :

C’est l’expression la plus complète de la plus fréquente des polyposes héréditaires, la polypose adénomateuse familiale (PAF) qui touche de 1/8 000 à 1/16 000 individus.

À l’atteinte rectocolique qui apparaît au moment de la puberté, sont en effet associées des lésions cutanées, osseuses et oculaires.

De transmission autosomique dominante avec une pénétrance de plus de 90 % et une expressivité variable, le syndrome de Gardner est lié à la présence d’une mutation sur le gène APC (adenomatous polyposis coli) situé sur le bras long du chromosome 5q.

C’est généralement dans l’enfance, entre 4 et 10 ans, que se développent les kystes épidermoïdes, plus souvent sur le visage, le cuir chevelu et les extrémités que sur le tronc.

Habituellement multiples, ils sont présents chez la plupart des malades.

Des lipomes sont également fréquemment notés.

Plus rares sont les fibromes, les tumeurs desmoïdes, localisées en général sur les cicatrices de laparotomie, ainsi que les fibromatoses mésentériques ou rétropéritonéales.

Enfin, les pilomatricomes, lorsqu’ils sont multiples et familiaux, pourraient être un marqueur du syndrome. Dans un contexte familial, mais même parfois en dehors de celui-ci puisqu’une mutation génétique de novo est possible, l’existence de ces lésions dermatologiques doit faire rechercher cliniquement et radiologiquement des ostéomes, présents chez plus de 75 % des patients, parfois déjà à la puberté.

Généralement petits et multiples, ils siègent préférentiellement sur les maxillaires, le sphénoïde et à un degré moindre les os longs.

Des malformations dentaires (dents incluses ou surnuméraires) peuvent être associées.

Il est enfin indispensable de demander un examen ophtalmologique à la recherche d’une hypertrophie de la couche pigmentaire de la rétine présente chez de nombreux malades, parfois de façon congénitale.

Ce serait un marqueur très spécifique de l’affection.

La polypose digestive doit être dépistée et prise en charge de façon précoce car, en l’absence de traitement, elle évolue de façon quasi inéluctable vers la transformation maligne entre 20 et 50 ans.

Il existe également un risque accru de survenue d’autres néoplasies, en particulier thyroïdiennes, pancréatiques ou surrénaliennes.

L’enquête familiale est bien sûr indispensable avec réalisation d’un test génétique chez les sujets à risque.

B – SYNDROME DE PEUTZ-JEGHERS :

Transmis sur un mode autosomique dominant, avec une forte pénétrance et une expressivité variable, le syndrome de Peutz-Jeghers est une affection également rare qui associe une polypose surtout jéjuno-iléale, mais également rectocolique, duodénale, voire gastrique, et une lentiginose périorificielle.

Son gène localisé sur le bras court du chromosome 19p vient d’être identifié et code la sérine thréonine kinase STK 11.

Parfois déjà présente à la naissance, mais apparaissant le plus souvent dans les premiers mois ou années de la vie, cette lentiginose est constituée d’éléments de couleur brune plus ou moins foncée, de quelques millimètres de diamètre, atteignant de façon quasi constante les lèvres et, dans 80 % des cas, la muqueuse buccale : face interne des lèvres et des joues, gencives, palais, alors que la langue est exceptionnellement touchée.

À la différence de la maladie de Laugier, de révélation plus tardive mais identique sur le plan de l’atteinte labiojugale, les lentigines du syndrome de Peutz-Jeghers s’étendent au pourtour de la bouche et peuvent également toucher les régions orbitaires, périnasale, ainsi que les oreilles.

D’autres atteintes sont également possibles : paumes, plantes, face dorsale des doigts, région anale.

Ces lentigines n’ont aucune tendance à se multiplier et l’on constate parfois une tendance à la décoloration à partir de l’adolescence.

La polypose, quand elle est symptomatique, se manifeste par des douleurs abdominales récurrentes avec parfois véritable syndrome occlusif lié à une invagination.

L’atteinte digestive peut également s’exprimer sur un mode hémorragique (anémie hypochrome, melæna, rectorragies).

