Mycoses métropolitaines

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Introduction :

Sous le terme de « mycoses métropolitaines », nous définissons les infections fongiques dont l’agent pathogène est présent dans l’organisme humain comme saprophyte, ou présent dans l’environnement du territoire métropolitain français.

Cette définition exclut les infections fongiques qui peuvent être contractées dans les territoires et les départements français d’Outre-Mer, situés en zone tropicale ou subtropicale pour la majorité d’entre eux, ou importées d’autres pays.

Mycoses métropolitainesLes principales mycoses cutanéomuqueuses chez le sujet autochtone, immunocompétent, sont de deux ordres : les dermatophytoses et les levuroses, pityriasis versicolor et candidoses.

Cependant, cette définition restrictive a des limites de plus en plus floues.

La plus grande fréquence des séjours à l’étranger, pour des raisons professionnelles ou pour des vacances, la présence d’un grand nombre d’immigrés sur notre territoire, venus de divers pays (Europe de l’Est, Afrique noire, Maghreb, Asie, États-Unis…), ont introduit de nouveaux agents fongiques qui peuvent contaminer des sujets autochtones s’ils sont à transmission interhumaine.

Ceci explique que la variété et l’importance des agents fongiques isolés au laboratoire de mycologie et reconnus comme responsables d’infections cutanées, évoluent, en particulier dans les grandes villes.

Depuis les années 1980, le développement de la toxicomanie, l’infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH), le succès des greffes d’organes et les possibilités de maintien en survie de patients très immunodéprimés par une chimiothérapie anticancéreuse, une corticothérapie à hautes doses, ont également modifié nos connaissances des aspects épidémiologiques, cliniques et thérapeutiques.

Des champignons considérés comme de banals saprophytes de l’environnement ou de l’organisme sont devenus de redoutables pathogènes sur de tels terrains.

Au cours des mycoses qu’ils induisent (alternariose, candidose cutanée des héroïnomanes, fusariose, pénicilliose, histoplasmose…), les lésions cutanées ou muqueuses, primitives ou secondaires, représentent souvent une des expressions cliniques majeures.

Même les dermatophytoses doivent être reconnues sur de nouveaux aspects sémiologiques.

Dermatophytoses :

A – GÉNÉRALITÉS :

Ce sont des mycoses superficielles cutanées dues à des champignons filamenteux microscopiques, kératinophiles, les dermatophytes.

Les dermatophytes sont responsables de lésions de la peau glabre, qu’il s’agisse des plis ou d’autres régions du corps, et des phanères, régions pileuses et ongles.

Certaines espèces ne parasitent que l’être humain, d’autres sont des parasites préférentiels de certains animaux ou du sol mais peuvent accidentellement se transmettre à l’homme.

Les dermatophytoses résultent toujours d’une contamination.

L’atteinte cutanée résulte de deux mécanismes : la pénétration mécanique du champignon sous forme de spores qui produisent un mycélium dans le stratum corneum, et la dégradation de la kératine par des enzymes lytiques tels que des protéinases extracellulaires.

Les symptômes et lésions cliniques observés traduisent la réponse immunitaire du patient (réaction d’hypersensibilité immédiate ou retardée) face à ce parasitisme fongique.

B – ATTEINTE DE LA PEAU GLABRE :

1- Atteinte de la peau glabre en dehors des plis :

Quelle qu’en soit la localisation, tronc, membres ou visage, les lésions dermatophytiques de la peau glabre ont en commun le prurit, souvent féroce, et la présence d’une bordure très évocatrice, érythémato-vésiculo-squameuse d’évolution centrifuge, alors que le centre est en voie de guérison. Elles réalisent des lésions arrondies (anciennement appelées « herpès circiné ») ou des placards géographiques à bordure circinée.

Les symptômes s’observent une quinzaine de jours après le contact infectant.

La source de contamination peut être animale, tellurique ou humaine.

Dans ce dernier cas, le patient peut être sa propre source de contamination et la localisation à la peau glabre indique le plus souvent l’extension d’une dermatophytose méconnue des pieds qui doit être recherchée de principe.

2- Atteinte des plis ou intertrigo :

L’intertrigo interorteils est le plus fréquent.

Il est presque toujours la source primaire des dermatophytoses des pieds qui, dans notre expérience, représentent 60 % environ des dermatophytoses humaines.

L’invasion du stratum corneum par le dermatophyte est sûrement favorisée par la chaleur et l’humidité, responsables d’une macération dans ce site anatomique, et par les microtraumatismes répétés.

Trois dermatophytes à transmission interhumaine dominent cette pathologie : Trichophyton rubrum (85-90 % des cas), T. interdigitale (10-15 % des cas) et Epidermophyton floccosum (5 % des cas).

La contamination résulte sans doute d’une marche pieds nus dans un local infecté par l’abandon, sur le sol, de minuscules squames parasitées provenant d’un autre pied.

Ainsi, les lieux collectifs (piscines, bains-douches, douches collectives, salles de sports pratiqués pieds nus, locaux de cure thermale, mosquées…) où règnent chaleur et humidité et où les hommes marchent pieds nus, favorisent la transmission.

Cependant, plusieurs enquêtes menées dans des piscines ont surtout permis d’isoler T. interdigitale des différents sites prélevés.

La transmission de T. rubrum, agent responsable de plus des deux tiers des infections du pied, serait plutôt familiale (salle de bain, tapis de bain, chaussons…).

Une enquête familiale est justifiée. E. floccosum parasite plutôt les adolescents ou les adultes jeunes.

Quelques enquêtes ont montré sa grande diffusion dans des collectivités telles que les casernes ou les pensionnats. L’intertrigo interorteils prend des aspects variés : simple desquamation, fissures, couenne blanche, vésiculobulles.

Les troisièmes et quatrièmes espaces sont préférentiellement atteints car ce sont les espaces physiologiquement les plus fermés et les plus macérés, mais tous les espaces peuvent l’être.

Le prurit est variable. L’intertrigo interorteils est une source potentielle de complications.

Les dermatophytes sécrètent des substances pénicilline-like et streptomycine-like qui favorisent la multiplication de bactéries saprophytes des espaces interorteils pénicillinorésistantes.

Celles-ci à leur tour inhibent la multiplication des dermatophytes par sécrétion de substances soufrées.

L’intertrigo interorteils est une porte d’entrée bactérienne par altération de la barrière cutanée pouvant être responsable d’érysipèle, de jambe en particulier.

L’intertrigo interorteils est un foyer de contamination primitif à partir duquel la dermatophytose s’étend à l’ensemble du pied : plante, bords du pied ou dos du pied (anciennement appelé « pied d’athlète »), voire à d’autres régions du corps.

Au niveau de la plante et du bord du pied, se développe une desquamation ou une hyperkératose d’épaisseur variable (T. rubrum), parfois des lésions dysidrosiques vésiculobulleuses (T. interdigitale).

L’atteinte unilatérale est en faveur du diagnostic de dermatophytose.

Le prurit est variable.

