Ostéoarthropathies nerveuses

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Introduction :

L’appellation de « Charcot’s arthropathy » accordée par les auteurs anglosaxons aux OAN rend hommage à la sagacité de Jean-Martin Charcot qui, le premier, les distingua des autres destructions ostéoarticulaires.

Les OAN et les AUM résultent du dysfonctionnement de certaines fibres sensitives à l’origine de troubles proprioceptifs, d’une hypoalgésie et de troubles trophiques.

L’appellation d’AUM est réservée aux atteintes des extrémités (pieds surtout), où les troubles trophiques des parties molles peuvent générer des ulcérations indolentes, indépendamment de l’existence d’une OAN distale.

Ostéoarthropathies nerveusesLe terme générique d’OAN désigne les remaniements majeurs des articulations (y compris les segments intervertébraux) résultant de ces neuropathies, d’apparition souvent brutale et d’évolution rapide avec télescopage habituel d’une phase de destruction (fractures de l’os souschondral, distensions ligamentaires, puis ostéolyse-chondrolyse), et d’une phase de construction (condensation osseuse et ostéophytose exubérante).

Le terme d’OAN type Charcot s’applique plus sélectivement aux OAN des grosses articulations des membres.

En fait, les cadres nosologiques des fractures pathologiques, des AUM et des OAN se chevauchent trop pour qu’un système de critères diagnostiques ait pu s’imposer pour les distinguer entre elles ou des pathologies frontières comme certaines arthropathies dégénératives hypertrophiques ou certaines arthropathies nerveuses sans neuropathies sous-jacentes identifiables.

Le diabète reste la première cause d’OAN (du moins dans les pays riches) : de 0,15 à 3 % des diabétiques seraient concernés par cette complication.

En témoigne le nombre de publications récentes sur ce thème.

Il en résulte un chapitre spécifique.

En revanche, les neuropathies alcooliques non carentielles restent, en Europe, la première des étiologies des AUM.

Étiologies :

A – Étiologies des ostéoarthropathies nerveuses des membres (type Charcot) :

La prévalence des OAN n’a été estimée que pour les étiologies classiques : de 20 à 30 % dans les syringomyélies, de 5 à 10 % dans le tabès, de 1 à 3 % chez les diabétiques (extrêmes de 0,08 à 29 % selon les recrutements).

La prévalence dans les lèpres n’est pas bien connue ; cette étiologie reste pourtant d’actualité dans beaucoup de pays.

Le diabète reste la première cause dans les pays riches.

Assez souvent (41 % d’une série récente de 115 OAN), aucune étiologie ne s’impose.

Il peut s’agir de la précession de la neuropathie par l’OAN, comme rapporté dans le diabète, ou de l’aspécificité des signes neurologiques : ainsi, des neuropathies sensitives paranéoplasiques compliquées d’OAN peuvent précéder le cancer sous-jacent de plus de 5 ans.

Certains auteurs préfèrent alors l’appellation « Charcot-like arthropathy ».

Cette prudence est justifiée par leur similitude clinique avec certaines variétés d’arthroses, d’arthrites destructrices (sclérodermies, rhumatismes psoriasiques, certaines polyarthrites rhumatoïdes ou juvéniles, arthropathies microcristallines).

La description d’une nouvelle cause d’OAN doit être réfléchie : la présence chez un même patient d’une arthropathie destructrice et d’une pathologie neurologique ne garantit pas le diagnostic d’OAN (comme récemment, à propos d’une compression médullaire cervicale dans un contexte de chondrocalcinose).

Une topographie originale desOANpeut, à elle seule, suggérer une étiologie : ainsi, l’atteinte des doigts est très évocatrice de syringomyélie (jusqu’à 80 % des cas), même si l’épaule reste l’articulation la plus affectée.

Toutefois, dans l’ensemble, la présentation clinique des OAN ne diffère que peu ou pas selon les causes de celle-ci.

B – Étiologies des ostéoarthropathies nerveuses du rachis :

Les localisations rachidiennes, décrites dès 1884, partagent plusieurs étiologies avec les OAN des membres.

D’ailleurs, une OAN rachidienne complique 6 à 21% des OAN des membres.

Toutefois, les OAN du rachis peuvent exister isolément, et des étiologies plus spécifiques de cette localisation ont été rapportées, dont surtout des tumeurs médullaires : le diagnostic peut alors être difficile à la phase initiale, quand manquent les signes de reconstruction.

C – Étiologies des fractures pathologiques associées aux neuropathies :

Elles ont été décrites isolément dans au moins deux situations : les neuropathies sensitives héréditaires avec insensibilité congénitale à la douleur et anhidrose, et les neurofibromatoses.

On retrouve de telles fractures pathologiques en association avec des OAN dans la plupart des autres étiologies, et surtout le diabète (y compris juvénile, lors duquel leur diagnostic est retardé de 5 semaines en moyenne).

D – Étiologies des acropathies ulcéromutilantes :

Il s’agit aussi souvent d’étiologies communes aux OAN des membres ou du rachis (diabète, tabès, indifférence congénitale à la douleur, lèpre, syringomyélie), et rarement de médullopathies acquises. Certaines étiologies sont plus spécifiques desAUM.

Il s’agit soit de polyneuropathies périphériques acquises d’évolution lente (alcoolisme sans dénutrition [syndrome de Bureau et Barrière]), rarement amylose ou neuropathie carentielle (béribéri, alcool), soit de neuropathies héréditaires concernant essentiellement, voire exclusivement, les fibres sensitives (type I de Dyck autosomique dominant [maladie de Thévenard], type II de Dyck autosomique récessif, neuropathies héréditaires avec anhidrose [syndrome de Swanson], certaines neurolipidoses ou maladies lysosomiales [maladie de Fabry]), soit exceptionnellement de souffrances tronculaires ou radiculaires mécaniques (sciatiques par malformation des racines ou du sac dural ou arachnoïdite des spondylarthrites ankylosantes, syndrome du canal carpien très évolué, plaies des nerfs).

On peut insister sur l’absence habituelle de dénutrition dans le syndrome de Bureau et Barrière, qui semble directement le fait de l’alcoolisme, plus que d’une neuropathie carentielle, et sur la prééminence des pathologies touchant exclusivement les fibres sensitives.

En effet, les neuropathies avec atteinte motrice prédominante (tel le syndrome de Charcot-Marie-Tooth) ne sont qu’exceptionnellement en cause.

E – Signes neurologiques à rechercher :

Il s’agit avant tout de troubles sensitifs (sensibilités thermoalgique et proprioceptive), qui peuvent être discrets ou parcellaires : outre la sensibilité superficielle, on testera surtout la sensibilité arthrocinétique, la pallesthésie (diapason), la perception du chaud et du froid, et l’interruption ou non des arcs réflexes.

