Malformations congénitales de la peau

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Introduction :

Une malformation est un vice de conformation morphologique résultant d’un trouble ou d’un arrêt de développement d’un tissu ou d’un organe.

Elle peut relever de facteurs progénésiques, antérieurs à la conception, héréditaires ou non, ou de facteurs métagénésiques, postérieurs à la fécondation.

Les malformations congénitales affectent, à des degrés divers, 3 à 3,5 % des nouveaunés et, dans 65 % des cas, aucune cause ne peut être mise en évidence.

Malformations congénitales de la peauSelon le mécanisme, la malformation peut être cliniquement visible ou n’être accessible qu’à des techniques spéciales de mise en évidence ; elle peut être ubiquiste, affectant la morphologie générale de l’individu, ou localisée à un segment ou un métamère anatomique ; elle peut enfin, bien que congénitale, n’être qu’à révélation tardive, au-delà de la période néonatale.

Le Dictionnaire français de médecine et de biologie (Éditions Masson, Paris, 1971) donne une définition lapidaire du mot malformation : « altération morphologique congénitale et permanente d’un organe, d’un tissu ou même de l’organisme entier, résultant d’un trouble de l’embryogenèse ».

Cette définition met trop l’accent sur l’aspect morphologique des malformations et il est peut-être préférable de lui substituer la définition donnée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour la tératologie, science qui décrit les malformations et leurs causes : « étude des déviations du développement, qu’elles soient structurales, fonctionnelles ou biochimiques, trouvant leur origine dans la période prénatale ».

Cette définition a le mérite d’englober les anomalies morphologiques (morphotératogenèse) et physiologiques, métaboliques et comportementales (physiotératogenèse).

Les malformations cutanées représentent 5,3 % de l’ensemble des malformations enregistrées depuis 1979 dans le registre des malformations congénitales du Bas-Rhin (France).

Rappel de l’embryologie de la peau et de ses annexes :

A – ORIGINE EMBRYONNAIRE DES CONSTITUANTS CUTANÉS :

La peau a une origine double, ectoblastique et mésoblastique.

À la fin de la gastrulation, à la troisième semaine du développement, on distingue trois feuillets, le neurectoblaste superficiel, le mésoblaste intermédiaire et l’entoblaste ou feuillet profond.

Au moment de la formation du tube neural, des cellules s’isolent de chaque bord de la plaque neurale pour former les crêtes neurales ; celles-ci, sans connexion avec l’ectoblaste, sont parallèles au tube neural et se métamérisent en segments aussi nombreux que les somites qui, eux, se forment aux dépens de la plaque interne du mésoblaste.

Des crêtes neurales dérivent, entre autres, les neurones des ganglions rachidiens et du système nerveux orthosympathique, les cellules paraganglionnaires, les cellules de Schwann des nerfs périphériques, les mélanocytes et les cellules du système neuroendocrine ; les cellules mésenchymateuses du derme céphalique ont également une origine neuroblastique contrairement à celles du derme du reste du corps.

À la fin de la neurulation, l’ectoblaste ou ectoderme, séparé du tube et des crêtes neurales, donne naissance à l’épiderme.

Le derme et l’hypoderme sont issus des plaques cutanées ou dermatomes qui se forment dès la quatrième semaine à partir de la paroi externe des somites.

B – SÉQUENCES DE LA DIFFÉRENCIATION DES DIVERS ÉLÉMENTS DE LA PEAU :

1- Épiderme :

L’ectoblaste primitif est une couche monostratifiée de cellules cubiques ; au début du deuxième mois, il se bistratifie par formation d’une seconde couche de cellules épithéliales polyédriques aplaties constituant le périderme.

Celui-ci exfolie, puis est remplacé dès le quatrième mois par un épithélium malpighien kératinisant ; à la fin du cinquième mois, la stratification définitive de l’épiderme est acquise.

Le diagnostic anténatal des troubles de la kératinisation par biopsie de peau foetale est donc possible dans les délais légaux.

Sur le plan ultrastructural et immunohistochimique, les desmosomes et les tight junctions apparaissent dès le premier mois, les tonofilaments au deuxième mois, les hémidesmosomes des kératinocytes basaux et les fibres d’ancrage au troisième mois ; à ce stade de l’embryogenèse, les antigènes de la membrane basale (laminine, antigène de la pemphigoïde, collagène type IV) sont déjà exprimés, tout comme les principaux antigènes du cell coat des kératinocytes.

Le diagnostic anténatal des épidermolyses bulleuses par la microscopie électronique et l’immunomarquage est donc aussi possible à un stade précoce.

2- Mélanocytes :

Ils sont présents dans l’épiderme dès le deuxième mois, mais n’y deviennent identifiables qu’à partir du troisième mois lors de l’apparition des premiers prémélanosomes DOPA+ ; les mélanosomes apparaissent au quatrième mois et les premières images de pigmentation kératinocytaire au sixième mois de la vie foetale.

Les cellules de Merkel apparaissent au quatrième mois ; les cellules de Langerhans sont beaucoup plus précoces et sont présentes avant la migration des mélanoblastes de la crête neurale.