Sur le dessus du pied, la lésion est arciforme, d’extension centrifuge, prurigineuse, à cheval sur les espaces atteints.

Une contamination main-pieds est possible, en particulier avec T. rubrum (two feet, one hand).

Dans ce cas, l’atteinte palmaire est d’abord unilatérale, siège d’une desquamation ou d’une hyperkératose prenant un aspect farineux au niveau des plis de flexion.

Le dermatophyte est présent dans les lésions palmaires. Le plus souvent, l’atteinte palmaire est de type dysidrosique, vésiculobulleuse, bilatérale, mais elle n’est alors qu’une manifestation allergique ou « ide », à distance de l’atteinte du pied.

Le dermatophyte est absent des lésions. L’extension de la dermatophytose à d’autres sites est également possible. D’autres plis peuvent être atteints : plis inguinaux (anciennement appelé « eczéma marginé de Hébra »), pli interfessier, plus exceptionnellement plis abdominaux, sousmammaires ou axillaires.

La localisation aux plis inguinaux est parfois unique (E. floccosum).

Des localisations de la peau glabre associées sont observées (abdomen, membres, visage), ainsi que des atteintes phanériennes (onychomycoses des orteils et des doigts, folliculite des cuisses et des fesses).

C – ATTEINTE DES PHANÈRES : ATTEINTES PILAIRE ET UNGUÉALE

1- Atteinte pilaire :

* Folliculites des cuisses et des fesses :

Elles ne présentent pas cliniquement de caractères différentiels des folliculites bactériennes, mais elles s’intègrent habituellement dans un tableau de dermatophytose étendue à l’abdomen.

Le prélèvement mycologique confirme leur origine fongique.

* Atteintes pilaires du cuir chevelu ou tinea capitis :

Elles sont l’apanage de l’enfant avant la puberté et de la femme, à l’exception de la teigne favique qui peut se prolonger au-delà de la puberté, quel que soit le sexe.

L’infection débute à la surface du tégument puis les filaments mycéliens, en suivant la couche cornée qui devient la gaine externe du cheveu, pénètre la zone kératinisée du follicule pileux, traverse la cuticule pour envahir la tige pilaire.

Les teignes tondantes microsporiques réalisent de grandes plaques arrondies, recouvertes de squames grisâtres sur lesquelles les cheveux sont régulièrement cassés à quelques millimètres du revêtement cutané.

Les agents responsables sont des Microsporum sp. (surtout M. canis, M. langeronii).

L’examen avec une lampe à rayons ultraviolets montre une fluorescence jaune-verte des cheveux parasités.

Les teignes tondantes endothrix sont plus difficiles à diagnostiquer : elles se présentent sous forme de petites plaques squamocroûteuses sèches ou purulentes au sein desquelles se trouvent les cheveux parasités, cassés très courts.

Les agents responsables sont des Trichophyton sp. (surtout T. soudanense, T. violaceum, et plus récemment T. tonsurans).

Les teignes inflammatoires ou kérions réalisent un placard inflammatoire, purulent, de survenue brutale, réalisant une sorte de « macaron » en relief, ponctué d’orifices pilaires dilatés d’où sourd du pus avec expulsion des cheveux dans la forme majeure du kérion de Celse.

Des adénopathies inflammatoires satellites sont souvent palpables, sans surinfection bactérienne ajoutée.

Les agents fongiques responsables sont divers : anthropophiles, zoophiles ou géophiles.

Une teigne inflammatoire peut survenir après traitement intempestif par corticothérapie locale d’une banale teigne squameuse méconnue.

La teigne favique, dont le diagnostic devient très rare en France, est facile à reconnaître dans son aspect typique : plaques alopéciques érythématosquameuses avec présence de « godets faviques », dépressions cupuliformes recouvertes de croûtes molles et jaunâtres. Mais il existe aussi des formes pityroïdes pseudopelliculaires.

L’agent est T. schoenleinii.

Il existe des aspects trompeurs des teignes du cuir chevelu, parce que l’application de topiques locaux a modifié la symptomatologie d’origine ou parce qu’il s’agit d’aspects frustes.

C’est ainsi que de nombreuses mères africaines (50 % environ) n’ont qu’un état pelliculaire diffus.

Ceci s’observe en particulier avec T. soudanense et M. langeronii.

2- Atteinte pilaire ou teigne de la barbe :

C’est l’homme adulte qui est atteint.

La lésion est généralement inflammatoire, pustulocroûteuse.

Divers agents fongiques sont responsables.

3- Atteinte unguéale :

Il est désormais admis que les onychomycoses représentent 50 % des onychopathies.

Elles ne représentent pas un simple problème esthétique mais souvent un problème socioprofessionnel.

L’envahissement par le dermatophyte débute presque toujours au niveau de l’hyponychium, zone jonctionnelle entre la kératine pulpaire et le lit unguéal (atteinte latérodistale).

Il en résulte une hyperkératose sous-unguéale, puis une onycholyse par détachement de la tablette de son lit.

La tablette est ensuite progressivement envahie jusqu’à la zone matricielle (onychomycodystrophie totale).

L’onychomycose leuconychique superficielle et l’onychomycose proximale sont plus rares.

Les ongles des orteils et les ongles des doigts sont atteints respectivement dans 80 % et 20 % des cas.

L’atteinte est mixte dans 3 % des cas.

La confirmation du diagnostic d’onychomycose à dermatophytes par l’examen mycologique est indispensable.

L’examen clinique est généralement insuffisant pour différencier une onychomycose à dermatophytes d’une autre onychopathie (psoriasique, traumatique…) ou d’une onychomycose due à un autre champignon (Fusarium sp., Scytalidium sp., Scopulariopsis sp…), dont la sanction thérapeutique est différente.

D – CHEZ LE PATIENT IMMUNODÉPRIMÉ :

Il est bien établi que l’immunité à médiation cellulaire joue un rôle prépondérant dans les mécanismes de défense au cours des infections à dermatophytes.

Les cellules de Langerhans sont certainement nécessaires à la présentation des antigènes fongiques aux lymphocytes impliqués dans la réaction immune spécifique.

C’est pourquoi l’infection par le VIH devrait constituer un terrain privilégié au développement des dermatophytoses humaines, puisqu’elle est responsable d’un dysfonctionnement et d’une diminution du nombre des lymphocytes CD4 et des cellules de Langerhans infectés.

Pourtant, si la plupart des auteurs classent les dermatophytoses parmi les cinq affections cutanées les plus fréquemment rencontrées au cours de l’infection par le VIH, seulement un petit nombre d’études prospectives en a établi la fréquence. Celle-ci varie de 2,2 à 50 % (moyenne autour de 30 %).

Bien qu’un auteur ait corrélé la survenue d’une dermatophytose avec le nombre des lymphocytes CD4 (450/mm3), la plupart des auteurs ne trouvent pas de relation avec le stade de la maladie VIH au cours des atteintes localisées.