Des anomalies de la réponse vasomotrice (raie vasomotrice) pourront aussi être recherchées en présence d’une AUM, et des signes de souffrance des voies longues lors de la suspicion d’une OAN du rachis (syndrome pyramidal ou cordonal postérieur).

Exceptionnellement, la palpation de troncs nerveux hypertrophiques pourra faire évoquer une lèpre chez un sujet transplanté.

Dans certains cas, l’examen neurologique peut rester normal, l’OAN révélant la neuropathie.

Diagnostic :

Bien que ces entités de nosologies très proches se chevauchent et coexistent souvent chez un même patient, il est habituel de décrire séparément les OAN des membres (type Charcot), les OAN du rachis et les AUM.

A – Ostéoarthropathies nerveuses des membres (type Charcot) :

1- Remarques générales :

Le début est souvent brusque, par un craquement à la marche (fissure-fracture ostéochondrale ?).

Puis vont se précipiter les signes cliniques et radiologiques en rapport avec les phénomènes de destruction et reconstruction spectaculaires et intriqués qui caractérisent les OAN.

Ceux-ci peuvent ne durer que quelques jours à semaines (formes aiguës, surtout dans les variétés atrophiques des membres supérieurs, pouvant aboutir à la disparition d’une articulation en moins de 6 semaines).

Dans d’autres cas (notamment les formes hypertrophiques des membres inférieurs), l’évolution peut être d’emblée plus chronique.

L’OAN peut être bilatérale d’emblée (par exemple 9 % d’une série de 55 pieds diabétiques), ou le devient, dans 75 %des cas, chez le diabétique.

Toutefois, la sévérité des atteintes reste souvent très asymétrique, du moins dans le diabète (l’atteinte du pied controlatéral restant asymptomatique trois fois sur quatre et n’étant souvent dépistée que sur la tomodensitométrie [TDM]).

Mise à part l’opposition sus-citée, formes atrophiques des membres supérieurs et hypertrophiques des membres inférieurs, la topographie des atteintes n’a qu’une influence modérée sur la présentation clinique, la description ci-dessous valant donc pour l’ensemble des OAN des membres.

2- Clinique :

L’indolence relative ou absolue qui accompagne des signes cliniques « bruyants » est le signe le plus évocateur des OAN.

Elle peut toutefois manquer, soit au début (avec parfois de vives douleurs), soit plus durablement (jusqu’à un quart des cas).

Toutefois, même dans ces situations, on peut remarquer que la mobilisation (passive et active) ou la pression des articles sont moins douloureuses qu’attendu.

Le second signe évocateur est la constitution rapide de déformations souvent majeures. Celles-ci sont liées à la conjonction d’un oedème des parties molles (favorisé par l’hypervascularisation et les fissures-fractures osseuses), d’une hyperplasie synoviale (avec le plus souvent volumineux épanchement de celle-ci ou des bourses), de subluxations (qui peuvent être précoces), et/ou de déformations des structures osseuses (hypertrophie épiphysaire par remodelage, ostéophytose exubérante).

L’oedème des parties molles est souvent dur, tendu, et surtout chaud : l’augmentation de la chaleur locale est d’au moins 2 °C par rapport au côté sain et peut atteindre + 5 °C (± 1,4°) à la phase active.

Il s’agit d’un très bon signe d’évolutivité des OAN. On peut relever d’autres signes de dérégulation de la vasomotricité : veines dilatées, hyperpulsatilité artérielle.

La peau est souvent pâle du fait de l’oedème, mais des saignements intra- ou périarticulaires peuvent être à l’origine d’aspects ecchymotiques.

Bien qu’une hypersudation soit parfois notée, la fréquente moindre réponse parasympathique explique que la peau soit souvent plutôt sèche, voire crevassée.

La synoviale et/ou les bourses attenantes sont épaissies.

L’histologiste y révélerait la présence de débris osseux ou cartilagineux, de nombreux dépôts d’hémosidérine dans les macrophages, et une fibrose sous-intimale.

Une infiltration diffuse ou localisée de lymphocytes est possible, mais n’est que rarement marquée. Les épanchements sont le plus souvent soit hémorragiques, soit mécaniques (moins de 650 cellules/mm3, malgré des pourcentages de neutrophiles allant de 0 à 95 %), ou chyleux (gouttelettes lipidiques, peut-être liées à des saignements antérieurs).

Des formules très inflammatoires sont rarement notées (au moins jusqu’à 60 000/mm3 ou 60 x 10 9/L, avec ou sans présence en grand nombre de cristaux d’apatite, ou de pyrophosphate de calcium).

Le troisième signe pouvant suggérer le diagnostic d’OAN sur la seule clinique est une hyperlaxité inhabituelle (en flexion, extension, latéralité, tiroir ou torsion).

Des subluxations peuvent même être le mode de présentation inaugural, notamment à l’arrière-pied, mais n’aboutissent que rarement à des ruptures capsulaires.

À la phase d’état, on note des amplitudes articulaires conservées, voire supérieures à la normale, malgré des épanchements articulaires volumineux et/ou des destructions radiologiques.

À une phase plus tardive, cette hyperlaxité contribue aux sensations de ressauts et de craquements (« sac de noix ») (10 %), également dus à l’incarcération dans l’articulation de fragments osseux ou cartilagineux.

L’hyperlaxité peut, à elle seule, induire une gêne fonctionnelle importante (« membres de pantin »).

Les fractures pathologiques qui accompagnent les OAN peuvent libérer précocement des fragments osseux dans les parties molles : des complications sévères peuvent s’ensuivre, comme la constitution de faux anévrysmes des artères iliaques.

3- Imagerie :

Elle contribue beaucoup au diagnostic.

Elle enregistre en effet mieux que la clinique la succession de phénomènes de destruction (formes aiguës et atrophiques qui prédominent aux membres supérieurs), puis de construction (formes hypertophiques et chroniques, surtout notées aux membres inférieurs).

Elle date également mieux que la clinique leur progression très rapide.

* Signes de destruction :

Le premier indice peut être la présence d’une distension capsulaire ou ligamentaire.

Dans d’autres cas, il s’agit de discrètes avulsions corticales, seulement vues en TDM, ou de fractures pathologiques notées à la phase d’état dans 28 %des 115 cas d’une série récente, laquelle rapporte aussi une fragmentation de l’os épiphysaire dans 73 % des cas.

Apparaissent simultanément des signes d’ostéolyse, très évocateurs du diagnostic d’OAN par leur intrication à une reconstruction osseuse insolite par sa précocité et son siège : l’ostéolyse peut ainsi progresser dans une épiphyse osseuse qui se condense.

Un autre signe est la présence fréquente d’un front d’ostéolyse, l’os semblant fondre comme « le beurre dans la poêle ».