3- Derme :

Il acquiert sa différenciation en tissu conjonctif, contenant des fibres élastiques et collagènes au cours des troisième et quatrième mois ; il se forme à partir de la plaque cutanée des somites du mésoblaste.

4- Annexes :

Les poils apparaissent au cours du troisième mois et se forment à partir des bourgeons épithéliaux primaires qui donnent naissance aux glandes sébacées (quatrième mois) et apocrines (sixième mois).

Les premiers poils sont lanugineux et les tiges pilaires n’auront leur morphologie définitive qu’après le defluvium postnatal du lanugo foetal.

Les ongles suivent à peu près la même évolution que les poils et leurs malformations sont souvent concomitantes et associées à d’autres anomalies congénitales ectoblastiques (exemple des dysplasies ectodermiques anidrotiques avec hypotrichose ou atrichie, hypo- ou anodontie et hyponychie).

Les glandes sudorales eccrines apparaissent au quatrième mois à partir de bourgeons épidermiques différents des bourgeons pilosébacés et apocrines, d’abord dans les régions palmoplantaires, plus tardivement ailleurs.

Classification générale des malformations et terminologie :

Les malformations congénitales s’intègrent toutes dans le cadre d’un des trois mécanismes pathogéniques suivants :

– d’ordre génique résultant d’une anomalie de l’acide désoxyribonucléique (ADN) d’un gène entraînant un vice de synthèse d’une protéine ; la maladie qui en résulte peut comporter des troubles morphologiques cutanés ; ainsi le déficit en stéroïdesulfatases épidermiques est responsable de la survenue des lésions d’ichtyose récessive liée à l’X ; les affections cutanées héréditaires qui correspondent à ce mécanisme pathogénique (ichtyoses, neurocristopathies, épidermolyses bulleuses congénitales, syndrome d’Ehlers-Danlos…) ;

– d’ordre chromosomique : une aberration chromosomique (trisomie, délétion) même partielle, peut comporter des lésions cliniques multiviscérales affectant également la peau ; ainsi dans la trisomie 21, on voit souvent se constituer une pelade décalvante précoce et apparaître des syringomes de la face et du cou ;

– par embryopathie : lors de l’organogenèse, en particulier de la deuxième à la septième semaine, l’embryon est très vulnérable à des agents tératogènes, tels que les virus, les médicaments et les radiations ionisantes, pouvant aussi induire des malformations cutanées que le dermatologue peut être amené à diagnostiquer ; les malformations par mutation somatique postzygotique sont souvent localisées, linéaires, disposées selon une ou plusieurs lignes embryonnaires de Blaschko, témoignant du mosaïcisme cutané embryonnaire.

Les anomalies géniques représentent 20 % des malformations en général, les anomalies chromosomiques 10 %, les facteurs maternels et d’environnement seulement 5 %.

Il reste 65 % des malformations de cause non connue ou de mécanisme inexpliqué. La plupart des malformations sont dénommées par des termes propres : aplasie cutanée, fistule branchiale, queue faunesque, etc. Certains termes plus généraux sont couramment utilisés pour désigner des groupes de malformations :

– le terme « nævus » est réservé aux tumeurs cutanées congénitales ou non comportant la présence de cellules næviques dérivant de la crête neurale : les nævus nævocellulaires ;

– le terme « hamartome » est réservé aux autres malformations non nævocellulaires constituées d’un ou plusieurs tissus matures normalement présents dans la peau, mais en quantité excessive ou bien anormalement disposés ou absents ;

– le terme « hétérotopie » désigne une lésion caractérisée par la présence d’un tissu dans un site cutané où il n’est normalement jamais présent.

Ces termes n’ont malheureusement pas la même signification pour tous ; dans la littérature internationale le terme « nævus » est employé pour désigner des lésions malformatives ni tumorales ni nævocellulaires (par exemple : nævus anémique) et le terme « hamartome » n’est pas exclusivement utilisé pour désigner des malformations d’aspect tumoral.

La terminologie utilisée dans cette mise à jour est conforme à celle qui est recommandée par la commission de terminologie de la Société française de dermatologie.

Aplasies cutanées congénitales :

Elles sont définies comme des absences localisées de peau à la naissance.

Elles correspondent schématiquement à deux aspects cliniques.

A – APLASIE CUTANÉE CONGÉNITALE DU SCALP :

C’est une perte de substance, unique dans 75 % des cas, touchant principalement le vertex du cuir chevelu en regard de la fontanelle lambdatique ; quand les lésions sont multiples, elles sont généralement symétriques et rarement plus nombreuses que trois, touchant le cuir chevelu, la face et les régions auriculaires.

Cliniquement, c’est une perte de substance de quelques centimètres, sans forme définie, érosive et superficielle ou ulcérée et profonde avec une agénésie osseuse sous-jacente.

Dans quelques cas, la lésion est déjà remplacée à la naissance par une cicatrice blanche glabre définitive.

L’atteinte osseuse, présente dans 20 à 30 % des cas, peut être un élément péjoratif en raison du risque de thromboses ou d’hémorragies du sinus longitudinal supérieur ou d’infections méningoencéphaliques.