En revanche, les atteintes disséminées sont décrites chez des patients ayant moins de 200 lymphocytes CD4/mm3.

Si l’aspect clinique ne diffère pas des autres patients dans les localisations classiques (pieds, interorteils, plis inguinaux), la symptomatologie est volontiers polymorphe et atypique dans les autres localisations.

Au niveau du visage et du thorax, les lésions ont souvent l’aspect trompeur d’une dermite séborrhéique.

Des aspects d’érythème polymorphe et de folliculite érythématopapuleuse ou pustuleuse sont rapportés.

La bordure inflammatoire et la desquamation typique d’une dermatophytose de la peau glabre peuvent manquer.

Des teignes du cuir chevelu chez des hommes sont rapportées.

L’onychomycose est atypique dans sa localisation et par son évolution.

Il s’agit dans la majorité des cas d’une leuconychie proximale sous-unguéale envahissant rapidement la tablette unguéale de plusieurs ongles.

Ce type d’atteinte est rare dans la population normale.

Les agents fongiques habituellement responsables, T. rubrum, T. interdigitale et E. floccosum, ont une répartition identique en fréquence à celle de la population normale, mais le biparasitisme apparaît plus fréquent.

Des atteintes disséminées à M. canis et à M. gypseum sont décrites.

Ces dermatophytoses sont normalement sensibles aux antifongiques prescrits dans cette indication, mais tous les auteurs soulignent leur caractère récidivant et proposent des traitements prolongés.

Dans quelques atteintes disséminées, un échappement thérapeutique est constaté.

De telles atypies sont habituelles chez d’autres patients avec une défaillance du système lymphocytaire T (patients avec un lymphome, ayant bénéficié d’une greffe d’organe ou traités par corticoïdes…).

E – QUAND PRATIQUER UN EXAMEN MYCOLOGIQUE ?

Le clinicien doit adresser son patient au laboratoire de mycologie :

– pour les dermatophytoses de la peau glabre, chaque fois que l’examen clinique n’autorise pas une certitude diagnostique ou si un traitement bien conduit, administré pour une autre pathologie, ne fait pas sa preuve, car il existe de multiples aspects des dermatophytoses, simulateurs d’autres affections cutanées ;

– dans les atteintes pilaires et unguéales, l’examen mycologique est toujours pratiqué car ces localisations justifient un traitement systémique ou un traitement prolongé et coûteux qui ne souffre pas d’erreur diagnostique.

Quelques recommandations pour un bon examen mycologique.

La valeur de l’examen mycologique est conditionnée par la qualité du prélèvement, et quelques règles d’usage doivent être respectées :

– le prélèvement doit être effectué avant toute application locale d’un antifongique ou même d’un antiseptique et avant toute administration d’un traitement systémique.

Si une telle prescription a déjà été faite, une fenêtre thérapeutique est indispensable (15 jours pour un topique classique, 3 mois pour une solution filmogène, 30 jours pour un antifongique systémique, griséofulvine et kétoconazole, et 3 mois pour la terbinafine !) ;

– une toilette avec un savon neutre doit être faite le matin de l’examen.

Celle-ci évite, lors de l’examen mycologique, de prélever les moisissures de l’environnement, omniprésentes, qui ont sédimenté sur la peau et dont la pousse, plus rapide sur les milieux de culture, oblitère celle, plus lente, du dermatophyte recherché.

Le résultat du laboratoire comprend les résultats de l’examen direct et de la culture.

La culture nécessite un délai de 3 semaines pour l’identification des dermatophytes.

En cas d’urgence thérapeutique, le résultat de l’examen direct peut être obtenu en 24 heures.

Sa positivité indique la présence d’un champignon mais ne préjuge pas de l’espèce.

S’il y a discordance entre la symptomatologie clinique et le résultat du laboratoire, il est préférable de renouveler le prélèvement pour confirmation.

Au vue du résultat de l’examen mycologique, le patient bénéficie du meilleur traitement pour ses lésions cutanéophanériennes.

F – TRAITEMENT :

Un traitement simple permettant d’obtenir une bonne compliance de la part du patient et un suivi clinique attentif du médecin sont les meilleurs garants de la guérison.

Dans tous les cas, le traitement, pour être curatif, est poursuivi jusqu’à complète guérison clinique ; c’est habituellement une affaire de temps.

Pour le traitement local, nous disposons de très nombreux topiques antifongiques efficaces sur les dermatophytes (dérivés azolés, tolnaftate, ciclopiroxolamine, amorolfine, terbinafine).

Les formes galéniques sont diverses.

Le choix du médicament et de la forme galénique dépend des habitudes de chaque médecin.

Pour le traitement systémique, trois médicaments disponibles par voie orale sont actifs sur les dermatophytes : la griséofulvine et le kétoconazole, la terbinafine.

Schémas thérapeutiques :

La décision thérapeutique tient compte de plusieurs paramètres : la localisation des lésions, leur étendue, leur pluralité, la mesure calculée du risque d’un traitement antifongique systémique et des examens biologiques de surveillance nécessaires, parfois le coût.

S’il s’agit d’un intertrigo interorteils, d’un intertrigo inguinal, d’une ou de quelques lésions de la peau glabre, un traitement local peut être suffisant.

En cas d’atteinte palmoplantaire ou d’atteinte disséminée de la peau glabre, le seul traitement local est généralement insuffisant.

S’il y a atteinte pilaire, teigne ou folliculite, le traitement systémique est indispensable.

En cas d’atteinte unguéale partielle respectant totalement la matrice (respect de le région lunulaire), un traitement local peut être tenté par une crème sous occlusion après destruction de la partie parasitée ou par une solution filmogène si l’hyperkératose sous-unguéale n’est pas trop importante.

En cas d’atteinte unguéale matricielle, le traitement systémique est nécessaire au moins jusqu’à stérilisation de la zone matricielle.

Il peut relayé ou être associé au traitement local. Des mesures préventives complètent le traitement curatif pour obtenir une guérison durable :

– tous les foyers infectieux fongiques présents chez le patient sont recherchés et traités simultanément ;

– tous les foyers de réinfestation sont supprimés (tapis de bain, chaussons, chaussures mises pieds nus dans lesquelles le champignon est bien présent pour les dermatophytoses des pieds, peigne, brosse, capuche, bonnet et tondeuse pour les teignes…) ;

– tous les sujets et les animaux infectés dans l’entourage, source de transmission, sont traités en cas de teigne ou de localisations de la peau glabre.

Des recommandations de lutte contre l’humidité, facteur d’entretien des dermatophyties des plis, sont prodiguées (séchage attentif, poudre antitranspiration…).

Pityriasis versicolor :

A – GÉNÉRALITÉS :

C’est une mycose superficielle, bénigne, cosmopolite, due à Malassezia spp.

Deux espèces du champignon étaient autrefois distinguées, Pityrosporon orbiculare et P. ovale, mais des analyses génomiques menées en 1989 (Guého et Meyer) ont montré qu’il s’agissait d’une même levure, Malassezia.