Elle peut induire une amputation en coin des épiphyses, très caractéristique, qui doit être recherchée avec attention, car pouvant se résumer à un lipping (aspect émoussé d’un coin osseux dessinant le profil d’une lèvre).

Les fractures peuvent aussi intéresser les cartilages (aspect d’ostéochondrite dissécante), fragilisés par la fragmentation et la chondrolyse de l’os sous-chondral.

La chondrolyse est donc souvent rapide, et parfois accélérée par une réaction synoviale (synovite « poubelle »), médiée par la présence dans la synoviale de débris calciques nuageux à extension déclive (épanchements souvent migrateurs).

En revanche, malgré la destruction souvent totale du cartilage, l’interligne articulaire persiste souvent.

* Signes de construction :

Très rapidement, et alors que la chondrolyse continue à progresser, le même segment osseux peut se condenser (37 % des cas).

Cette condensation est d’autant plus évocatrice d’OAN qu’elle garde des limites floues et intéresse des segments d’os situés en dehors des zones d’appui maximal, ou les zones de fragmentation osseuse.

Une ostéophytose marquée (ces ostéophytes pouvant à leur tour se fracturer) contribue, avec les phénomènes de condensation, au remodelage et à l’hypertrophie des épiphyses notés aux membres inférieurs.

L’imagerie peut encore mettre en évidence précocement la calcification des cartilages ou des capsules, voire l’ossification des enthèses (ligaments et tendons) ou des capsules (5 % des cas).

Une périostose peut être enregistrée (50 % des cas).

L’ostéochondromatose secondaire à la destruction du cartilage ou de l’os sous-chondral est d’identification moins facile, masquée par les profonds remaniements de l’os et de la synoviale.

4- Diagnostics différentiels (ostéomyélites exclues) :

Les algodystrophies, hypodermites, cellulites, phlébites, paraostéoarthopathies et myosites ossifiantes peuvent poser problème dans les formes débutantes.

Les autres causes d’arthropathies destructrices sont évoquées à la phase d’état : arthroses rapidement évolutives ou destructrices ; arthroses sur ostéonécroses aseptiques ou ostéochondomatoses articulaires ; arthropathies métaboliques dont la goutte, la chondrocalcinose, et les arthropathies destructrices rapides de l’épaule ; arthrites hémophiliques et hémarthroses post-traumatiques ; ostéoarthrites infectieuses à germes lents.

Plus rarement, des tumeurs à évolution rapide (tumeurs à composantes vasculaires, lymphomes, métastases) et/ou ostéogéniques devront être évoquées, ainsi que la possibilité d’ostéolyses pseudotumorales (postfracturaires ou de la maladie de Gorham).

Certains diagnostics différentiels partagent peut-être des mécanismes physiopathologiques avec les OAN a minima (souffrance locale de certaines fibres nerveuses) : arthropathies destructrices des hypothyroïdiens, certaines arthrites destructrices des polyarthrites rhumatoïdes ou psoriasiques et des sclérodermies.

5- Pied diabétique :

* Description clinicoradiologique :

Sa description distincte est justifiée par le fait que le diabète est l’étiologie d’OAN la plus fréquente, et que les OAN liées au diabète sont à l’origine des plus longues durées d’hospitalisation des diabétiques.

De 1 à 3 %des diabétiques développeraient cette complication, après 16 ans d’évolution du diabète en moyenne (même si un diabète peut être révélé par une OAN).

La survenue d’une OAN ne peut être prédite facilement : il n’existe pas de profil type des neuropathies diabétiques y conduisant et l’examen neurologique des diabétiques avec et sans OAN ne diffère guère, même si les OAN semblent plus fréquentes lors des diabètes mal équilibrés.

En effet, si 60 % des diabétiques ont une atteinte neurologique infraclinique (dépistée par des examens électrophysiologiques), 15 % une neuropathie symptomatique, et moins de 3 % une neuropathie sévère, seuls 0,05 à 2,5 % des diabétiques développent une OAN.

Les spécificités des OAN des diabétiques sont :

– l’atteinte élective et presque exclusive du pied et de la cheville et de certains sites du pied ;

– la fréquence des fractures ;

– la difficulté du diagnostic différentiel d’avec une complication encore plus fréquente et grave, l’ostéomyélite infectieuse du pied, qui toucherait jusqu’à 15 % des diabétiques, favorisée par la conjonction des défauts de perfusion, mais aussi par la présence d’une neuropathie.

L’indolence liée à cette dernière peut contribuer à un retard du diagnostic.

Les OAN diabétiques touchent préférentiellement les articulations du tarse (60 %) : environ 50 % des cas pour le Lisfranc et 40 % pour le Chopart.

Viennent ensuite l’avant-pied (30 %environ), la sous-talienne (20 % environ) et la tibiotarsienne (10 % environ).

L’atteinte du calcanéus postérieur est plus rare (2 à 5% des cas).

Dans 20 % des cas plusieurs sites sont concernés, l’atteinte se faisant presque toujours de proche en proche. Une classification en six types a été proposée.

La partie interne du pied (arche interne) est plus touchée (87 %) que la partie externe (13 %), que ce soit au Lisfranc, au Chopart ou aux métatarsiens. Des mécanismes de supination exagérés pourrait contribuer à ceci.

Les fractures y sont fréquentes : fracture-dislocation du Lisfranc dans 40 % des cas, et du calcanéus dans 10 à 20 % des cas.

Elles sont souvent notées précocement, et peuvent survenir indépendamment des autres lésions et/ou dans des formes modérées d’OAN.

L’ostéopénie ne pourrait jouer qu’un rôle mineur dans leur genèse, de telles fractures n’étant pas rares lors des diabètes juvéniles (calcanéus surtout, puis tibiotarsienne, tarse et métatarsiens).

* Diagnostic différentiel : ostéomyélites

La distinction desOANd’avec les ostéomyélites infectieuses est un problème majeur.

Ces dernières ont comme point de départ une ulcération locale plus souvent qu’une dissémination hématogène.

Ceci explique sans doute qu’elles débutent souvent aux métatarsiens (premier rayon surtout), et sont favorisées par toutes les causes d’ulcération locale, dont les OAN (du fait des déformations induites par celles-ci) et les AUM.

Ceci ne facilite pas le diagnostic différentiel.

L’infection se propage entre les compartiments internes, médiaux et externes du pied (délimités par des fascias), via certaines zones de faiblesses de ceux-ci.

L’importance d’en faire précocement le diagnostic est illustrée par le fait que 80 %des amputations de pied aux États-Unis sont pratiquées chez des diabétiques, et le plus souvent du fait d’une ostéomyélite.