Elle doit être systématiquement recherchée par des examens radiologiques standards et l’imagerie par résonance magnétique (IRM) cérébrale.

Dans la plupart des cas, la cicatrisation se fait spontanément dans un délai de 1 mois et ultérieurement la cicatrice atrophique, ou quelquefois chéloïdienne, peut être enlevée par chirurgie plastique.

La cause de cette aplasie est le plus souvent inconnue.

Elle peut survenir chez des enfants dont les mères prennent des antithyroïdiens de synthèse ou de l’acide valproïque.

Il y a une notion de survenue familiale avec risque de récurrences lors de grossesses ultérieures pouvant amener à discuter le conseil génétique.

Elle peut être associée au syndrome d’Adams-Ollier avec cutis marmorata, à des anomalies chromosomiques telles que la trisomie 13 (syndrome de Patau) ou la délétion 4 p.

Un caryotype pourrait être demandé systématiquement dans les aplasies du vertex.

B – APLASIE CUTANÉE CONGÉNITALE DU TRONC ET DES MEMBRES :

Elle est plus souvent constituée de multiples lésions de topographie symétrique, surtout sur le tronc ; quand la lésion est unique, elle est souvent médiane.

Les aspects cliniques et évolutifs sont grosso modo les mêmes que pour les aplasies du vertex.

Les aplasies de la ligne médiane peuvent être associées à des dysraphies (spina bifida et myéloméningocèle) et, dans la partie antérieure du tronc, à des omphalocèles et des gastroschisis.

Certaines surviennent lors d’infections maternelles virales : embryofoetopathie de la varicelle avec hypoplasie des membres et aplasies d’allure cicatricielle hypertrophique, infection par le virus herpétique.

Les aplasies étendues peuvent comporter des taux sériques élevés d’á-foetoprotéine.

C – SYNDROME DE BART :

Un aspect intéressant pour le dermatologue est celui des aplasies cutanées généralement circonscrites aux pieds, aux chevilles ou aux jambes chez des nouveau-nés qui secondairement, dans l’enfance, développent des lésions caractéristiques d’épidermolyse bulleuse.

Ce tableau particulier, actuellement connu sous le nom de syndrome de Bart, semble être un aspect inaugural, néonatal, de plusieurs formes d’épidermolyses bulleuses héréditaires, surtout la forme dystrophique dominante.

En l’absence d’un tel contexte, certaines de ces pertes de substance cutanée congénitales ont été interprétées comme des ulcérations secondaires à des accolements amniotiques.

Le « syndrome des brides amniotiques » existe, mais il a comme principale caractéristique la présence de sillons cutanés de striction des membres, d’aspect cicatriciel et irréversible, associée à des malformations diverses.

Aplasies phanériennes :

A – ANONYCHIE CONGÉNITALE :

L’anonychie congénitale totale est rare ; le plus souvent, il s’agit d’hypoplasies plus ou moins prononcées, associées à d’autres malformations, des phalanges en particulier.

Quelquefois, la malformation n’affecte que les ongles d’un doigt. Ainsi, dans le syndrome d’Osterreicher (nail-patella syndrome), il y a une hypoplasie unguéale affectant surtout les pouces, associée à une agénésie des rotules et une dystrophie des têtes radiales ; dans l’onychodystrophie congénitale des index, seuls ces doigts sont affectés par une dystrophie d’intensité variable, allant de l’anonychie totale à un simple malalignement de l’ongle.

D’autres malformations unguéales peuvent être congénitales : ongles hippocratiques, malalignement congénital des ongles des gros orteils, leuconychies, pachyonychies, etc.

Pour un inventaire complet de toutes les anomalies unguéales malformatives pouvant exister, seules ou associées à d’autres génodermatoses et maladies chromosomiques, il faut se référer à des ouvrages très spécialisés.

B – ATRICHIE CONGÉNITALE :

Comme le nouveau-né vient au monde avec une chevelure lanugineuse, l’appréciation d’une éventuelle anomalie quantitative ou morphologique des cheveux ne peut se faire que plus tard quand la chevelure définitive apparaît.

L’alopécie congénitale diffuse précoce (atrichie congénitale) ne peut être suspectée, puis confirmée que vers le sixième mois postnatal : elle prend l’aspect d’une pelade décalvante ou universelle du fait de l’extension possible de l’anomalie aux cils, aux sourcils et à la pilosité corporelle.

Il y a parfois un milium généralisé et ce tableau peut être symptomatique d’une dysplasie ectodermique type Clouston ou d’une progeria.

Dans l’hypotrichose familiale héréditaire totale de Pajtas, il y a une calvitie totale dès la naissance chez les sujets atteints ; cette affection rarissime se transmet en dominance autosomique.

Dans l’hypotrichose congénitale héréditaire type Marie Unna, également transmise en dominance, les cheveux, les sourcils et les cils tombent après la naissance, puis les cheveux repoussent sur le scalp.

Ils sont cependant clairsemés, incoiffables, grossiers, torsadés, rêches au toucher et finissent par retomber à partir du vertex en laissant une alopécie définitive d’aspect cicatriciel.