Cependant, il faut savoir que la taxonomie des Malassezia spp. fait l’objet d’analyses approfondies en biologie moléculaire : il y aurait au moins sept espèces différentes dont plusieurs pourraient coloniser l’homme.

Ce nouveau concept mérite des précisions et ce chapitre justifie une mise au point dans les années à venir.

Nous traitons le chapitre en fonction de nos connaissances actuelles et nous utilisons le terme de Malassezia spp. plus juste que celui de Malassezia furfur.

Malassezia spp. est une levure de la peau faisant partie de la flore résidente normale commensale de tout être humain, sans doute depuis la période néonatale.

Son habitat naturel est essentiellement le follicule pilosébacé. Elle est dite lipophile car sa croissance nécessite la présence d’acides gras libres (C 12-C 16).

Comme bien d’autres micro-organismes de la flore cutanée normale, Malassezia spp. aurait une activité lipasique capable de libérer des acides gras à partir des triglycérides du sébum.

Ceci explique que la colonisation du tégument augmente dans la période pubertaire.

Elle est très basse avant et diminue chez le sujet âgé lorsque la production de sébum baisse.

La maladie appelée « pityriasis versicolor » est due à la transformation de cette levure dimorphique d’une phase levure saprophyte en une phase filamenteuse pathogène.

Les filaments envahissent le stratum corneum à la fois entre et dans les cornéocytes.

Il en résulte des lésions cliniquement visibles.

B – CLINIQUE :

La lésion élémentaire est une macule arrondie, à limites nettes, de quelques millimètres de diamètre.

Elle débute autour d’un follicule pilaire et grandit de façon centrifuge.

La confluence des macules réalisent des lésions de taille variable allant d’un aspect en « goutte » à de grandes nappes à contours polycycliques. Au début la teinte varie du rose chamois au brun « café au lait » foncé.

Puis, après un certain temps d’évolution, les lésions deviennent achromiques et sont particulièrement inesthétiques sur une peau bronzée ou noire.

Les lésions actives sont toujours finement squameuses, mais cette desquamation n’apparaît souvent qu’après grattage (signe du « copeau »).

L’hyperpigmentation serait due à l’hyperkératose ou à la présence de mélanocytes contenant des mélanosomes plus riches en mélanine.

La forme achromiante pourrait être due à la production par le champignon d’acide azélaïque qui est un inhibiteur compétitif de la tyrosinase impliquée dans la production de mélanine.

La persistance in situ d’un nombre normal de mélanocytes fonctionnels (contrairement au vitiligo) explique la réversibilité de l’achromie après traitement de la mycose.

En liaison avec le caractère lipophile du champignon, l’atteinte siège préférentiellement dans les zones cutanées les plus riches en glandes sébacées : partie haute du tronc, cou, bras, région sous-mammaire.

Mais la face, la partie basse du tronc, le dos des mains, les membres inférieurs sont parfois touchés. Seules les paumes et plantes sont toujours indemnes.

La maladie sévit dans toutes les races et les deux sexes sont également atteints.

En dehors du caractère inesthétique, la maladie est asymptomatique.

Un prurit est signalé seulement lors d’atteintes folliculaires diffuses.

Celles-ci se traduisent par la présence de minuscules macules de 2 mm de diamètre entourant l’orifice des follicules pilaires du tronc et parfois des membres.

C – FACTEURS FAVORISANTS :

Le pityriasis versicolor n’est pas une maladie contagieuse : c’est une infection opportuniste.

Cette notion implique qu’elle ne se développe qu’en présence de conditions locales ou générales favorisantes, propres au patient.

Ces dernières demeurent encore mal connues. Les lipides cutanés, comme les triglycérides et les acides gras libérés par les glandes sébacées ou le cholestérol et ses esters produits par la décomposition des kératinocytes, jouent sûrement un rôle important.

C’est une explication pour la prévalence de la maladie entre 18 et 40 ans, alors qu’elle est rare avant la puberté et chez le vieillard.

Des études concernant la qualité du film lipidique cutané manquent chez les patients atteints de pityriasis versicolor.

L’utilisation d’huiles corporelles, solaires en particulier, mérite sûrement des études complémentaires pour déterminer leur implication éventuelle.

La sécrétion sudorale intervient également.

Les zones sèches de la peau sont moins atteintes.

La pratique d’activités responsables d’une sudation importante (sauna, hammam, sports intensifs…) est souvent retrouvée à l’interrogatoire.

La maladie se développe plus volontiers pendant les mois d’été en Europe.

Les facteurs climatiques sont aussi concernés.

En zone tropicale ou subtropicale où règnent chaleur et humidité, l’infection est si fréquente qu’un nom spécifique lui a été attribué (« lota » aux Antilles, « loto » au Zaïre).

Des modifications hormonales sont retrouvées. Une fréquence anormale de la maladie et de formes diffuses est associée à un hypercorticisme, qu’il soit endogène (syndrome de Cushing, grossesse) ou iatrogène (corticothérapie).

Une prédisposition génétique peut expliquer la présence de cas familiaux où plusieurs membres d’une même filiation (ne vivant pas ensemble) sont atteints, alors que les cas conjugaux sont très rares.

La possibilité d’anomalies immunitaires a été avancée par certains auteurs, mais elle reste à démontrer.

D – RECHUTES :

Elles demeurent un problème majeur.

En dehors d’une mauvaise observance du traitement, les rechutes s’expliquent par une recolonisation du tégument alors qu’il persiste un terrain cutané propice au développement de la maladie.

Cette recolonisation est possible à partir de lésions infracliniques non traitées, de gîtes fongiques persistants dans des follicules pilosébacés, ou peut-être par réensemencement de la peau, habitat naturel de la levure, à partir de celle du conjoint, porteur sain.

C’est pourquoi si un patient rechute, il est indispensable de prévenir d’autres rechutes par un traitement préventif.

E – DIAGNOSTIC MYCOLOGIQUE :

Dans la majorité des cas, le diagnostic est aisé, mais certaines atteintes, atypiques dans leur présentation clinique ou leur localisation, justifient une confirmation biologique.

Différents diagnostics différentiels peuvent être évoqués :

– pour les lésions très pigmentées : érythrasma ou papillomatose réticulée dans les atteintes des plis, ou chloasma sur le visage ;

– pour les lésions achromiques : vitiligo, dartres achromiantes et autres hypomélanoses acquises telles qu’une hypopigmentation postinflammatoire ou même une banale dyschromie de débronzage.

L’examen en lumière ultraviolette avec une lampe de Wood révèle une fluorescence pâle jaune verdâtre, dorée dans le pityriasis versicolor actif non traité.

Elle permet en outre d’apprécier l’étendue des lésions sous-estimée à l’oeil nu.

Mais la fluorescence peut manquer ou être faussement positive après application de topiques locaux fluorescents.

Rappelons que la fluorescence est rose corail dans un érythrasma et blanc cru dans un vitiligo.

La méthode du « scotch-test » est déterminante.