Il n’existe pas de signe radiologique fiable pour distinguer les ostéomyélites des OAN : tout au plus, la présence d’appositions périostées d’apparition récente ou le caractère flou de l’ostéolyse (contours mal limités) seraient en faveur d’une ostéomyélite.

La scintigraphie au technétium, bien que souvent précocement anormale, n’a pas une sensibilité de 100 % : les faux négatifs concernent surtout les portes d’entrée, en regard des ulcérations cutanées (têtes métatarsiennes, phalanges et calcanéus).

Elle manque aussi de spécificité car une fixation aux pieds peut être notée chez les diabétiques indépendamment de toute infection, comme de toute OAN, et il peut parfois ne s’agir que d’un signe prémonitoire de la survenue d’une AUM.

La tomodensitométrie (TDM) ne permet pas de différencier les cellulites des autres types d’atteintes des parties molles (fibrose, granulome, oedème).

L’imagerie par résonance magnétique (IRM) ne différencie pas non plus les cellulites infectieuses et non infectieuses.

Elle détecte certes plus de 90 %des ostéomyélites (hyposignal T1 rehaussé par le gadolinium, et hypersignal T2), mais cet aspect n’est pas spécifique et peut se voir dans les OAN, ainsi qu’après fracture ou chirurgie.

Elle ne permet donc pas de faire l’économie d’une biopsie qui reste le test de référence, même si certains signes, comme la présence de gaz (hyposignal marqué en T1 et en T2) suggèrent fortement une ostéomyélite.

L’IRM est jugée moins utile que la scintigraphie à l’indium 111 par la majorité des auteurs.

Cette dernière a une sensibilité équivalente à la scintigraphie au technétium (78 %), c’est-àdire imparfaite.

Son second défaut est sa mauvaise résolution spatiale.

Sa troisième limite est sa spécificité non absolue : trois sur 11 OAN sans ostéomyélite dans une étude.

Cette possibilité de faux positifs n’a pas été signalée dans deux travaux plus flatteurs, mais est en accord avec une autre étude qui n’a pu dégager de différences avec cet examen entre les OAN récentes (fractures avec hématomes ou hyperémie responsables de la fixation) et les ostéomyélites septiques.

Elle n’est donc qu’un argument supplémentaire pour le diagnostic d’ostéomyélite qui doit reposer sur un faisceau d’arguments, la biopsie devant être réalisée au moindre doute.

B – Ostéoarthropathies nerveuses du rachis :

1- Clinique :

Elles touchent surtout le segment lombaire et la jonction dorsolombaire.

Les atteintes cervicales (dans les syringomyélies surtout) ou sacrées sont plus rares.

Le rachis dorsal moyen et haut est en général préservé, peutêtre du fait de la rigidité conférée par les côtes à ces segments.

L’atteinte est parfois restreinte à un étage, mais concerne le plus souvent deux à trois étages.

Les OAN du rachis peuvent se révéler par une cyphoscoliose progressive (notamment en cas de syringomyélie), l’apparition d’une raideur ou au contraire d’une instabilité, ou des complications neurologiques qui peuvent aller jusqu’à la paraplégie.

Parmi celles-ci, les compressions radiculaires qui expliquent le contraste possible entre l’absence fréquente de contractures musculaires ou de douleurs provoquées à la palpation, et le caractère pourtant spontanément douloureux de l’atteinte (y compris la nuit).

2- Imagerie :

Comme pour les OAN des membres, on note au rachis le mélange de destruction et de formation (tant dans les corps vertébraux que les articulaires) qui caractérise les OAN.

De même, un pincement discal est souvent noté précocement, qui ne va pas jusqu’à l’ankylose.

À une phase de pincement discal associé à un aspect d’arthrose des facettes, succède une phase d’ostéolyse intriquée avec l’apparition d’une ostéosclérose.

Puis le corps vertébral peut se fragmenter, et de volumineux ostéophytes apparaissent.

L’atteinte des articulaires induit des subluxations postérieures et latérales et l’apparition d’une scoliose.

Comme aux membres, on peut opposer des formes atrophiques (à type de pseudospondylodiscites), rares, mais qui peuvent se compliquer de véritables pseudarthroses (trois des cinq cas de Park), et des formes hypertrophiques (plus fréquentes).

De volumineuses proliférations périostées et des masses paravertébrales contenant des fragments calciques peuvent accompagner ces dernières, et un même matériel calcique peut parfois être identifié enTDMau sein du canal rachidien.

Les OAN du rachis ne se distinguent en fait des OAN des membres que par le caractère presque toujours lent de la progression des images.

3- Diagnostic différentiel :

Celui-ci amène à discuter : les spondylodiscites torpides (brucelliennes, typhoïdiques, fongiques, à mycobactéries) et les autres granulomatoses rachidiennes ; les tumeurs (maladie de Gorham, métastases, etc) ; les tassements vertébraux d’évolution inhabituelle du fait d’une ostéomalacie ou d’une ostéolyse pseudotumorale analogue à celles rencontrées au pubis ou aux clavicules ; les arthroses hypertrophiques et les hyperostoses, surtout quand ces dernières pontent un bloc pagétique en cours de constitution.

C – Acropathies ulcéromutilantes :

1- Clinique :

Leur diagnostic est facilité par l’analgésie qui contraste avec l’habituelle absence de déficit moteur, et le respect fréquent de la sensibilité proprioceptive.

L’atteinte végétative (qui peut faussement orienter vers un mécanisme microvasculaire) paraît contingente.

Souvent associées à une OAN des extrémités, les AUM s’en singularisent par la conjonction d’un syndrome cutané neurotrophique qui associe des ulcères, une hypertrophie tégumentaire caractéristique, et d’autres troubles trophiques plus banals.

Les ulcères neurotrophiques se distinguent facilement des ulcères vasculaires.

Ils sont en effet d’une part indolores, même lors des soins et d’autre part, ils surviennent toujours sur une hyperkératose, l’ulcère restant cerné d’une bordure hyperkératosique, laquelle ne se rencontre sinon que dans les conflits pied/chaussure chez des patients à l’hygiène précaire.

Enfin, ils siègent électivement aux points d’appui physiologiques (et non sur les zones de frottement latérales), à savoir sous la tête du premier métatarsien surtout, la tête du cinquième métatarsien, le talon.

Ils apparaissent le plus souvent suite à une marche prolongée ou à une friction répétée : il se constitue d’abord un petit hématome sous-corné qui s’extériorise ensuite soit spontanément, soit à l’occasion de manipulations.

Cet ulcère complique une hypertrophie tégumentaire qui peut intéresser tout ou partie de l’avant-pied, et évolue indépendamment des ulcères, étant plus corrélée aux OAN.

Cette hypertrophie, sans doute induite par une stase veinolymphatique, réalise une infiltration ferme, ne prenant pas le godet, qui peut conférer au pied un aspect convexe (pied d’éléphant).

