Douleur

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La douleur est une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable liée à une lésion tissulaire existante, potentielle ou décrite en termes d’une telle lésion. Cette définition sous-entend des mécanismes générateurs physiologiques et/ou psychologiques.

On distingue

On distingue en effet :

– une composante “ sensori-discriminative ” qui correspond à la perception des caractéristiques de qualité (décharge électrique, piqûre, brûlure, fourmillements), d’intensité, de durée (permanente, brève, paroxystique, répétée…) et de localisation. Cette composante est subjective, comme la localisation d’une douleur projetée.

– une composante “ affectivo-émotionnelle ”, fonction de l’intensité, de la durée d’une douleur, allant d’un état d’angoisse ou d’anxiété à un état dépressif.

– et une composante cognitive (processus susceptible de moduler les fonctions d’attention) qui se réfère aux expériences passées, vécues ou observées.

DouleurNociception

La nociception désigne les fonctions physiologiques qui permettent de détecter, de percevoir et de réagir à des stimulations potentiellement nocives. La nociception entraîne fréquemment la douleur chez l’homme.

Le concept de douleur intègre cet aspect perceptif mais également une dimension affective et “ motivationnelle ”. On sait bien que, dans certaines situations, la douleur peut être ressentie de façon anormale par rapport à une stimulation normalement non douloureuse (allodynie) et que, dans d’autres situations, la douleur peut être spontanée et apparaître soit à la suite d’un dysfonctionnement du système nerveux (désafférentation), soit à la suite de modifications fonctionnelles (douleurs psychogènes).

DIFFERENTES DOULEURS :

Douleur symptôme et douleur maladie

Le terme de douleur chronique implique une notion de durée, mais recouvre également une autre réalité :

– la douleur est en médecine un “ signal ” fréquemment rencontré, qui est à l’origine d’un bon nombre de consultations et guide la conduite diagnostique (la douleur prise comme symptôme).

– la douleur chronique acquiert, pour le médecin, la valeur d’une affection autonome, demandant une démarche diagnostique et thérapeutique souvent indépendante de l’étiologie d’où le terme de “ douleur-maladie ”.

Douleur somatique

Le système nerveux est, en principe, normal et est fortement stimulé du fait d’une agression nocive pour l’organisme. On appelle également ce type de douleur “ douleurs par excès de nociception ”.

C’est typiquement le cas des douleurs rhumatismales, des lésions organiques viscérales : infarctus du myocarde, coliques néphrétiques ou hépatiques, pancréatite

De ce fait, la cause de la douleur doit être identifiée précisément après une enquête clinique rigoureuse.

Caractère chronique

Le caractère chronique de la douleur introduit une autre dimension à la douleur (notamment par son retentissement psychologique), mais la persistance de cette douleur signifie, en pratique, la nécessité d’identifier et de traiter la cause somatique lorsque cela est possible.

Caractère durable

Le caractère durable de la douleur induit des modifications fonctionnelles du système nerveux périphérique et central (libération de substances inflammatoires et de neuropeptides, activation des cellules immunocompétentes et libération de cytokines, réactions plastiques du système nerveux central…) qui rendent compte des phénomènes d’hyperalgésie et du caractère auto-entretenu de la douleur.

Douleur de désafférentation

Les douleurs neurologiques sont encore appelées “ douleurs de désafférentation ”.

Ce type de douleur est réalisé par la section d’un nerf périphérique.

Chez certains patients, une douleur chronique survient après un délai variable suivant la lésion nerveuse. Dans cette situation, la douleur est ressentie en l’absence de toute agression nocive soit spontanément, soit pour des stimulations normalement indolores (phénomène d’ allodynie).

La cause en est discutée :

– décharges nerveuses ectopiques périphériques, comme dans le cas des névromes.

– hyperalgésie avec abaissement du seuil des nocicepteurs, comme dans le cas de certaines douleurs somatiques inflammatoires.

– décharges nerveuses au niveau du ganglion rachidien.

– modifications neurochimiques secondaires à la désafférentation comme la substance P.

– modification des contrôles segmentaires par les afférences non nociceptives ou par les contrôles descendants.

– hyperactivité sympathique réflexe.

– réinnervation dans les structures désafférentées notamment la corne dorsale.

– et, probablement, une hyperactivité nerveuse centrale de désafférentation au niveau des relais spinaux, du tronc cérébral, thalamiques et corticaux.