L’application d’un ruban adhésif transparent sur les lésions préalablement grattées visualise au microscope le champignon dans sa phase pathogène : filaments courts à paroi épaisse et levures en forme de « bouteilles » groupées en grappes.

Il est également possible d’examiner au microscope les squames, obtenues par grattage, placées entre lame et lamelle dans une goutte de potasse aqueuse à 30-40 % ou dans le noir chlorazol.

L’observation microscopique est la même.

En revanche, la culture sur milieu enrichi en lipides (milieu de Sabouraud + huile d’olive, milieu de Dixon…) n’est pas un moyen diagnostique.

Elle objective l’intensité de la colonisation sur un site cutané mais ne préjuge nullement du caractère saprophyte ou pathogène de Malassezia spp.

F – TRAITEMENT :

1- Traitement des formes localisées ou étendues :

Le traitement local est le plus souvent suffisant.

Plusieurs possibilités thérapeutiques existent :

– modification du terrain cutané par un dérivé soufré comme le sulfure de sélénium, à raison de deux applications par semaine, 3 semaines de suite ;

– application d’un antifongique actif sur Malassezia spp. : dérivé imidazolé, ciclopiroxolamine, tolnaftate, terbinafine.

Les lotions, solutions ou gels moussants antifongiques sont les formes galéniques les plus adaptées.

L’application a lieu une à deux fois par jour pendant 2 à 3 semaines.

En pratique courante, le traitement le plus utilisé est le Kétodermt, gel moussant monodose, à raison de deux applications espacées de 1 ou 2 semaines.

2- Traitement des formes résistantes au traitement local :

Cependant, dans les formes étendues, récidivantes ou folliculaires, le traitement local seul peut être inefficace.

Un traitement systémique peut alors être proposé : kétoconazole (Nizoralt, un comprimé par jour pendant 10 jours), en respectant les contre-indications habituelles du médicament.

La terbinafine n’est pas active par voie orale dans cette indication.

3- Prévention des rechutes :

Elles font appel à l’application répétée d’un antifongique topique actif, mais aucun schéma n’est clairement établi.

L’information du patient fait partie du traitement.

En matière de pityriasis versicolor, il est indispensable de fournir des explications au patient.

Il doit être informé des points suivants, afin qu’il comprenne mieux sa maladie :

– c’est une infection bénigne simplement inesthétique ;

– elle est due à un champignon normalement présent sur la peau ;

– son développement à l’état pathogène est responsable des symptômes cliniques et lié à une modification des conditions cutanées locales propres au patient.

C’est pourquoi il peut y avoir des rechutes qu’il faut prévenir ;

– la maladie n’est pas contagieuse et ne « s’attrape pas sur les plages » ;

– l’hypopigmentation persiste malgré l’efficacité du traitement mais elle est réversible : la peau se recolore naturellement en plusieurs mois ou plus rapidement si le patient s’expose au soleil.

Candidoses cutanéomuqueuses superficielles :

A – GÉNÉRALITÉS :

Les formes cliniques très variées des candidoses résultent toutes d’interactions complexes entre le Candida et un hôte devenu susceptible à l’infection pour des raisons diverses.

La candidose est une infection opportuniste ; trois stades doivent être distingués :

– saprophytisme : la levure, sous forme de blastospores, est normalement présente dans le site, en faible quantité, en équilibre avec la flore locale des autres micro-organismes ;

– colonisation : la levure se multiplie, sous forme de blastospores, en quantité plus importante qu’habituellement, parce que des conditions locales le lui permettent ; c’est le terrain qu’il faut traiter ; cette colonisation traduit une situation locale anormale ;

– infection proprement dite ou candidose : c’est le passage d’un état saprophytique à un état parasitaire ; la levure développe une forme pseudofilamenteuse ou filamenteuse ; elle est capable d’adhérence et d’envahissement tissulaire ; elle est responsable des symptômes observés ; il faut traiter la candidose et évaluer les facteurs de risque, exogènes ou endogènes.

Le Candida spp. est une levure (élément unicellulaire bourgeonnant ou blastospore) à l’état saprophyte qui, lorsqu’elle devient pathogène, prend une forme pseudofilamenteuse ou filamenteuse, à l’exception de C. glabrata (anciennement Torulopsis glabrata) qui ne filamente pas. C. albicans et C. glabrata sont des endosaprophytes naturels du tube digestif. C. albicans ne se trouve pas sur la peau dans des conditions normales.

Les autres espèces de Candida spp. (C. tropicalis, C. parapsilosis, C. pseudotropicalis, C. krusei, C. guillermondii…) peuvent survivre et se multiplier dans le tube digestif.

Leur source est surtout alimentaire. Ils sont aussi présents sur la peau, en particulier C. parapsilosis et C. guillermondii.

B – CANDIDOSES CUTANÉES :

1- Clinique :

Les candidoses cutanées se traduisent avant tout par des intertrigo des grands plis (plis inguinaux, abdominaux, sous-mammaires, axillaires, interfessier), et des petits plis (commissure labiale, anus, espaces interdigitaux, rarement espaces interorteils).

Les symptômes sont identiques : la lésion débute au fond du pli et s’étend de part et d’autre sur les surfaces cutanées adjacentes.

Habituellement, la peau est érythémateuse, d’aspect vernissé et suintant, fissurée au fond du pli qui est recouvert d’un enduit blanchâtre.

Parfois, les lésions cutanées sont sèches et desquamatives.

Cliniquement, les contours irréguliers des lésions, limitées par une bordure en « collerette desquamative », et la présence de petites papulopustules satellites disséminées sur la peau saine environnante sont très évocateurs de candidose cutanée.

L’évolution est subaiguë et le patient se plaint d’une sensation de brûlure, voire de douleur ou de prurit.

2- Circonstances favorisantes :

L’altération du revêtement cutané favorise l’invasion superficielle de la peau par le Candida spp., presque toujours C. albicans, espèce la plus pathogène pour l’être humain.

Au niveau des mains, les modifications de cette barrière naturelle résultent de contacts répétés avec l’eau, de traumatismes mécaniques ou chimiques, d’application de jus de citron sucré et acide utilisé dans le blanchiment de la peau, d’une corticothérapie locale ou générale.

Les intertrigos des grands plis sont en relation avec l’humidité, la macération ou l’extension à la peau d’une candidose muqueuse digestive ou génitale.

3- Cas particuliers :

* Chez le nourrisson :

Les candidoses génitofessières, infections fréquentes, débutent autour de l’anus puis s’étendent aux plis inguinaux et à l’ensemble du siège.

Les lésions sont érythémateuses et papulopustuleuses, suintantes, parfois exulcérées avec un enduit blanchâtre recouvrant le fond du pli.

C’est souvent la complication d’une candidose digestive postantibiothérapie.

La macération due aux couches facilite son extension. Un muguet buccal associé doit être recherché.

* Chez le nouveau-né :

La candidose néonatale par contamination in utero est une infection rare mais plus impressionnante que grave dans la majorité des cas.