Les autres troubles trophiques sont moins spécifiques : aspect lisse et luisant de la peau, ou à l’inverse état dyskératosique parfois icthyosiforme ; dermite ocre ; onychodystrophie avec hématomes sous-unguéaux ; troubles de la sudation (hyperhidrose plus que hypohidrose).

Bien que les ulcères du mal perforant plantaire puissent survenir indépendamment de lésions osseuses sous-jacentes et que leurs évolutions ne soient pas parallèles, le terme d’AUM choisi par Thévenard témoigne de la fréquence avec laquelle ces AUM sont associées à des OAN du pied (voire de la main) qui possèdent quelques particularités : il s’agit le plus souvent d’atteintes très distales, surtout métatarsiennes et métatarsophalangiennes, les interphalangiennes pouvant même être concernées.

Toutefois, une atteinte prédominante du tarse peut se voir, facilitant un effondrement de la voûte plantaire et la constitution d’ulcères dans de nouvelles zones d’appui.

L’avant-pied se raccourcit donc souvent (avant-pied carré ou cubique) et les orteils peuvent se subluxer ou se recroqueviller en marteau.

Les mains peuvent être concernées par desAUM(ainsi dans les neuropathies sensitives héréditaires de type II ou I, les syringomyélies, et certains syndromes sévères du canal carpien).

Les doigts prennent alors un aspect boudiné qui précède parfois des ulcères traumatiques (morsures, brûlures, etc).

Des OAN peuvent aussi y être notées, avec parfois rétraction des doigts en « griffe ».

2- Imagerie :

Des anomalies radiologiques peuvent précéder la survenue des AUM.

Il peut ne s’agir que d’une ostéopénie (du premier rayon au tarse, voire au tibia), laquelle peut conduire à des fractures de l’avant-pied ou du tarse, mais l’atteinte la plus typique reste la mutilation des métatarsiens ou des phalanges : on note initialement un amincissement des diaphyses métatarsiennes, contrastant parfois avec une périostite constructive.

L’aplatissement des épiphyses métatarsiennes, puis leur modification en cupules à concavité distale, précède leur résorption concentrique, réalisant un aspect en « sucre d’orge à demi sucé ».

La progression de cette acro-ostéolyse vers le tarse peut aboutir à un télescopage de celui-ci, intriqué parfois aussi avec une prolifération périostée et la présence de cals.

3- Diagnostic différentiel :

La présence d’une porte d’entrée cutanée doit surtout faire évoquer la possibilité d’une ostéoarthrite septique torpide, qui peut compliquer l’OAN ou l’AUM.

En revanche, les lésions cutanées neurotrophiques ont une présentation séméiologique suffisamment spécifique pour éviter toute confusion avec un ulcère vasculaire, exception faite du diabète au cours duquel la présence d’une microangiopathie peut imprimer un caractère vasculaire à l’ulcère neurotrophique.

Le principal risque est en fait de mésestimer et de banaliser un ulcère neurotrophique débutant, confondu avec un durillon ou une phlyctène.

Plus rarement, le bourgeonnement exubérant que l’on observe parfois au sein d’un ulcère neurotrophique traité peut prêter à confusion avec une lésion tumorale (épithélioma spinocellulaire ou mélanome achromique).

Traitement :

A – Traitement des ostéoarthropathies nerveuses des membres :

1- Généralités :

Pour juger des indications thérapeutiques et de leur efficacité, l’évolutivité des lésions doit être appréciée surtout sur la radiographie et la thermométrie cutanée, très bien corrélées à l’évolutivité des OAN.

Ces examens doivent être répétés (par exemple sur un rythme bimensuel).

Le traitement doit impérativement commencer par l’éducation du patient et l’obtention de son consentement éclairé, pour obtenir sa participation durable.

Il doit en effet comporter la prévention de tous les facteurs aggravants de la neuropathie, notamment le bon contrôle du diabète, l’arrêt de l’alcool et du tabac, la correction de troubles circulatoires et un éventuel amaigrissement.

Les pertes de substance cutanées doivent être traitées d’emblée (antibiotiques, plasties).

2- Traitement des ostéoarthropathies nerveuses diabétiques :

* Traitement médical :

Tous les auteurs s’accordent pour privilégier le traitement conservateur le plus longtemps possible.

Aux stades 0 et 1 de Shibata, ce traitement doit comporter des attelles inamovibles en matériaux thermoformés plaçant le pied dans la position la plus physiologique ; ces attelles doivent être changées au moins toutes les 3 semaines, et toutes les semaines en cas d’ulcérations.

Leur ablation n’est décidée que sur la régression des signes cliniques (dont le retour à une température cutanée normale) et sur la stabilité des signes radiologiques.

La durée moyenne de ce traitement est de 15 à 20 semaines pour les atteintes unilatérales, et de 30 semaines en cas d’atteinte bilatérale.

Un relais doit ensuite être pris par des attelles de marche, puis par des chaussures orthopédiques aidant à passer le pas, à condition que la température cutanée ne diffère pas de un degré par rapport au côté sain.

Ceci est possible après un délai de 30 ± 15 semaines (6 mois), deux à cinq fois plus long que celui de l’immobilisation des fractures du tarse des sujets sains.

En l’absence de signes cliniques controlatéraux, il n’est pas démontré qu’il faille bloquer aussi le pied en apparence sain.

Ce traitement orthétique, avec les autres mesures de prévention, reste le fondement du traitement médical.

Une étude ouverte a tenté d’évaluer l’apport du pamidronate dans six cas d’OAN diabétiques, l’absence de groupe contrôle empêchant toute conclusion.

* Traitement chirurgical :

La chirurgie doit être réservée seulement aux échecs durables des traitements médicaux et orthétiques.

Ses buts peuvent être :

– d’éviter une amputation ;

– de prévenir l’apparition d’ulcérations cutanées par hyperappui ou étirement ;

– de corriger l’instabilité générée par une pseudarthrose ;

– de redonner au patient un appui plantigrade ou une architecture moins à risque, en particulier par la correction d’un équin lié à une rétraction des gastrocnémiens.

En effet, si un équin sur pied normal est compensé par une pronation dans le médiopied, celle-ci manque dans la majorité des OAN diabétiques, et un allongement du tendon d’Achille peut être nécessaire.

La présence d’un varus ou d’un valgus marqué de l’arrière-pied peut aussi forcer la décision chirurgicale.

La chirurgie ne doit de toute manière être entreprise qu’après l’obtention d’une coalescence (stade 2 ou 3 de Shibata) ou, à l’inverse, d’une pseudarthrose certaine.

Elle ne doit être proposée qu’aux patients très compliants (très bon contrôle du diabète) et motivés.