Quant au potentiel dégénératif, il a longtemps été considéré comme faible (2 à 3 %) du fait de la nature hamartomateuse de ces polypes.

En réalité, dans les études où un long suivi des malades a été réalisé, ce risque apparaît nettement plus important (10 à 15 %).

De plus, ces études ont montré qu’il existait également un risque élevé de cancers extradigestifs, notamment pancréatiques, mammaires, utérins ou ovariens.

Le risque exact de développer une tumeur maligne quelle que soit sa localisation n’est pas connu, mais estimé de 9 à 18 fois supérieur à celui de la population générale.

Le gène STK 11 pourrait agir comme un gène de susceptibilité au cancer.

Ainsi, dans la famille à l’origine de la description du syndrome par Peutz et chez laquelle plusieurs sujets sont porteurs d’une mutation de ce gène, le suivi pendant 78 ans, sur six générations, a montré la survenue de cancers digestifs ou d’autres localisations chez sept des 22 membres atteints.

C – SYNDROME DE COWDEN :

Encore appelé « syndrome des hamartomes multiples », c’est une génodermatose rare transmise sur le mode autosomique dominant, avec une pénétrance incomplète et une expressivité variable.

Son gène localisé sur le chromosome 10q23 a été dernièrement identifié.

Il s’agit de PTEN, un gène suppresseur de tumeur, et plusieurs types de mutations ont été rapportés. Cette maladie associe de multiples hamartomes viscéraux avec risque élevé de cancers à des lésions cutanéomuqueuses.

Celles-ci apparaissent progressivement à partir de l’adolescence et sont constamment présentes au cours de l’évolution.

Le diagnostic de maladie de Cowden doit être évoqué devant :

– des papules lichénoïdes multiples de la région centrofaciale, du pourtour de la bouche, des paupières, des régions périauriculaires, correspondant histologiquement à des trichilemmomes ;

– des lésions papuleuses et/ou papillomateuses, voire verruqueuses, des lèvres et de la muqueuse buccale, avec une atteinte préférentielle du palais et des gencives ;

– une langue plicaturée et recouverte de multiples papules ; des kératoses translucides palmoplantaires, des lésions simulant des verrues planes sur le dos des mains et des pieds.

D’autres signes cutanés peuvent être observés : lentiginose périorificielle, lipomes, fibromes, angiomes…

Les hamartomes viscéraux le plus fréquemment observés sont thyroïdiens (adénomes) et mammaires (maladie fibrokystique du sein).

Le pronostic de la maladie est lié à l’existence de tumeurs malignes associées : carcinomes mammaires surtout (25 à 50 %), thyroïdiens (3 à 10 %), utérins.

La relation avec la maladie de Lhermitte-Duclos apparaît de plus en plus probable, une quinzaine d’observations ayant déjà été rapportées.

La polypose gastro-intestinale, de type inflammatoire ou plus souvent hamartomateux, serait présente dans 35 % des cas, mais cette atteinte digestive est certainement sous-estimée en raison de son caractère fréquemment asymptomatique.

Dans certains cas, les polypes sont cependant de nature adénomateuse, ce qui incite à demander systématiquement une exploration digestive complète avec étude histologique lors de la découverte de lésions cutanéomuqueuses évocatrices de maladie de Cowden.

Une atteinte dermatologique identique a été rapportée dans le syndrome de Bannayan-Zonana (anciennement Bannayan-Riley-Ruvalcaba) qui associe une macrocéphalie, des anomalies oculaires, une myopathie, une lentiginose génitale et, dans 45 % des cas, une polypose digestive hamartomateuse.

Des mutations germinales du gène PTEN ont été mises en évidence dans plusieurs familles dans lesquelles on observe parfois certains membres atteints de syndrome de Cowden et d’autres présentant un syndrome de Bannayan-Zonana, ce qui renforce l’hypothèse selon laquelle ces deux entités ne sont que l’expression phénotypique différente d’une même maladie.