L’éruption évolue en trois stades : maculopapuleux, puis pustuleux en particulier aux extrémités et enfin desquamatif.

* Candidoses mucocutanées chroniques (CMCC) :

Infections très rares, elles sont liées à un dysfonctionnement immunitaire.

Il ne s’agit pas d’une entité unique mais d’une expression clinique, commune à de multiples anomalies génétiques de l’immunité à médiation cellulaire, débutant dans le jeune âge.

Les muqueuses, la peau et les ongles peuvent être atteints.

Un muguet buccal, une vaginite, une paronychie avec envahissement hyperkératosique de la lame unguéale sont les symptômes les plus fréquents.

S’il y a atteinte cutanée, les lésions d’abord érythématosquameuses deviennent papillomateuses et verruqueuses, prédominant sur la face, le cuir chevelu et les extrémités.

Elles peuvent s’étendre sur le tronc en nappes trichophytoïdes.

C – CANDIDOSES UNGUÉALES :

1- Clinique :

Le plus souvent, l’atteinte débute par un périonyxis (paronychie), tuméfaction douloureuse de la zone matricielle et du repli susunguéal, d’où peut sourdre du pus à la pression.

L’évolution se fait par poussées, sur un mode subaigu ou chronique.

La tablette unguéale est parasitée secondairement et chaque poussée est traduite par un sillon transversal.

L’ongle peut prendre une teinte jaune verdâtre, marron ou noire, surtout dans les zones latérales et proximales. C. albicans est presque toujours l’agent fongique responsable.

Une surinfection bactérienne est possible, en particulier avec Pseudomonas aeruginosa, donnant à l’ongle une teinte bleu-noir. Plus rare est l’atteinte unguéale sous forme d’une onycholyse latérodistale.

La tablette unguéale n’adhère plus au lit sur une surface d’étendue variable.

Si la culture mycologique permet d’isoler C. albicans, on peut penser qu’il en est responsable.

Mais si une autre espèce de Candida est isolée en culture, il est probable qu’elle n’est qu’un simple agent de surinfection et que la cause de l’onycholyse est autre.

Les atteintes unguéales candidosiques siègent préferentiellement aux doigts.

Elles sont rares aux orteils.

2- Circonstances favorisantes :

À côté des circonstances favorisantes des candidoses cutanées des mains, il faut ajouter les traumatismes physiques ou chimiques de la cuticule.

D – CANDIDOSES PILAIRES :

La possibilité d’un parasitisme pliaire par C. albicans sous forme filamenteuse a été démontrée pour la première fois au cours des folliculites éruptives à C. albicans décrites en France dans les années 1980 chez des héroïnomanes.

Il s’agit d’une éruption pustuleuse diffuse des régions pilaires prédominant au niveau du cuir chevelu et de la barbe, douloureuse, pouvant s’accompagner d’adénopathies satellites inflammatoires et d’oedème du visage.

Elle survient dans ou après un contexte hautement fébrile chez des toxicomanes s’injectant de l’héroïne « brune ».

Ces lésions témoignent en fait d’une dissémination de la levure par voie hématogène. Des localisations profondes (oculaires, endocardiques, ostéoarticulaires…) peuvent s’observer.

Aucune explication pathogénique satisfaisante n’est fournie à ce jour.

Des cas identiques sont rapportés chez des patients non toxicomanes mais moyennement immunodéprimés (patients opérés, sous corticothérapie).

E – CANDIDOSES DES MUQUEUSES :

1- Candidoses oropharyngées :

* Clinique :

La manifestation la plus commune est le muguet ou candidose pseudomembraneuse aiguë.

Sur une muqueuse érythémateuse apparaissent de petites plages blanches « lait caillé » plus ou moins adhérentes qui sont constituées d’un enchevêtrement de pseudomycélium et de blastospores de C. albicans.

Localisées initialement (face interne des joues, gencives, palais, piliers des amygdales…), elles peuvent s’étendre à toute la cavité buccale et au pharynx.

Les symptômes sont généralement absents au début, puis le patient se plaint de brûlures, de perte du goût, de pharyngite et de dysphagie. Une perlèche et une chéilite sont parfois associées.

Chez le patient infecté par le VIH, le muguet buccal est volontiers très extensif et chronique.

Il peut se compliquer d’une oesophagite candidosique.

Le muguet est en relation avec le nombre de CD4 (inférieur à 200/mm3) et le stade de la maladie.

Depuis l’avènement des nouvelles thérapies antivirales, la fréquence de cette infection a fortement diminué.

À côté de cette forme classique, d’autres états inflammatoires de la cavité buccale sans dépôt pseudomembraneux sont rapportés à l’infection candidosique (stomatite, glossite atrophique ou losangique…).

Dans ces cas, il est difficile de savoir s’il s’agit d’une candidose ou d’une colonisation secondaire par le Candida spp. d’un état inflammatoire de la muqueuse buccopharyngée relevant d’une autre pathologie.

La langue villeuse noire ou marron témoigne d’une hypertrophie et d’une oxydation des papilles linguales.

Si une colonisation fongique par des levures (Candida spp. ou Geotrichum candidum) paraît expliquer certains cas survenus après la prise d’antibiotiques, le plus souvent aucune cause n’est décelée, mais l’on peut souvent noter la présence de problèmes psychologiques contemporains dont l’évolution est parallèle.

Le granulome candidosique est une entité rare qui réalise une lésion bourgeonnante blanchâtre de la langue ou de la muqueuse jugale.

* Facteurs favorisants :

De nombreux facteurs endogènes et exogènes, souvent intriqués, favorisent la prolifération des levures puis leur passage à l’état pathogène.

L’immaturité du système immunitaire et le développement incomplet de la flore commensale dans la période néonatale, la multiplicité des facteurs favorisants chez le sujet âgé, expliquent la fréquence du muguet aux âges extrêmes de la vie.

Toute altération de la muqueuse digestive telle que sécheresse buccale, dyskinésie oesophagienne, état inflammatoire associé aux colopathies, semble favoriser la colonisation de la muqueuse digestive.

De même, la charge en levures est augmentée chez les diabétiques, en relation avec le taux élevé de glucose salivaire.

Les candidoses digestives sont fréquentes chez les patients avec un dysfonctionnement de l’immunité : hypogammaglobulinémie, en particulier en immunoglobuline A, une anomalie qualitative ou quantitative des polynucléaires, une altération des lymphocytes qui est bien démontrée dans la CMCC et l’infection par le VIH.

Les facteurs extrinsèques impliqués sont également nombreux : antibiotiques à large spectre modifiant la flore commensale, corticoïdes et immunosuppresseurs, antiacides, neuroleptiques diminuant la sialorrhée, radiothérapie.

2- Candidoses génitales :

* Clinique :

Chez la femme, le prurit et la présence de leucorrhées blanchâtres dites « caillebotées » sont les deux symptômes évocateurs de candidose vulvovaginale, mais ils ne sont pas spécifiques.