Cette entité est également très rare et n’est associée à aucune autre lésion ; les ongles et les dents en particulier sont indemnes.

L’examen des cheveux au microscope électronique à balayage montre une disparition focale ou plus diffuse de la cuticule et quelquefois des sillons longitudinaux comme dans le syndrome des cheveux incoiffables ; l’analyse des protéines du cheveu ne montre cependant pas de différences notables par rapport à des cheveux normaux.

Les autres anomalies malformatives des tiges pilaires et leurs associations morbides sont décrites dans un autre chapitre.

Malformations cutanées dysraphiques :

Celles qui intéressent le dermatologue sont principalement le gliome et les fistules nasales, les signes cutanés associés à des dysraphies postérieures et les dysraphies génitales masculines.

Des lésions telles que l’angiome plan occipital d’Unna ou les télangiectasies congénitales radiaires autour de l’apophyse proéminente C7 peuvent aussi être considérées comme des dermatoses dysraphiques.

A – GLIOME NASAL :

Il s’agit d’un nodule d’aspect angiomateux faisant hernie au niveau de la racine du nez et observé dès la naissance ; il peut être à la fois extra- et intranasal.

Il ne s’agit pas d’un véritable gliome mais de tissu cérébral hétérotopique, surtout glial, donc non tumoral au sens propre du terme.

Il siège habituellement en regard des os propres du nez, plus souvent latéralement que sur la ligne médiane.

C’est une masse arrondie de 1 à 3 cm de diamètre, lisse, ferme, n’augmentant pas avec les cris du nouveau-né, ce qui élimine une encéphalocèle vraie (signe de Furstenberg).

La tumeur croît avec l’enfant.

L’examen radiologique est normal dans la plupart des cas ; il peut cependant montrer une déhiscence médiane nasale ou frontale à travers laquelle un gliome extranasal peut quelquefois communiquer avec une tumeur intranasale identique.

Le diagnostic différentiel est à faire avec une encéphalocèle, un neurofibrome, un kyste dermoïde, un hémangiome caverneux.

Sur le plan pathogénique, le gliome nasal est considéré comme une encéphalocèle coupée de ses origines.

Comme on ne peut jamais être sûr qu’il n’y ait pas une étroite communication méningée ou épendymaire, il est hautement souhaitable de n’opérer ces enfants qu’en milieu neurochirurgical.

Lors de l’intervention, on peut quelquefois observer un pédicule borgne se continuant vers la base du crâne à travers la fontanelle frontonasale.

Après excision et réparation de la perte de substance cutanée, la lésion ne récidive pas.

B – MÉNINGOCÈLE SÉQUESTRÉE :

C’est une hétérotopie de tissu méningé située le plus souvent sur la ligne médiane du cuir chevelu.

L’aspect clinique est assez remarquable : c’est une élevure lisse, arrondie, entourée d’une couronne de cheveux, qui permet de repérer cette lésion dès la naissance.

Le traitement doit se faire en milieu neurochirurgical comme pour le gliome nasal, qui est en fait une encéphalocèle séquestrée.

C – FISTULE CONGÉNITALE DU NEZ :

Elle est présente dès la naissance, strictement médiane.

C’est un orifice circulaire étroit, d’où sort fréquemment une petite touffe de poils et quelquefois un écoulement pâteux malodorant.

En amont de la fistule il y a souvent un petit kyste palpable, l’orifice fistuleux étant déclive par rapport au kyste.

La lésion est généralement asymptomatique, mais elle peut se compliquer d’une surinfection, plus rarement d’une ostéomyélite des os du nez.

Un scanner et une IRM, à la recherche d’une déhiscence frontonasale ou ethmoïdale ou d’une atteinte cérébrale, sont réalisés avant toute décision opératoire.

Le repérage peropératoire du trajet fistuleux au bleu de méthylène est souhaitable.

Histologiquement, on trouve les mêmes anomalies que dans une fistule pilonidale ou un kyste dermoïde : de la kératine et des formations annexielles, surtout pilosébacées.

La fistule congénitale est généralement interprétée comme un vestige résultant d’un défaut d’occlusion du neuropore antérieur.

Le diagnostic différentiel est à faire avec le trichofolliculome, qui n’apparaît cependant pas si tôt dans la vie, mais qui peut être localisé sur le nez : les poils qui en sortent sont en général duveteux, alors que ceux d’une fistule congénitale sont souvent plus épais et plus longs.

D – FISTULES LABIALES :

Elles sont localisées à la lèvre inférieure et, dans 60 % des cas, elles sont associées à un bec-de-lièvre et une fente palatine. Mais elles peuvent être isolées et survenir dans un contexte familial avec transmission en dominance.

Il s’agit de deux petits pertuis situés sur le vermillon de la lèvre, de part et d’autre de la ligne médiane ; les trajets fistuleux peuvent avoir jusqu’à 20 mm de profondeur et se perdre dans le muscle orbiculaire.

Rarement, la fistule est médiane et unique.

C’est le cas à la lèvre supérieure, où elle répond aux mêmes mécanismes que celle du nez, mais sans le risque de myéloméningocèle.