Elle ne concernerait finalement que 25 % des patients, et ses ambitions doivent être adaptées à leurs âges et besoins (par exemple : simples exostosectomies chez les sujets âgés).

Différentes interventions peuvent être proposées :

– exostosectomies ;

– arthrodèses pour pseudarthroses ;

– corrections de déformations (qui requièrent aussi souvent une arthrodèse).

Il convient à ce sujet de repérer le sommet de la déformation à corriger, en utilisant par exemple la classification de Sanders :

– 1- avant-pied ;

– 2- Lisfranc ;

– 3- Chopart ;

– 4- tibiotarsienne ;

– 5- calcanéus ;

– pose de prothèses. Les exostosectomies sont des gestes peu ambitieux et peu risqués (succès dans 80 % des cas pour Armstrong).

La cicatrisation des ulcères cutanés est obtenue dans 70 % des cas.

Leurs récidives sont malheureusement fréquentes (de 7 à 100 %).

Le recours à des greffes est fréquent : le but de la greffe ne doit pas être d’éviter un raccourcissement du pied, mais de restaurer un pied fonctionnel autorisant la marche bipodale en recréant une architecture normale.

On utilise en priorité du corticospongieux autologue, en réservant les allogreffes aux larges defects.

L’arthrodèse, avec ou sans greffe, peut être obtenue en 4 à 6 mois, mais doit suivre des règles strictes : éviter de trop tirer sur une peau fragile ; pratiquer une ablation prudente des cartilages et soigneuse des fragments d’os sclérotiques ; réséquer complètement les capsules et synoviales ; affronter le plus régulièrement les surfaces à arthrodéser ; fixer l’arthrodèse par des montages très solides faisant appel à un nombre suffisant de vis ; imposer ensuite le port d’un plâtre pour 2 mois, relayé (pour le début de la reprise d’appui) par une orthèse en matériau thermoformable gardée 5 mois, puis par une orthèse en polypropylène à vie.

La lourdeur de cette séquence la fait réserver à des cas très particuliers.

Certains sites semblent donner de moins bons résultats : les arthrodèses de la tibiotarsienne ne seraient un succès que dans 30 à 40 % des cas (extrêmes de 10 à 73 %), du fait entre autres de la fréquence des surinfections ou des ulcères cutanés.

Leur fréquence pourrait toutefois diminuer par le recours à des fixateurs externes.

Pour les autres localisations, même les séries les plus optimistes (sauvetage du pied dans 27 cas sur 29 avec reprise de la marche sans canne à 42 mois dans 24 cas sur 29) déplorent deux tiers de complications, dont 30 %de pseudarthroses et 7 % d’instabilités définitives.

Il faut rappeler à cet égard que tous les succès radiologiques (obtention d’une fusion osseuse dans les trois quarts des cas pour Early) ne sont pas forcément des succès cliniques, la reprise de la marche devant être le paramètre d’évaluation principal, et que le bon résultat obtenu sur un article peut être grevé par l’apparition d’une OAN sur une articulation adjacente.

La pose de prothèses semble devoir rester une exception.

Certes, sur neuf cas d’arthropathies nerveuses des genoux touchant des sujets de 72 ans en moyenne, et revus entre 2 et 4 ans plus tard, 100 % de bons résultats ont été enregistrés dans un travail, les auteurs expliquant leur succès par l’apport de greffons osseux, l’ajustement de la prothèse à l’os résiduel, et le resanglage des ligaments.

En fait, il s’agissait dans cinq cas sur neuf de Charcot-like, c’est-à-dire d’OAN sans pathologie neurologique identifiée, et peu d’études sont aussi optimistes, la majorité des auteurs déconseillant de prendre le risque de ce type d’opération.

B – Traitement des ostéoarthropathies nerveuses du rachis :

Comme pour les OAN des membres, le traitement médical (repos et corset) doit d’abord être tenté, même si les OAN du rachis sont le type d’OAN le plus amélioré par la chirurgie, qui y ferait en moyenne et tous cas confondus, jeu égal avec le traitement médical.

La chirurgie se discute surtout en présence de complications neurologiques et/ou de déformations importantes à type de cyphoscoliose.

Elle doit comporter une arthrodèse avec greffe et instrumentation antérieure et/ou postérieure.

Le geste doit par ailleurs être suivi d’une immobilisation stricte au lit d’au moins 1 mois, puis du port d’un corset-relais.

Certaines interventions comme les laminectomies isolées sont déconseillées car elles aggravent les déformations vertébrales et peuvent induire la dislocation du rachis.

Comme pour les OAN des membres, des complications peuvent ternir le résultat, qu’il s’agisse d’infections de voisinage (voies urinaires) ou de l’apparition d’autres OAN caudalement au site d’arthrodèse.

C – Traitement des acropathies ulcéromutilantes :

Il comporte aussi la prise en charge, chaque fois que possible, de la neuropathie sous-jacente (sevrage de boissons alcoolisées, équilibration du diabète, etc).

Les troubles trophiques doivent être traités comme un ulcère vasculaire, selon les phases évolutives habituelles (détersion puis bourgeonnement permettant la réépidermisation).

Durant cette période, la mise en décharge du pied et son immobilisation par des attelles sont capitales et doivent rester parfaitement observées jusqu’à cicatrisation totale des troubles trophiques.

Le décapage initial au bistouri de l’hyperkératose (à confier à des mains expertes) permet d’accélérer le processus d’épidermisation.

Le traitement orthopédique est encore plus important que dans les OAN : l’orthèse d’immobilisation de la cheville et du pied peut être un plâtre en bivalve ou un matériau thermoplastique (Néofract, Polysar) bloquant la cheville en léger équin tout en assurant l’immobilisation la plus complète de tous les rayons.

Elle ne doit pas être traumatisante, notamment en regard des malléoles, de l’insertion du tendon d’Achille, de la styloïde du cinquième métatarsien et du cuboïde.

Elle doit aussi respecter le retour veineux et permettre des soins locaux aisés et réguliers.

Le Néofract a parfois l’inconvénient, compte tenu de son caractère occlusif, d’entraîner un phénomène de macération, entretenu par l’hypersudation.

Un thermoplastique monovalve ou bivalve de type Polysar (plus aéré) est plus volontiers utilisé, le moulage remontant jusqu’au tiers supérieur de jambe pour fixer et orienter l’orthèse.

Celle-ci est légère, ce qui diminue les risques de friction en regard des malléoles mais augmente sa fragilité.

Ce dernier inconvénient n’est que très relatif, car la détérioration rapide qu’elle induit en cas de non-respect de la décharge totale est un bon moyen de juger de l’observance.

Un jersey tubulaire de coton (ou un jersey élastique en cas de stase) sont interposés entre la peau et l’orthèse, laquelle doit être réadaptée en cas de fonte d’un oedème ou de la survenue d’une amyotrophie.