D’autres symptômes tels que brûlure, dysurie et dyspareunie ne sont pas évocateurs de candidose.

L’interrogatoire doit être minutieux afin de déterminer si les symptômes sont uniquement vulvaires ou vulvovaginaux et doit préciser la date de survenue de l’épisode par rapport au cycle menstruel.

Ceci permet d’exclure de simples vulvites et des vaginites relevant d’autres étiologies.

L’examen clinique permet en général d’observer un érythème recouvert d’un enduit blanchâtre et un oedème au niveau de la vulve, une muqueuse vaginale inflammatoire recouverte de pseudomembranes blanches.

L’examen mycologique est nécessaire pour confirmer le diagnostic évoqué cliniquement.

L’infection candidosique se traduit par la présence de pseudofilaments et de blastospores de Candida à l’examen direct (sauf pour C. glabrata) et par l’isolement d’un grand nombre de colonies sur les milieux de culture de Sabouraud.

Cette démarche clinicobiologique, trop rarement faite, est pourtant indispensable lors de toute suspicion de candidose vulvovaginale.

Elle permet d’éviter les diagnostics erronés portés par excès et les échecs thérapeutiques dont la conséquence psychologique est parfois grave pour la femme et le couple.

L’homme souffre de balanite et de balanoposthite, parfois compliquées d’uréthrite.

L’infection débute dans le sillon balanopréputial par un érythème plus ou moins suintant, exulcéré, recouvert d’un enduit blanchâtre.

Elle s’étend au prépuce et au gland qui est parsemé de petites papules érythémateuses ou de papulopustulettes. Cette phase aiguë peut se compliquer d’oedème et de phymosis.

Une forme sèche et desquamative s’observe également.

Prurit et picotements sont les symptômes habituellement associés.

Il est important de signaler qu’un prurit et un érythème transitoire peuvent survenir après les rapports, mais leur caractère fugace traduit un mécanisme allergique et non une infection.

Cette réaction ne justifie aucun traitement antifongique.

* Circonstances favorisantes :

On estime que 75 % des femmes présenteront un ou plusieurs épisodes de candidose vulvovaginale.

Parmi elles, 10 % souffriront d’une forme récidivante (plus de quatre épisodes annuels).

Des études menées depuis une dizaine d’années permettent d’affirmer qu’il ne s’agit pas d’une maladie sexuellement transmissible mais d’une infection opportuniste.

Un dysfonctionnement de l’immunité cellulaire (monocytes, macrophages, lymphocytes) s’exprimant localement en relation avec les différentes phases hormonales du cycle (rôle prépondérant du taux de progestérone naturelle) est incriminé.

Ces notions remettent en cause la responsabilité des facteurs favorisants classiquement décrits qui n’ont pas fait l’objet d’études réellement démonstratives (endocrinopathie, déficit en fer ou en zinc, itinérance sexuelle…).

Certains arguments amènent à penser que les contraceptifs oraux n’ont aucune action facilitante.

Ces études permettent de mieux comprendre le problème des candidoses récidivantes, au cours desquelles les facteurs dits « classiques » ne sont pas habituellement retrouvés, les rechutes qui surviennent durant la phase progestative, l’importance de la colonisation vaginale et la fréquence des candidoses vulvovaginales au cours de la grossesse.

L’expression clinique et la gravité de la symptomatologie clinique apparaissent liées à des phénomènes d’hypersensibilité locale.

Chez la femme infectée par le VIH, la candidose vulvovaginale peut être la première manifestation cutanéomuqueuse candidosique, mais elle est peut être associée à un muguet buccal.

Les récidives sont fréquentes (33 % des cas).

Chez l’homme, la candidose génitale est souvent liée à des irritations locales répétées ou chroniques faisant le lit de l’infection lors des rapports avec une partenaire infectée, ou à l’existence d’un diabète qui doit être recherché de principe.

F – TRAITEMENT :

Le traitement des candidoses cutanéomuqueuses est local le plus souvent, mais certains cas requièrent un traitement systémique.

Tous les foyers infectieux sont traités simultanément.

Les facteurs favorisants doivent être recherchés et éliminés dans la mesure du possible.

Plusieurs familles d’antifongiques locaux actifs sur les Candida sont disponibles : les polyènes (nystatine, amphotéricine B), les dérivés imidazolés, la ciclopirox olamine, la terbinafine.

Par voie systémique, deux azolés sont efficaces : le kétoconazole (Kétoconazole) et le fluconazole (Triflucan).

Certaines médications associées sont bénéfiques.

Ainsi, les solutions ou les savons bicarbonatés ont une action apaisante sur les lésions candidosiques inflammatoires. En revanche, les savons acides irritants sont à proscrire.

Si les lésions sont fissurées ou suintantes, des antiseptiques aqueux sont recommandés (dérivés iodés, chlorhexidine, solution acqueuse de nitrate d’argent…).

Les antiseptiques alcoolisés sont mal tolérés.

Schémas thérapeutiques :

Pour les candidoses cutanées, un traitement antifongique local de 4 semaines environ est habituellement suffisant. Pour les candidoses unguéales, qu’il s’agisse d’une forme avec périonyxis ou d’une onycholyse latérodistale, un traitement local seul peut-être tenté.

Il associe un antiseptique (Hexomédinet transcutanée, solutions iodées) et un antifongique local dont l’application doit être renouvelée le plus souvent possible dans la journée, en particulier après chaque toilette des mains.

Les lotions, gels, et crèmes non grasses à pénétration rapide sont les plus adaptés.

Dans les formes d’onycholyse latérodistale, le découpage de la partie atteinte est bénéfique.

Si un échec est constaté au bout de 3 mois, un traitement antifongique per os doit être prescrit.

Ce délai est justifié par le temps requis pour stériliser la zone matricielle infectée et observer une repousse saine de la tablette unguéale.

Lorsque plusieurs ongles sont atteints, lorsque le périonyxis est important, lorsque le patient pour des raisons professionnelles ne peut éviter le contact avec l’eau, un traitement systémique peut être d’emblée proposé pour quelques mois et relayé par le seul traitement local.

Le seul antifongique systémique disponible dans cette indication est le kétoconazole (Nizoral) à la dose de 200-400 mg/j. Dans tous les cas, le traitement est poursuivi jusqu’à complète guérison, clinique et mycologique.

Pour les candidoses oropharyngées, les traitements locaux (gel buccal, suspension buvable) per os peuvent être proposés en première intention : mycostatine (Nystatine), amphotéricine B (Fungizone), miconazole (Daktarin).

Le produit antifongique doit être conservé dans la cavité buccale le plus longtemps possible avant d’être avalé afin d’obtenir un contact local suffisamment prolongé entre le médicament et la muqueuse.

Lorsqu’une candidose du bas appareil digestif est associée, la décontamination doit être complétée par la prise de gélules ou de comprimés des mêmes médicaments.

En cas d’échec ou de mauvaise compliance, notamment en cas de traitement prolongé (comme au cours du sida), un traitement systémique prend le relais : kétoconazole ou fluconazole, voire itraconazole en cas d’échec des deux premiers.