E – LÉSIONS DYSRAPHIQUES SPINALES POSTÉRIEURES :

Elles prédominent à la région lombofessière.

En regard d’un spina bifida occulta lombaire, on peut observer une dépression cutanée médiane adhérente aux plans profonds, un lipome médian comblant l’ensellure lombosacrée ou déviant le sillon interfessier, un angiome plan ou des télangiectasies.

La dysraphie osseuse isolée est souvent asymptomatique ; s’il y a un myéloschisis associé, on observe plus fréquemment des troubles nerveux (paraplégie, incontinence sphinctérienne, troubles de la statique, maux perforants plantaires).

Un aspect clinique très particulier est celui de la « queue faunesque » : c’est une hyperpilosité circonscrite médiane, localisée à la région lombosacrée, faite de longs poils noirs qui se ramassent en tresse dans le haut du sillon interfessier.

On peut aussi observer des tumeurs caudales appendues de structures histologiques variées.

Si la dysraphie est très basse, au niveau du neuropore postérieur, on peut voir se constituer un kyste pilonidal ou une fistule sacrococcygienne.

Le kyste pilonidal congénital est généralement ignoré tant que ne survient pas une complication en rapport avec sa rupture ou sa surinfection.

Histologiquement, il s’agit d’un kyste dermoïde avec une paroi épithéliale malpighienne kératinisante et des structures annexielles pilaires et sébacées.

En cas de surinfection, on peut exceptionnellement observer une méningite purulente si le kyste communique avec le sac méningé, qui est en principe oblitéré au niveau de S2 ; plus souvent, il se constitue un abcès très douloureux du sillon interfessier ou du raphé anococcygien. Sa mise à plat fait apparaître du pus mélangé à des débris épithéliaux, des paillettes de kératine et de longs poils enchevêtrés ayant constitué le contenu du kyste.

Si celui-ci n’est pas excisé en totalité, il se constitue par la suite une ou plusieurs fistules intarissables.

Pour un traitement chirurgical radical, il faut bien repérer le trajet fistuleux au bleu de méthylène et faire l’excision à distance jusqu’au plan osseux ; la couverture est généralement faite par un lambeau de rotation prélevé sur la fesse et pédiculé sur la région sacro-iliaque.

Malgré toutes les précautions prises, les récidives ne sont pas rares.

Cette malformation ne doit pas être confondue avec le sinus pilonidal : ce dernier est provoqué par la pénétration dans la peau du sillon interfessier de poils cassés, chez des hommes à forte pilosité fessière ou tronculaire ; les poils s’accumulent dans le dièdre du sillon interfessier et leur pénétration est favorisée par des traumatismes locaux répétés sur un plan dur (conducteurs d’engins, maladie des chauffeurs de jeep).

L’extraction des poils, si le sinus est ouvert, et le nettoyage quotidien soigneux du pli interfessier sont à conseiller.

Si les poils sont enfouis, le diagnostic différentiel avec une fistule congénitale à révélation tardive devient difficile : il faut rechercher d’autres signes de dysraphie postérieure et dépister radiologiquement un spina bifida ou d’autres malformations vertébrales lombosacrées.

F – DYSRAPHIES PÉNIENNES :

L’urètre pénien se forme par la soudure sur la ligne médiane de deux plis parallèles situés de part et d’autre de la membrane urogénitale.

Il se raccorde à l’urètre balanique qui se creuse dans le bourrelet génital à partir de son extrémité.

Si cette morphogenèse est imparfaite, on peut observer dans le raphé de la face ventrale du pénis, entre le méat et le scrotum, soit des kystes, soit des canaux borgnes, soit des canaux en « séton » à ouverture antérieure, souvent découverts à l’occasion d’une infection gonococcique.

Selon le siège proximal ou distal de la lésion, son revêtement épithélial sera de type excréto-urinaire ou cylindrique, de type malpighien épidermoïde ou encore de type mixte dans les canaux dysraphiques borgnes.

À noter que ces anomalies malformatives ne communiquent jamais avec l’urètre et peuvent donc facilement être excisées.

G – LÉSIONS CUTANÉES DYSRAPHIQUES ANTÉRIEURES :

1- Kyste médian du cou :

Il peut provenir d’un vestige embryonnaire du canal thyréoglosse : il est situé en avant du cou, sur la ligne médiane, entre l’os hyoïde et le cartilage cricoïde ; il est généralement solidaire de ces structures et se déplace avec elles lors de la déglutition.

Le point de départ du canal thyréoglosse est le tuberculum impar de la face dorsale de la langue situé à la pointe du V lingual.

2- Polype, fistule ou kyste ombilical :

Ils sont en rapport avec la persistance du canal omphalomésentérique, vestige du canal vitellin, allant du diverticule de Meckel du jéjunum jusqu’au nombril.

La fistule, dont l’orifice est marqué par un polype à revêtement entérocytaire, est souvent non communicante et ne laisse sourdre qu’un liquide muqueux irritant pour la peau périombilicale.

Si elle est communicante, l’écoulement est fécal et le diagnostic en est posé dès la chute du cordon.