Par extension, certains auteurs appellent douleur de désafférentation les douleurs neurologiques survenant au décours de lésions du système nerveux central, qui comportent également une allodynie et parfois une hyperpathie (douleur excessive, prolongée, anormalement étendue en regard du type de stimulation et de la zone stimulée).

Douleurs psychogènes

Les douleurs psychogènes sont les états douloureux où domine la dimension affective ou interprétative dans la douleur vécue et le comportement qui l’exprime.

Typiquement, l’ examen somatique et l’examen neurologique seront normaux et les patients sont fréquemment déclarés “ fonctionnels ”.

On distingue schématiquement des douleurs associées à un état dépressif et des douleurs survenant sur un terrain anxieux ou névrotique.

Il faut savoir que, le plus souvent, ces différents mécanismes s’entremêlent et que l’analyse sémiologique doit chercher à mettre en évidence ces trois composantes. Par exemple, la douleur du syndrome de Pancoast-Tobias fait intervenir l’envahissement cancéreux des viscères de l’apex et celui du plexus brachial.

Toute douleur chronique retentit sur le vécu affectif et relationnel des patients et cette composante “ psychologique ” a effectivement des répercussions diagnostiques et thérapeutiques.

Examen clinique

INTERROGATOIRE DU PATIENT DOULOUREUX CHRONIQUE :

Le dossier du patient douloureux chronique est fréquemment volumineux. Il importe de bien identifier la maladie causale car cela permet, très souvent, d’identifier le type ou les types de douleurs dont souffre le patient.

Type de douleur

– Les circonstances d’apparition de la douleur illustrent sa survenue au cours d’une affection connue (néoplasie, neuropathie périphérique, maladie neurologique, zona) ou au décours d’un accident pouvant léser le système nerveux (traumatisme d’un membre, traumatisme crânien ou rachidien).

– Le délai d’apparition peut également orienter l’interrogatoire, et un intervalle long entre une lésion et la douleur évoque une désafférentation.

– La topographie douloureuse doit être identifiée avec soin :

– là encore une pathologie d’organe est fréquemment identifiable.

– à l’inverse, un territoire radiculaire, tronculaire et vasculaire central oriente vers une désafférentation.

– les douleurs du vertex orientent sur une origine psychogène.

– La qualité de la douleur doit être précisée : là encore un fond douloureux permanent sur lequel se greffent des paroxysmes fulgurants est fortement évocateur de la désafférentation.

– L’ horaire, la durée et l’ intensité de la douleur seront évalués soit par un interrogatoire non directif, soit en s’aidant d’ échelles de cotation.

On précisera

On précisera encore :

– la résonance affective de la douleur et son retentissement thymique. d’une part un syndrome dépressif réactionnel est fréquent, d’autre part les stress, les émotions, la dépresssion, elle même, peuvent aggraver la douleur.

– les circonstances de déclenchement peuvent orienter en dehors des événements psychologiques : la survenue lors des efforts à glotte fermée, certaines positions, les repas peuvent orienter vers une étiologie somatique.

– le retentissement de la douleur chronique doit être évalué sur :

– la vie professionnelle.

– la vie familiale.

– les activités personnelles, ambulatoires, les loisirs….

– les implications médico-légales ou professionnelles, l’existence d’une revendication et la tendance aux consultations variées et itératives doivent être notées.

– les différentes thérapeutiques préalablement mises en œuvre, leur efficacité et leur suivi de la part du patient doivent être évalués soigneusement.

EXAMEN PHYSIQUE :

L’examen physique est un examen général qui va explorer, en détail, les systèmes apparemment concernés par la douleur.

Pathologie d’organes

La pathologie d’organes est soit connue, soit évidente sur le plan clinique, soit masquée jusqu’alors.

Il faut se souvenir qu’une douleur somatique traduit une affection organique évolutive ou non qui doit être précisément identifiée :

– le déclenchement ou l’aggravation de la douleur par les manœuvres d’examen peuvent avoir une bonne valeur diagnostique.

– il faut rechercher une hyperalgésie (excès de nociception) et/ou une allodynie (perception douloureuse pour un stimulus indolore).

En cas de désafférentation

L’examen apporte des données décisives en cas de désafférentation :

– l’ anesthésie ou l’hypoesthésie douloureuse ont une topographie qui recouvre, en principe, la structure nerveuse concernée. Il est cependant très fréquent que la douleur ou ses irradiations débordent considérablement le territoire du déficit sensitif objectif : les paresthésies douloureuses, lors des lésions du nerf médian, débordent souvent le territoire tronculaire, ce qui n’élimine absolument pas le diagnostic.