Elle doit être portée 24 heures sur 24 pour permettre, avec le repos et les soins locaux, une cicatrisation complète, obtenue entre 4 et 6 semaines.

La reprise de l’appui ne se fait qu’une fois la cicatrisation obtenue, et sous couvert du port d’une orthèse plantaire visant à décharger les zones à risques.

La conception de cette dernière dépend des données de la clinique, mais aussi de la radiographie et de la scintigraphie, qui signalent les zones d’évolutivité maximales de l’AUM.

Les semelles sont volontiers thermoformées, et réalisées sur moulage à partir d’un positif corrigé.

Cette technique permet en effet une décharge des zones à risque plus précise qu’avec la seule prise d’empreintes.

La base de la semelle est en résine thermoformable, permettant ainsi un moulage fiable sur le positif.

Le revêtement comprend un capitonnage d’amortissement tel que le podiane, et un revêtement en cuir qui doit être renouvelé assez souvent du fait du vieillissement précoce inhérent à l’hypersudation.

Des contrôles de l’orthèse sont indispensables pour éviter l’apparition de zones d’hyperpression ou de frottement contre la chaussure, liée à la détérioration des matériaux ou à la modification de la forme du pied (oedèmes, évolution de l’OAN).

Il faut parfois y adjoindre d’autres traitements orthétiques : orthonyxie préventrice ou correctrice, module talonnier de réaxation, voire orthèse de décharge avec appui sous-rotulien et étrier distal.

Ce dernier appareillage s’adresse aux lésions majeures du médiopied ou de l’arrière-pied, et n’autorise qu’une déambulation très limitée.

Il nécessite une surveillance étroite des zones d’appui au genou, et son sevrage ne peut être entrepris qu’une fois la cicatrisation obtenue et l’OAN stabilisée.

Le choix du chaussage est important : pour la remise en appui, des chaussures provisoires à tige souple type sport, corolle, pantazorte (thermoformable), peuvent être utilisées. Après 6 mois de stabilisation des lésions, des chaussures du commerce de bonne qualité peuvent à nouveau être autorisées (type derby en cuir souple, avec lacets, bon maintien postérieur et large chambre antérieure).

La chaussure sur mesure ou moulage (orthopédique) est réservée aux déformations majeures de l’avant-pied et du médiopied, empêchant tout chaussage de série.

Pathogénie :

A – Pathogénie des ostéoarthropathies nerveuses :

La complexité de la pathogénie des OAN est illustrée par les différentes théories qui ont été avancées (microtraumatiques, vasculaires, trophiques) et qui comportent toutes une part de vérité.

La déficience de l’innervation (nociceptive et souvent aussi proprioceptive) induit un défaut de verrouillage des articulations (dénervation capsulaire avec hyperlaxité) et facilite les microtraumatismes.

L’hyperémie osseuse sous-chondrale facilite l’accélération catastrophique du remodelage osseux, même si un défaut aigu de vascularisation peut être aussi responsable d’une ostéopénie rapide.

Enfin, conjointement à d’indiscutables défauts des cellules du système nerveux (responsables de la très fréquente analgésie), certains excès de celui-ci (relargage anormal par les terminaisons axonales de neuromédiateurs modulant le métabolisme des tissus ostéoarticulaires) participent très vraisemblablement à la pathogénie des OAN.

Plusieurs travaux récents ont apporté des arguments attribuant une part plus importante à ce dernier phénomène qu’aux facteurs mécaniques jusque-là considérés comme les plus déterminants.

1- Arguments contre le rôle exclusif d’un défaut d’innervation proprioceptif ou nociceptif :

Le rôle prééminent de facteurs mécaniques a été suggéré par la constatation de débuts post-traumatiques chez 25 % des patients, ou par la précession possible de la dislocation de l’article par une hyperlaxité articulaire majeure, qui peut, indépendamment de toute neuropathie, induire un tableau clinique proche à la talonaviculaire.

Toutefois, plusieurs arguments suggèrent que la perte de sensibilité des articulations n’est ni indispensable, ni suffisante à l’induction d’une OAN.

Ainsi, certaines OAN ou fractures pathologiques peuvent rester douloureuses (du moins lors de leur constitution), et d’autres peuvent évoluer malgré l’absence de troubles décelables de la proprioceptivité.

L’absence de différences frappantes à l’examen neurologique des diabétiques avec et sans OAN, renforce le doute d’une relation de causalité directe entre l’analgésie et la survenue des OAN.

Alors que les neuropathies sont très fréquentes chez les diabétiques (60 % des patients ont une atteinte infraclinique, 15 % une neuropathie symptomatique, et moins de 3 % une neuropathie sévère), les OAN restent des éventualités rares (0,05 à 2,5 %des diabétiques).

Surtout, le spectaculaire processus de destruction-construction qui caractérise les OAN peut faire suite à un traumatisme très minime.

Des fractures dans des sites tout à fait inhabituels peuvent survenir sans aucun traumatisme (28 % d’une série récente de 115 cas), y compris chez des patients alités, et inaugurer les OAN.

De même, l’atteinte des épaules (articulations en décharge) peut, lors des syringomyélies, comporter très précocement des fractures de la glène ou du corps de l’omoplate.

L’aggravation rapide des signes sur une courte période (de 15 à 45 jours), et non par à-coups liés à la répétition des microtraumatismes est un autre argument contre la seule responsabilité de la dénervation.

Les OAN, une fois initiées, peuvent continuer à s’aggraver malgré l’immobilisation des articulations.

La plupart des tentatives de reproduction expérimentale d’OAN par dénervation n’ont pas atteint leur but, mais ont seulement abouti à des arthroses, et le plus souvent seulement si celles-ci avaient été préalablement initiées (par exemple par section du ligament croisé dans les modèles canins de O’Connor).

Ces auteurs ont tenté d’expliquer leur échec, soit par le caractère trop proximal de la section nerveuse (ablation du ganglion spinal), soit, à l’inverse, par le caractère trop distal ou partiel de la dénervation réalisée.

Une autre explication pourrait être que le concept de départ (dénervation avec analgésie comme condition nécessaire et suffisante) était erroné, et que les OAN résultent d’une innervation pathologique (y compris par excès), et non seulement d’une dénervation.

2- Rôle trophique de l’innervation sur les structures ostéoarticulaires :

Plusieurs travaux ont apporté des arguments en faveur d’un relargage de facteurs de croissance ou neuromédiateurs à partir des terminaisons nerveuses, notamment aux épiphyses où ont été identifiés CGRP, VIP (vasoactive intestinal peptide), neuropeptide Y, dopamine, neurokinine A, substance P, et neuropeptideY.