Si le canal est incomplètement oblitéré, il se forme en amont de l’ombilic, fixé à celui-ci par un tractus fibreux, un kyste palpable à travers la déhiscence ombilicale de la paroi abdominale.

Très exceptionnellement, on observe une hétérotopie d’épithélium intestinal dans la peau périombilicale, sans anomalie dysraphique apparente de l’ombilic (choristome intestinal).

Quelle que soit l’anomalie, le traitement en sera chirurgical : la lésion est à exciser sous anesthésie générale, même s’il ne semble s’agir que d’une lésion bien extériorisée ; il y a quelquefois une hernie ombilicale associée et l’ouverture de la cavité péritonéale est donc nécessaire.

3- Kyste ou fistule ouraquienne :

Ils sont situés entre l’ombilic et la symphyse pubienne.

Ce sont de rares vestiges du canal de l’ouraque qui joint l’apex vésical à l’ombilic et qui peut s’oblitérer imparfaitement.

Si ce canal reste perforé à la naissance, il y a une fistule marquée par un polype orificiel avec émission d’urines.

Le temps vésical d’une urographie intraveineuse permet de visualiser la communication cystocutanée.

Si l’oblitération du canal est incomplète en amont de l’ombilic, il se forme un kyste sous-cutané ou plus profond qui peut quelquefois se fistuliser ou s’infecter et qui comporte histologiquement un revêtement paramalpighien de type excréto-urinaire.

Les fistules vésicales congénitales sont très rares dans la région périnéale.

Malformations branchiales :

A – PREMIÈRE FENTE BRANCHIALE :

Située entre le premier arc (mandibulaire) et le second arc (hyoïdien) branchial, elle est à l’origine de la trompe d’Eustache, de l’oreille interne et du conduit auditif externe autour duquel se forment les six tubercules qui conflueront pour former les diverses parties du pavillon auriculaire.

Deux types de malformations courantes peuvent être observés en rapport avec l’embryogenèse de ces structures.

1- Tragus accessoires :

Ce sont des appendices auriculaires accessoires rudimentaires, prenant l’aspect de petites saillies fermes, élastiques, ayant la consistance du tragus, situées en avant de l’oreille.

Elles peuvent être uniques ou multiples, unilatérales ou symétriques.

Quand elles sont nombreuses, elles sont quelquefois alignées entre la base du tragus et la commissure labiale ; elles peuvent aussi être présentes le long du rebord antérieur du muscle sterno-cléido-mastoïdien.

Cette lésion est très fréquente et fait partie de la plupart des malformations du premier arc branchial, comme par exemple du syndrome de Goldenhar où de multiples petits appendices cartilagineux associés à une macrostomie et une hypoplasie mandibulaire sont situés sur la ligne auriculolabiale.

Histologiquement, leur structure est identique à celle du pavillon auriculaire : un axe cartilagineux, un conjonctif dermique sans hypoderme graisseux, de nombreux follicules lanugineux et un épiderme de couverture normal.

On peut enlever ces appendices rudimentaires par simple section chirurgicale au ras de leur implantation.

2- Fistules auriculaires :

Elles sont situées dans la région préauriculaire haute, devant la racine de l’hélix ; elles sont borgnes, mais peuvent avoir une profondeur de 2 à 3 cm.

Elles émettent un liquide visqueux de faible abondance ; quand elles se bouchent, il se forme un nodule inflammatoire de rétention ou une lésion granulomateuse extensive, simulant une actinomycose ou un lupus tuberculeux, et au sein de laquelle la fistule originelle est difficile à retrouver.

La fistule otocervicale va du conduit auditif externe à la région sousangulomaxillaire ; elle a un trajet sous-cutané en « séton » ; elle est beaucoup plus exceptionnelle.

Le traitement de ces lésions est chirurgical et il est à réaliser de préférence sous anesthésie générale après fistulographie par un spécialiste de chirurgie ORL ou maxillofaciale.

B – SECONDE ET TROISIÈME FENTES BRANCHIALES :

Elles peuvent aussi être à l’origine de malformations vestigiales intéressant la peau.

1- Fistules congénitales latérales du cou :

Elles sont découvertes à la naissance ou peu de temps après : l’orifice fistuleux est punctiforme et situé sur le rebord antérieur du muscle sterno-cléido-mastoïdien, depuis son insertion sur la clavicule jusqu’à 2 à 4 cm au-dessus.

Il s’en écoule un liquide spumeux aéré et, si la fistule est communicante, cet écoulement peut être majoré par les cris ou lors des repas et des mouvements de déglutition.

Ces mouvements entraînent d’ailleurs la rétraction ou l’ascension de l’orifice fistuleux.

La plupart des fistules sont borgnes, mais certaines sont longues et font communiquer le pharynx, à la hauteur de l’amygdale, avec la peau.

Quand elles se mettent en rétention, ces fistules peuvent également susciter des réactions inflammatoires granulomateuses torpides simulant un scrofuloderme (tuberculose cutanéoganglionnaire).

Le traitement est chirurgical, après fistulographie de repérage.