D – SYNDROME DE CRONKHITE-CANADA :

Non héréditaire, ce syndrome exceptionnel d’étiologie inconnue qui apparaît chez des sujets d’âge moyen associe une polypose gastrointestinale diffuse, avec tableau clinicobiologique d’entéropathie exsudative, et plusieurs manifestations cutanéophanériennes qui paraissent essentiellement de nature carentielle :

– une pigmentation diffuse de type addisonien plus accentuée sur le visage, le cou et les extrémités (dos des mains, face palmaire des doigts, paumes et plantes) ;

– une alopécie initialement en aires et à évolutivité rapide ;

– une dystrophie de tous les ongles des doigts et des orteils, signe le plus constant de la maladie.

Des lésions bulleuses dont le mécanisme reste à préciser ont également déjà été observées.

La régression de ces manifestations durant les phases d’amélioration digestive ou après correction des anomalies biologiques est possible, mais en fait rarement constatée.

Inaugurée habituellement par une diarrhée, des douleurs abdominales, un amaigrissement et des oedèmes, l’affection, dont l’évolution est lentement progressive, peut être stabilisée par une corticothérapie et une assistance nutritionnelle.

Bien qu’inflammatoire et hamartomateuse, la polypose comporte un risque de dégénérescence estimé à 15 %.

E – FIBROMES PÉRIFOLLICULAIRES ET SYNDROME DE BIRT-HOGG-DUBÉ :

D’aspect papuleux ou pseudocomédonien et de siège essentiellement cervicofacial, le fibrome périfolliculaire est une tumeur rare, développée aux dépens de la gaine conjonctive du follicule pileux.

À côté de la forme à lésion unique, il existe des formes multiples dont l’intérêt réside, quand elles sont familiales, dans l’association possible à une polypose, voire un adénocarcinome colique.

Très proche du fibrome périfolliculaire, le fibrofolliculome peut, dans sa forme multiple, s’intégrer dans le syndrome de Birt-Hogg-Dubé où il est associé à d’autres lésions papuleuses de quelques millimètres de diamètre, les trichodiscomes, et à des acrochordons (molluscum pendulum).

Cette génodermatose à transmission autosomique dominante et à expression clinique souvent incomplète peut, elle aussi, être associée à une polypose colique, mais également à un cancer rénal qu’il convient de rechercher systématiquement.

Manifestations cutanées des tumeurs malignes digestives :

À côté des métastases cutanées dont l’aspect le plus classique est le nodule ombilical de Soeur Marie-Joseph et des dermatoses paranéoplasiques, il faut individualiser plusieurs syndromes familiaux dont les signes cutanés sont des marqueurs de néoplasie digestive.

Certains d’entre eux ont déjà été envisagés dans le cadre des polyposes, mais il en existe d’autres dans lesquels une polypose précessive n’est pas retrouvée.

A – SYNDROME DE MUIR-TORRE :

Ce syndrome de transmission autosomique dominante, de pénétrance et d’expressivité variables, associe au moins une tumeur cutanée de nature sébacée à une ou plusieurs néoplasies de bas grade de malignité, apparaissant à un âge précoce et de localisation colorectale dans plus de 50 % des cas, mais aussi génito-urinaire, mammaire ou hématologique.

Il existe fréquemment des polypes coliques, mais la polypose est tout à fait exceptionnelle.

Des adénomes sébacés, des carcinomes basocellulaires à différenciation sébacée et/ou des carcinomes sébacés sont constamment présents au cours de l’évolution et associés dans plus de 20 % des cas à des kératoacanthomes.

Toutes ces lésions, qui sont en général multiples, siègent principalement sur le visage et précèdent le diagnostic de cancer viscéral dans 20 à 40 % des cas, parfois de plusieurs années.

De nombreuses études ont montré que ce syndrome était lié à l’existence d’anomalies de l’acide désoxyribonucléique (ADN), caractérisées par une instabilité microsatellitaire et similaires à celles observées dans les familles atteintes de cancers coliques sans polypose (hereditary non polyposis colorectal cancer : HNPCC).

La responsabilité prédominante du gène hMSH2 situé sur le bras court du chromosome 2 est maintenant clairement établie. Le syndrome de Muir-Torre et le HNPCC apparaissent comme des expressions phénotypiques différentes d’une même maladie génétique imposant la recherche d’une néoplasie, en particulier colique, chez tous sujets porteurs de tumeurs cutanées évocatrices de syndrome de Muir-Torre et chez les apparentés.