– l’ hyperpathie mise en évidence par l’apparition d’une douleur intense, prolongée, extensive est également très fréquente. Il existe cependant une hyperesthésie au cours de nombreuses douleurs somatiques, voire psychogènes, qui peuvent en imposer pour une hyperpathie.

– les troubles trophiques doivent également être recherchés sous forme de réactions sympathiques (œdème, hypersudation et modifications vasomotrices) qui accompagnent souvent des phénomènes de causalgie (c’est une sensation de brûlure fréquemment qui résulte des lésions nerveuses périphériques). Ils peuvent également être consécutifs au processus pathologique, mais ils modifient de toute façon la stratégie thérapeutique.

ÉVALUATION QUANTITATIVE DE LA DOULEUR :

Les échelles multidimensionnelles permettent une évaluation quantitative et qualitative de la douleur. Leur utilisation est la règle générale dans les centres de prise en charge des patients douloureux.

Melzack a élaboré le “ Mac Gill pain questionnaire ” (MPQ) qui permet une évaluation pluridimensionnelle de la douleur. Il est constitué par une liste de 78 qualificatifs répartis en 20 sous-classes, regroupées en 4 classes : sensorielle, affective, évaluative et diverse (sensori-affective). De nombreuses études cliniques utilisent cet instrument ou ses dérivés. Il existe, en particulier, une adaptation française : le questionnaire douleur Saint-Antoine (QDSA).

Les échelles analogiques visuelles (EVA) sont couramment utilisées.

D’autres évaluations sont possibles : les échelles comportementales et les méthodes d’évaluation électrophysiologique, comme le réflexe de flexion R III, voire les potentiels évoqués somesthésiques.

Certaines techniques quantitatives permettent d’explorer les fibres amyéliniques : thermographie par caméra à infrarouge, microneurographie

Méthodes thérapeutiques

ANTALGIQUES :

On distingue trois catégories de substances antalgiques selon l’Organisation mondiale de la santé.

Antalgiques de niveau I

Les antalgiques de niveau I sont le paracétamol et l’acide acétylsalicylique, auxquels on peut associer les anti-inflammatoires non stéroïdiens.

Antalgiques de niveau II

Les antalgiques de niveau II sont les antalgiques de niveau I associés à des morphiniques “ faibles ” : codéine et dextropropoxyphène.

Récemment, une nouvelle substance a été commercialisée à ce niveau : le tramadol, agoniste morphinique agissant sur les récepteurs mu, capable également d’interférer avec les amines endogènes (antagonisme des récepteurs adrénergiques et sérotoninergiques).

Antalgiques de niveau III

Les antalgiques de niveau III sont les opioïdes : morphine et apparentés.

AUTRES MEDICAMENTS :

Antidépresseurs tricycliques

Parmi les autres médicaments, on dispose des antidépresseurs tricycliques comme l’amitriptyline ou la clomipramine qui exercent un effet antalgique propre, à côté de leur effet sur l’humeur.

Certains antidépresseurs sérotoninergiques (fluvoxamine) pourraient être intéressants mais sont moins documentés.

Certains antiépileptiques

Certains antiépileptiques (la carbamazépine et les benzodiazépines), le baclofène sont actifs sur les névralgies paroxystiques.

Anti-inflammatoires stéroïdiens ou non stéroïdiens

Les anti-inflammatoires stéroïdiens ou non stéroïdiens peuvent être utilisés dans les douleurs avec une composante inflammatoire.

Dans les douleurs neurogènes, certains traitements généraux (méxilétine) ou locaux (capsaicine topique, anesthésiques locaux) peuvent être utiles.

Les alpha-bloquants généraux ou les blocs à la guanéthidine peuvent être utilisés lorsqu’il existe une composante végétative (algodystrophie).

TECHNIQUES CHIRURGICALES

On distingue :

– les interventions ablatives (électrothermie du ganglion de Gasser, thermocoagulations, sections de la voie spinothalamique par cordotomie, voire les thalamotomies ou cortectomies).

– et les méthodes de stimulation électrique chronique : transcutanée, cordonale postérieure, thalamique ou corticale.