2- Kystes latéraux du cou ou kystes branchiaux :

Ces kystes proviennent de récessus ecto- et entobranchiaux ayant perdu leurs connexions avec la peau ou les cavités aérodigestives.

Ce sont soit des kystes congénitaux, fermes, plus ou moins allongés verticalement, soit des kystes d’apparition plus tardive, confondus avec des adénopathies cervicales, du moins si les lésions sont bilatérales.

Histologiquement, selon leur histogenèse, il s’agit soit de kystes épidermoïdes kératinisants, soit de kystes à revêtement épithélial cylindrique cilié de type respiratoire ; les cavités kystiques sont souvent entourées d’un tissu lymphoïde organisé rappelant la structure d’un ganglion lymphatique ou d’une amygdale.

Le traitement chirurgical doit être fait sous anesthésie générale, surtout si le kyste est profond et mobile à la déglutition.

Kystes dermoïdes cutanés :

Il s’agit de kystes dysembryoplasiques se formant surtout dans les « fentes embryonnaires » (région médiofaciale, orbites, région anogénitale, etc).

Ce sont des kystes à parois épithéliales épidermoïdes associés à des structures annexielles pilaires, sébacées ou sudorales et des structures mésenchymateuses reproduisant un derme papillaire et adventiciel.

La répartition de ces kystes est différente selon le recrutement : chez l’enfant, la localisation orbitaire et périorbitaire est largement prédominante (37 %) et le siège le plus fréquent est le sourcil gauche !

En ophtalmologie, 3,3 % des interventions chirurgicales chez l’enfant correspondent à des excisions de kystes dermoïdes, congénitaux dans un quart des cas.

La prépondérance à gauche est singulière, mais elle est aussi notée pour les kystes dermoïdes auriculaires.

Chez l’enfant, il faut vérifier par un examen radiologique l’absence de malformations osseuses sous-jacentes à travers lesquelles des kystes dermoïdes de la face pourraient communiquer avec les cavités crâniennes ou nasales.

Si l’on considère les kystes dermoïdes de l’adulte, ce sont les localisations anogénitales qui sont largement prédominantes (y compris le kyste pilonidal).

Malformations mammaires :

Elles intéressent le dermatologue, surtout si elles concernent les glandes mammaires accessoires : lors de l’embryogenèse, il se forme cinq à sept paires de bourgeons mammaires symétriques répartis sur deux crêtes mammaires ventrales allant des creux axillaires aux régions inguinales.

À part les points mammaires thoraciques, ces bourgeons involuent progressivement, mais la persistance de certaines ébauches extrathoraciques peut être à l’origine de lésions cutanées congénitales ou tardives pouvant être confondues, selon les localisations, avec des nævus, des léiomyomes, des lipomes, des adénopathies, une endométriose ou même des métastases cutanées.

Dans les sièges exceptionnels, axillaires ou vulvaires, le diagnostic, en l’absence d’examen histopathologique, est particulièrement difficile.

Selon que l’élément malformatif en excès est une glande en totalité ou un mamelon isolé, on parle de polymasties ou de polythélies avec huit degrés de différenciations variables :

– sein complet : mamelon + aréole + glande mammaire ;

– sein sans aréole ;

– sein sans mamelon ;

– glande mammaire sans mamelon ni aréole ;

– mamelon et aréole sans glandes galactophoriques ;

– mamelon isolé (polythélie simple) ;

– polythélie aréolaire : aréole isolée ;

– polythélie pileuse : simple touffe de poils.

Dans les polymasties, les arguments suivants sont en faveur de sa nature mammaire : la bilatéralité, l’apparition de phénomènes sécrétoires pendant la grossesse et surtout dans le post-partum, la turgescence prémenstruelle et l’augmentation de taille de la lésion au moment de la puberté si la malformation comporte une composante glandulaire.

Les polythélies, qui sont les malformations les plus fréquentes, 0,4 à 6 % selon les estimations, ne comportent évidemment pas ces critères diagnostiques ; elles peuvent également être observées chez l’homme.

Toutes les complications survenant sur un sein normal peuvent aussi survenir sur un sein surnuméraire, mais semble-t-il pas plus fréquemment.

Malformations cutanées des extrémités :

Les malformations digitales sont nombreuses et n’intéressent qu’à un faible degré le dermatologue.

Trois aspects plus originaux font davantage partie du florilège dermatologique que les autres.

A – DOIGT SURNUMÉRAIRE RUDIMENTAIRE CONGÉNITAL :

C’est une petite élevure ferme, quelquefois kératosique, pédiculée ou largement implantée sur le bord cubital de la phalange proximale d’un auriculaire ; comme cette lésion est congénitale, surtout si elle est bilatérale, elle est interprétée comme une ébauche de sixième doigt.

Quelquefois, il y a aussi une ébauche unguéale qui emporte la conviction.

Si une telle lésion est autoamputée in utero, sectionnée ou amputée par ligature du pédicule après la naissance, elle peut récidiver sous la forme d’un doigt surnuméraire rudimentaire acquis.