S’il y a suffisamment d’arguments, une étude génétique moléculaire devra être proposée.

B – SYNDROME DE HOWEL-EVANS :

Transmis sur un mode autosomique dominant avec un locus morbide situé sur le chromosome 17q24, ce syndrome exceptionnel se manifeste par une kératodermie palmoplantaire à caractère focal.

Apparaissant vers l’âge de 7 à 8 ans, elle touche plus les plantes que les paumes et prédomine aux points d’appui.

Il s’y associe une hyperkératose buccale, elle aussi d’apparition précoce, ainsi qu’une hyperkératose folliculaire, localisée principalement aux plis de flexion.

Chez ces sujets, le risque de développer, parfois dès 40 ans, un cancer oesophagien peut atteindre 95 %.

En revanche, il n’y a aucune augmentation significative de la fréquence des autres tumeurs malignes.

Maladies à expression cutanée et digestive :

A – MALADIE DE DEGOS :

La maladie de Degos ou papulose atrophiante maligne (PAM) est une affection systémique très rare, de cause inconnue, touchant préférentiellement l’adulte jeune et d’évolution souvent fatale.

Elle est caractérisée par une vasculite thrombosante des petits vaisseaux, responsable de nombreux micro-infarctus de la peau, du tube digestif, du système nerveux central et plus rarement d’autres viscères.

Une étude récente portant sur 15 cas a montré l’absence d’anticorps antiphospholipides et anticellules endothéliales dans cette affection.

Les lésions cutanées, toujours présentes et souvent révélatrices, sont caractéristiques.

Il s’agit initialement de papules érythémateuses non prurigineuses dont la surface devient rapidement atrophique et de teinte blanchâtre, porcelainée.

Les lésions, cerclées par un fin liseré érythémateux, évoluent vers une cicatrice atrophique.

Elles sont en nombre très variable et d’âge différent du fait de l’évolution par poussées.

Elles siègent essentiellement sur le tronc et les membres supérieurs.

Les lésions digestives présentes dans près de 60 % des cas s’observent souvent dans les années qui suivent l’apparition des signes cutanés.

Elles se traduisent par des manifestations non spécifiques à type de diarrhée, vomissement, malabsorption, ou un tableau chirurgical qui peut être inaugural.

Les infarctus réalisant les mêmes lésions blanchâtres que sur la peau peuvent siéger sur tout le tractus digestif (surtout l’intestin grêle), mais également les autres organes abdominaux.

Il n’existe pas de traitement de cette maladie et le décès des malades intervient assez rapidement après l’apparition des atteintes viscérales, notamment neurologiques.

Il existe cependant des formes qui semblent uniquement cutanées et qui, de ce fait, seraient de bon pronostic.

B – PSEUDOXANTHOME ÉLASTIQUE :

Le pseudoxanthome élastique (PXE) est une maladie rare (1/70 000 à 160 000) du tissu conjonctif, autosomique dominante ou récessive selon le type, atteignant principalement la peau, les yeux et les vaisseaux (artères de moyen et petit calibre).

Le diagnostic est souvent évoqué devant les lésions cutanées assez typiques qui apparaissent habituellement au cours de la deuxième décennie.

Il s’agit de papules jaunâtres de 1 à 3mm de diamètre, parfois disposées en placards, prenant un aspect de « peau de poulet ».

Elles siègent de façon symétrique dans les zones de flexion (faces latérales du cou, creux axillaires et inguinaux…) et la région périombilicale.

Au niveau des lésions, la peau est lâche et légèrement fripée.

La biopsie cutanée permet de confirmer le diagnostic en révélant des anomalies de structures des fibres élastiques.

Chez le sujet atteint ainsi que chez tous les membres de sa famille, il faut alors réaliser un fond d’oeil qui montre des stries angioïdes, constantes mais non pathognomoniques.

Le pronostic est bien sûr conditionné par les atteintes vasculaires responsables d’accidents vasculaires ischémiques (angor d’effort, artériopathies des membres, accident vasculaire cérébral) ou hémorragiques.