Les schémas thérapeutiques (doses, durée) ne sont pas réellement standardisés.

Actuellement se pose le problème d’une sélection de souches de Candida d’emblée résistantes ou moins sensibles aux azolés, telles que les espèces C. krusei et C. glabrata chez les patients immunodéprimés, en particulier les patients ayant un sida.

Pour les candidoses génitales, s’il s’agit d’un épisode aigu isolé de candidose vulvovaginale, un traitement vaginal sous forme d’ovules ou de crème vaginale est associé à un traitement vulvaire.

Il n’y a pas d’argument démonstratif privilégiant les traitements vaginaux « monodose » fortement dosés ou les traitements sur plusieurs jours dont la durée demeure empirique (en pratique 3 à 6 jours).

Le traitement vulvaire par une crème, lotion, gel doit être de 4 semaines.

Si la symptomatologie de la candidose est bruyante, mieux vaut éviter un traitement par des ovules fortement dosés qui risque de majorer les signes cliniques lors de la lyse du champignon.

Une toilette avec un savon alcalin ou le rinçage avec une eau alcalinisée améliore le confort de la patiente.

La désinfection du tube digestif n’apparaît pas utile d’après les études (sauf si la candidose vulvovaginale est une complication d’une prise prolongée d’antibiotiques).

Le traitement du partenaire n’est utile que s’il présente une balanite candidosique prouvée mycologiquement.

S’il s’agit d’une forme récidivante ou chronique, après traitement de l’épisode aigu, une prévention doit être envisagée pendant la phase progestative (par exemple un ovule antifongique ou 150 mg de fluconazole en une prise vers le 19-20e jour du cycle).

Le stérilet, qui apparaît comme un foyer potentiel de réensemencement permanent, doit parfois être changé.

Autres mycoses :

À côté de ces mycoses cutanéomuqueuses courantes et cosmopolites justifiant la majorité des consultations, le clinicien peut être amené à diagnostiquer d’autres infections fongiques cutanées plus rares.

Elles sont provoquées par des champignons opportunistes filamenteux, hyphomycètes ou phaeohyphomycètes, communément appelés moisissures, mais dont la prise en charge est différente parce qu’elles ne sont pas sensibles aux médicaments usuels ou parce qu’elles surviennent sur un terrain particulier.

A – SCYTALIDIOSES OU PSEUDODERMATOPHYTOSES :

Deux espèces de Scytalidium sont impliquées dans les scytalidioses. S. dimidiatum est un champignon phytopathogène, en particulier des arbres fruitiers en zone tropicale ou subtropicale (sud des États-Unis, Amérique du Sud, Afrique, Caraïbes, Asie, Inde…). S. hyalinum n’a pas été isolé du milieu naturel. Ces champignons, capables de pénétrer la kératine cutanée et unguéale, provoquent des lésions des pieds et des mains tout à fait similaires à celles provoquées par T. rubrum : hyperkératose et dysidrose palmoplantaire, onychomycose latérodistale des ongles des orteils et des doigts, avec parfois péronyxis.

Seul un prélèvement mycologique permet de distinguer ces pseudodermatophytoses d’une dermatophytose à Trichophyton.

Tous les cas ont été observés chez des patients ayant vécu en zone d’endémie où les scytalidioses représentent jusqu’à plus de 40 % des lésions fongiques des pieds.

Ce diagnostic différentiel est important car, in vivo, les Scytalidium ne sont ni sensibles aux topiques usuels (azolés, ciclopyroxolamine ou amorolfine), ni aux antifongiques per os (griséofulvine, kétoconazole ou terbinafine).

B – AUTRES :

D’autres « moisissures » (Fusarium, Alternaria, Scopulariopsis, Pseudallescheria boydii…) sont responsables d’onychomycoses, de mycétomes et de lésions cutanées et sous-cutanées.

Dans le cas des onychomycoses, le champignon vient parasiter une kératine unguéale devenue pathologique après un traumatisme ou au cours d’une dermatose. Une leuconychie superficielle blanche et crayeuse, s’étendant à l’ensemble de la tablette unguéale, en est la manifestation clinique habituelle.

Lorsqu’il y a atteinte matricielle, en particulier s’il s’agit d’une fusariose, une paronychie de la phalange distale est évocatrice.

Le prélèvement mycologique est indispensable pour confirmer le diagnostic, en respectant des critères très stricts d’interprétation, car ces champignons sont omniprésents dans l’environnement.

L’examen direct doit être positif (les filaments sont plus grossiers et dystrophiques que ceux des dermatophytes) et le champignon doit être isolé en culture pure.

Il est impératif de répéter le prélèvement mycologique et de retrouver les mêmes critères de résultats après ensemencement de plusieurs tubes de culture.

Les onychomycoses à moisissures, scytalidioses comprises, ne représentent pas plus de 2,5 % des onychomycoses en Europe.

En métropole, quelques cas de mycétomes renfermant des grains blancs sont dus à l’inoculation transcutanée de telles moisissures.

Des lésions cutanées et sous-cutanées primitives, dues à l’inoculation de telles moisissures de l’environnement, sont décrites chez des patients ayant des défenses immunitaires amoindries par un diabète, le sida, une corticothérapie orale ou d’autres médicaments immunosuppresseurs.

Il s’agit de nodules inflammatoires violacés, de placards papulopustuleux ou verruqueux, de cellulite, d’ulcérations nécrotiques des zones découvertes.

Plus de 70 cas d’alternariose cutanée primitive ont ainsi été rapportés : 11 cas chez des patients sains, 23 cas au cours d’une corticothérapie systémique, huit cas chez des patients avec syndrome de Cushing, dix cas chez des patients ayant bénéficié d’une greffe d’organe et 14 cas sur autres terrains immunodéprimés (diabète, lymphome…) (revue personnelle de la littérature en 1995).

Dans tous les cas, les examens mycologique et anatomopathologique (avec colorations spécifiques, PAS et Gomori-Grocott, facilitant la visualisation des champignons) sont indispensables pour porter le diagnostic.

Le premier précise l’agent fongique responsable par la culture mycologique, et le second confirme l’envahissement tissulaire par la présence de filaments fongiques larges, irréguliers, vésiculeux et globuleux, dans un granulome histiocytaire, épithélioïde et gigantocellulaire, avec parfois des abcès.

Conclusion :

Il n’y a plus de mycoses métropolitaines stricto sensu mais une hiérarchie dans la fréquence des infections fongiques cutanées diagnostiquées en métropole : certaines sont diagnostiquées quotidiennement dans un laboratoire de mycologie-dermatologie, d’autres sont reconnues de manière sporadique.

Le dermatologue et le biologiste parviennent au diagnostic en prenant en compte l’expression clinique qui dirige le mode de prélèvement, grattage ou biopsie cutanée, le contexte ethnique ou la notion de séjour à l’étranger, le terrain immunocompétent ou immunodéprimé du patient.

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