Différentes fonctions leur ont été attribuées :

– réguler l’hématopoïèse, via la sécrétion de cytokines et l’activation des cellules stromales ;

– participer à l’activation en « mosaïque » des BMU (bone morphogenic units) ;

– faciliter la néo-ostéogenèse. De fait, la formation d’os est précédée ou accompagnée d’une neurogenèse, les cals de fractures étant innervés dès la première semaine (tant dans le périoste, le cal, que la moelle osseuse néoformée), via le relargage par l’os de nerve-growth-factor et d’insulin-like-growth-factor (effet chémoattracteur), ou d’autres molécules comme la neural-cell-adhesionmolecule.

La stimulation électrique des troncs nerveux accélère de fait la croissance osseuse.

Réciproquement, des cals hypertrophiques et une fragilité osseuse ont été notés dans des modèles expérimentaux de dénervation des membres.

3- Rôle possible des neuromédiateurs dans la pathogénie des ostéoarthropathies nerveuses :

Les neuromédiateurs, synthétisés dans le noyau de l’axone, sont transportés en périphérie et stockés dans les varicosités terminales du nerf, à partir desquelles ils peuvent être relargués dans le tissu innervé, notamment après traumatisme.

Une libération très exagérée et brutale de neuromédiateurs pourrait être un mécanismes initiateur des OAN.

Ces relargages pourraient résulter de la dégénérescence rapide de certains neurones.

En effet, un excès de synthèse par les fibres sensitives de certains neuromédiateurs, comme la CGRP et la substance P, peut être une conséquence de la souffrance d’autres fibres, dont les fibres sympathiques.

4- Place des anomalies vasculaires accompagnant les ostéoarthropathies nerveuses :

Celles-ci sont indéniables mais inconstantes, et malgré leurs précession apparente sur les OAN, pourraient n’en être qu’un épiphénomène (parfois aggravant).

Il s’agit avant tout d’une augmentation du flux sanguin intraosseux, au moins aux membres inférieurs et chez le diabétique, comme apprécié par scintigraphie ou en doppler.

On relève souvent un hyperdébit artériel en amont et une stase veineuse, à l’histologie comme à la pléthysmographie occlusive.

Cette hypervascularisation est en accord avec les délais en général normaux de cicatrisation observés après chirurgie.

Elle rend aussi compte de la forte corrélation observée entre l’élévation de la température et tant le site que l’évolutivité des OAN.

Si l’atteinte du système nerveux autonome est constante dans l’étude de Young, la nature des fibres lésées reste débattue : une majorité semble se dégager pour incriminer entre autres une atteinte du parasympathique (responsable aussi de la possible sécheresse cutanée de ces « pieds chauds »), le sympathique étant plus tardivement et moins sévèrement atteint, voire indemne.

Une atteinte des petites fibres C, à l’origine d’un réflexe de vasodilatation (dit de Lewis) pathologique a aussi été défendue.

5- Rôle de l’ostéopénie :

Des travaux anciens n’ont pas noté de différences lors de la mesure du poids des cendres des os des jambes des patients diabétiques avec et sans OAN.

Des études plus récentes ont conclu à une moindre masse osseuse aux membres inférieurs chez les diabétiques (diminuée de 16 %), ou chez des patients avec OAN.

Il n’existe cependant pas de travaux démontrant qu’une masse osseuse abaissée favorise l’induction d’une OAN, même si les phases initiales des OAN s’accompagnent d’une résorption osseuse très accélérée.

6- Rôle de la synoviale :

Certaines arthropathies rapidement destructrices (notamment microcristallines), peuvent simuler des OAN, cliniquement et radiologiquement, abstraction faite de l’indolence.

Ces similitudes ont suggéré que la libération de microcristaux dans la synoviale jouent un rôle majeur dans la pathogénie des OAN.

De fait, outre la présence fréquente de sang, des microcristaux d’apatite ou de pyrophosphate de calcium y ont été objectivés.

Toutefois, leur présence reste inconstante et n’a pu être identifiée avant le début des signes dans la très grande majorité des OAN.

De même, si l’IRM met fréquemment en évidence chez les diabétiques de petits épanchements synoviaux dont la signification est mal connue, ceux-ci n’annoncent pas les OAN.

Dernier argument : desOANont été rapportées chez des patients déjà porteurs de prothèses du genou.

B – Pathogénie des acropathies ulcéromutilantes :

Comme pour les OAN, la survenue des AUM pourrait résulter autant des troubles trophiques secondaires aux pathologies neurologiques ou à d’autres facteurs métaboliques comme le diabète, qu’à la conjonction de microtraumatismes, de troubles circulatoires, et d’une hygiène défectueuse.

La nature et les mécanismes de ces troubles trophiques restent mal connus : faillite de mécanismes neurogènes locaux réflexes, ou perte du rôle trophique de certains nerfs sensitifs, d’étude difficile.

Dans certaines étiologies comme le diabète, s’y ajoutent des anomalies métaboliques liées à celui-ci, comme une glycation anormale des collagènes.

De fait, le risque d’AUM et d’OAN est accru chez les diabétiques en cas de mauvais contrôle du diabète, alors qu’il n’est pas aggravé par l’hyperlipidémie et le tabagisme.

La présence d’une vasculopathie périphérique, surtout marquée en distalité, compterait pour 50 % des ulcérations.

Cette microangiopathie peut être méconnue du fait de l’ouverture des shunts de Suquet, à l’origine d’un tableau faussement rassurant de « pieds chauds ».

S’y associe souvent une plus grande fragilité capillaire (notamment dans les zones calleuses).

Cette dysrégulation microcirculatoire distale reste toutefois inconstante (23 % des patients) et ne peut résumer la physiopathologie des AUM et des OAN.

Elle est plus corrélée à la sévérité de l’OAN sous-jacente, et semble en être plutôt une conséquence qu’une cause.

L’hyperpression dynamique paraît en revanche un paramètre indispensable (pas de troubles neurotrophiques au cours des neuropathies à forte composante motrice ou avant la marche, amélioration franche desAUMpar la mise en décharge).

Cette hyperpression dynamique peut concerner le pic de pression ou l’intégrale des pressions subies par le pied à la marche, et prédit la survenue des ulcérations.

La présence de cals majore encore plus le risque.

Cette hyperpression résulte :

– d’un enraidissement articulaire, lié parfois à une rétraction des capsules de l’arrière-pied (diabète) ;

– de l’atrophie des intrinsèques qui induit une griffe d’orteils et l’abaissement de la palette métatarsienne, avec bascule vers l’avant de la graisse sous capitale qui ne protège plus la tête des microtraumatismes (ce phénomène multiplierait par sept le risque d’ulcérations plantaires à 4 ans) ;

– de la présence de déformations : hallux valgus, présence d’une bunionnette, pieds creux ou plats, excès de longueur du second rayon et autres exostoses acquises.

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