AUTRES METHODES:

Les autres méthodes sont extrêmement variées et souvent mal évaluées : psychothérapies, acupuncture, relaxation, hypnose, sophrologie…

Stratégies thérapeutiques

La mise en œuvre des traitements antalgiques sous-entend une évaluation rigoureuse préalable du mécanisme douloureux et de son retentissement.

DOULEURS SOMATIQUES :

Les douleurs somatiques (voir figure 1) sont traitées par les antalgiques cités ci-dessus, selon trois principes.

Traitement permanent pour une douleur chronique

Les médicaments sont administrés trois ou quatre fois sur le nycthémère, à horaires fixes, pour maintenir un niveau d’antalgie constant, et non pas à la demande lorsque la douleur devient insupportable.

Traitement associé pour l’affection en cause

Le traitement associé pour l’affection en cause peut consister en :

– des antispasmodiques pour les douleurs viscérales.

– des anti-inflammatoires et myorelaxants pour les affections rhumatismales.

– des vasodilatateurs pour les douleurs artérielles…

Niveau d’antalgie correspondant à l’intensité de la douleur

Le niveau d’antalgie doit correspondre à l’intensité de la douleur :

– pour un adulte bien portant, des posologies de 1 à 3 grammes d’acide acétylsalicylique ou de paracétamol (niveau I), de 90 à 280 mg de dextropropoxyphène ou de codéine (niveau II) sont habituelles.

– dans les douleurs majeures ou en cas d’échec, les morphiniques seront utilisés d’emblée par voie orale (morphine orale retard permettant deux prises quotidiennes) ou parentérale (injection sous-cutanée toutes les 4 heures) :

– dans le cas des antalgiques de niveau III, l’analgésie contrôlée par le patient peut être intéressante.

– l’auto-administration par le patient réduit l’angoisse et n’augmente pas les posologies.

– dans le cas particulier des douleurs cancéreuses majeures, les effets secondaires des morphiniques (sédation, dépression respiratoire) peuvent amener à choisir l’administration intrathécale par le biais de réservoirs ou de pompes à morphine.

– dans le même cas, lorsque l’espérance de vie est courte, la neurochirurgie ablative (cordotomie) est parfois utile.

DOULEURS NEUROLOGIQUES :

Les douleurs neurologiques (voir figure 2) seront traitées en fonction des données cliniques.

Allodynie et l’hyperalgésie

L’allodynie et l’hyperalgésie sont améliorées par les antalgiques de niveau II et III notamment.

Le caractère durable de la douleur et les effets secondaires des traitements font proposer la capsaicine en administration topique ou la neurostimulation électrique transcutanée.

Décharges douloureuses paroxystiques

Les décharges douloureuses paroxystiques relèvent des antiépileptiques : carbamazépine orale à dose progressive de 400 à 1200 mg/j, clonazépam de 4 à 10 mg, baclofène de 30 à 90 mg.

Douleurs spontanées à type de brûlure

Les douleurs spontanées à type de brûlure, très invalidantes, relèvent des antidépresseurs tricycliques, avec des posologies progressives de 10 à 150 mg d’amitriptyline, en respectant les contre-indications (glaucome, adénome de la prostate, troubles du rythme cardiaque).

Névralgies du V

Dans le cas particulier des névralgies du V, la thermocoagulation, voire l’exploration de la fosse postérieure (libération d’une boucle vasculaire), sont efficaces et permettent d’alléger, voire d’arrêter, le traitement médical.

Dans les cas sévères

Après consultation multidisciplinaire dans un centre de prise en charge des patients douloureux, des interventions de stimulation chronique du système nerveux central peuvent être proposées.

Algoneurodystrophies

Les algoneurodystrophies sont traitées de façon spécifique : calcitonine, alpha-bloquants, blocs à la guanéthidine.

DOULEURS PSYCHOGNES :

L’évaluation psychiatrique préalable permettra d’indiquer, selon les cas, un traitement antidépresseur ou un traitement anxiolytique associé à la prise en charge médicale du patient douloureux.

Conclusion

La prise en charge d’un patient douloureux chronique comporte plusieurs impératifs :

– l’identification du ou des mécanismes douloureux : hypernociception, désafférentation, mécanisme psychogène.

– l’évaluation de la douleur : intensité, durée et retentissement.

– la prise en charge globale associée à un traitement médicamenteux suffisant pour soulager le patient, pouvant utiliser des méthodes chirurgicales dans certains cas.

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