Les hémorragies digestives, imprévisibles et récidivantes, sont les plus fréquentes et surviennent dans l’enfance.

Elles sont la conséquence de la rupture de microanévrismes et peuvent mettre en jeu le pronostic vital.

Les formes incomplètes du PXE sont fréquentes : cutanées pures, éventuellement associées à des stries angioïdes.

Signalons également le rôle aggravant des grossesses sur l’évolution de la maladie, ce qui implique une surveillance particulière.

C – MALADIE DE RENDU-OSLER :

Transmise en dominance et d’expressivité variable, la maladie de Rendu-Osler ne doit plus être considérée comme une affection rare car sa prévalence a été estimée à plus de 1/10 000 habitants en France.

Elle se révèle habituellement dans l’enfance par des épistaxis ou des gingivorragies répétitives.

C’est plus tardivement, à partir de la trentaine, qu’apparaissent les télangiectasies qui prédominent sur le visage, les lèvres, la muqueuse buccale, la langue, les mains. Pour bon nombre de malades, l’affection reste totalement bénigne.

D’autres, en revanche, développent des complications liées aux différentes atteintes viscérales possibles de la maladie : angiomatose hépatique dans 70 % des cas, souvent latente, mais pouvant se traduire par une hépatomégalie et se compliquer de fibrose, d’encéphalopathie portocave, voire de défaillance cardiaque en cas de fistule artérioveineuse ; fistules artérioveineuses pouvant entraîner une polyglobulie, une cyanose, une dyspnée ; atteintes neurologique ou oculaire beaucoup plus rares. Cependant, la plus fréquente des complications est l’anémie hypochrome, présente chez plus d’un malade sur deux.

Elle est liée aux épistaxis répétées mais également aux possibles saignements occultes provenant de lésions digestives présentes dans 20 % des cas.

Il s’agit de télangiectasies et, plus rarement, de malformations artérioveineuses ou d’angiomes nodulaires, localisés préférentiellement dans l’estomac ou le duodénum.

Parfois, les hémorragies digestives peuvent être abondantes, voire même mortelles.

Cependant, étant donné l’imprévisibilité des manifestations de la maladie de Rendu-Osler et la relative inefficacité des traitements prophylactiques, la recherche systématique de ces lésions digestives ne doit pas être proposée en l’absence de complications.

D – SYNDROME DU « BLUE RUBBER BLEB NAEVUS » :

Plus souvent sporadique que transmis en dominance autosomique, ce syndrome isolé par Bean est une angiomatose veineuse cutanéodigestive rare.

Présentes dès la naissance ou apparaissant dans l’enfance, les lésions cutanées sont bleuâtres, saillantes, dépressibles et de consistance élastique, d’où leur comparaison à des tétines de caoutchouc.

Pouvant siéger en n’importe quel point du tégument ainsi que sur les muqueuses buccales ou génitales, ces lésions mesurent de 0,5 à 3 cm de diamètre, sont en nombre variable et ont tendance à se multiplier au cours de la vie.

Indolores ou sensibles spontanément ou à la pression, elles peuvent être associées à des nappes ou masses de malformations capillaroveineuses, ainsi qu’à des macules bleutées qui traduisent la présence de lésions situées plus profondément dans la peau.

La gravité de ce syndrome tient aux localisations digestives quasi constantes qui peuvent siéger sur l’ensemble du tractus, mais avec une nette prédominance pour l’intestin grêle.

Souvent asymptomatique, sans aucune corrélation avec le nombre de lésions cutanées, cette atteinte est à rechercher systématiquement par endoscopie et transit du grêle.

Elle peut être responsable d’invaginations intestinales, mais surtout d’hémorragies aiguës ou occultes révélées par une anémie ferriprive.

La numération sanguine apparaît ainsi comme un élément de surveillance essentiel.

Le traitement de ces lésions digestives est difficile et fait appel à la photocoagulation par laser ou à la chirurgie.

Les autres atteintes viscérales (hépatique, cérébrale, urinaire) sont exceptionnelles.

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