La structure histologique de cette malformation récurrente est assez singulière : dans l’axe conjonctif, il y a une prolifération enchevêtrée de nerfs pourvus d’axones comme dans un névrome d’amputation mais, en plus, on voit se différencier sous l’épiderme un corps papillaire contenant de nombreux corpuscules tactiles de type Wagner-Meissner.

Certains auteurs interprètent cette polydactylie rudimentaire comme une forme particulière du névrome digital : en effet, de telles lésions ne sont pas toujours secondaires à l’amputation d’un doigt surnuméraire et pourraient également apparaître après blessure ou section d’un petit nerf collatéral digital.

B – SYNDROME DE L’HAMARTOME ÉPIDERMIQUE INFLAMMATOIRE :

Le syndrome de l’hamartome épidermique inflammatoire ou CHILD syndrome (congenital hemidysplasia with inflammatory epidermal nevus and limb defects) a été simultanément décrit en Allemagne et en France en 1980, individualisé à partir de critères anatomocliniques dermatologiques.

C’est un syndrome polymalformatif congénital rare : à un hamartome épidermique inflammatoire, souvent de type HEVIL, strictement unilatéral, sont associées constamment des malformations squelettiques et facultativement des anomalies viscérales hypoplasiques toutes homolatérales.

Les malformations osseuses sont très variables et touchent surtout les extrémités des membres (hypoplasie harmonieuse, oligodactylie, syndactylie, ectrodactylie, hémimélie, phocomélie, amélie, etc), mais aussi pieds bots, malformations du cotyle, hypoplasies ipsilatérales des côtes, du bassin, etc.

Il n’y a pas dans ce syndrome d’anomalies oculaires et les manifestations neuropsychiatriques sont rares, ce qui constitue des arguments de diagnostic différentiel avec le syndrome de l’hamartome épidermique de Solomon et le syndrome de l’hamartome sébacé de Schimmelpennig.

C – MALFORMATIONS ASSOCIÉES À D’AUTRES AFFECTIONS CUTANÉES CARACTÉRISÉES :

Elles font partie intégrante de grands tableaux polymalformatifs tels que :

– l’hypoplasie dermique en aires ;

– certaines formes de dysplasie ectodermique, comme le syndrome EEC (ectrodactylia-ectodermal dysplasia-clefting) comportant aussi des fentes faciales ;

– le syndrome de l’hamartome de Becker ;

– le syndrome Protée, comportant des hypertrophies de tout un membre ou d’un segment de membre (macrodactylie isolée par exemple).

Malformations cutanées et lignes de Blaschko :

En 1901, Blaschko a été frappé par la disposition linéaire particulière de certaines dermatoses congénitales ou héréditaires et il a décrit des lignes cutanées distinctes des lignes métamériques des dermatomes et des lignes de fentes de Langer.

Ces lignes sont en forme de V au niveau du rachis dorsal, en forme de S couché sur le ventre, en trajets longitudinaux parallèles mais un peu torsadés sur les membres et en forme de spirale au cuir chevelu.

Elles ne deviennent visibles que si une dermatose linéaire marque leur emplacement.

Pour expliquer la disposition d’une lésion dermatologique selon les lignes de Blaschko, plusieurs conditions sont nécessaires :

– l’existence d’un mosaïcisme des cellules cutanées, par mutation somatique ;

– une croissance cutanée segmentée.

Ainsi, dans l’hamartome épidermique linéaire simple de type verruqueux, on admet qu’il y a au départ une mutation d’un clone ectodermique embryonnaire et la configuration spatiale de l’hamartome reproduit le chemin que les cellules mutantes ont suivi lors de l’embryogenèse.

Ceci explique que l’hamartome verruqueux linéaire soit congénital mais pas héréditaire.

Les malformations dont les lésions cutanées sont disposées selon les lignes de Blaschko sont fort nombreuses.

A – MALFORMATIONS BLASCHKOLINÉAIRES NON LIÉES AU CHROMOSOME X :

On distingue :

– les hamartomes épidermiques verruqueux linéaires caractérisés soit par une simple hyperplasie épidermique, inflammatoire ou non, soit par une dégénérescence granuleuse des filaments de kératine (hamartomes épidermolytiques) ; la maladie de Darier linéaire et la porokératose de Mibelli linéaire font partie de ces hamartomes épidermiques ;

– les hamartomes pigmentaires, dont la maladie d’Ito ou incontinentia pigmenti achromians sont caractérisés par des stries dépigmentées suivant les lignes de Blaschko ; cette maladie, malgré une nette prédominance féminine, paraît transmise en dominance autosomique ; il existe aussi des hamartomes achromiques linéaires en dehors de la maladie d’Ito ;

– les hamartomes annexiels, notamment l’hamartome sébacé linéaire, pouvant être congénital et associé à de nombreuses autres malformations de l’extrémité cervicocéphalique (retard psychomoteur, épilepsie, anomalies oculaires, etc) ; l’hamartome folliculaire basaloïde, l’hamartome comédonien linéaire ;

– les hamartomes conjonctifs linéaires : des hamartomes lipomateux superficiels, des fibromatoses linéaires progressives, des atrophodermies linéaires comme dans la maladie de Moulin peuvent être disposés selon les lignes de Blaschko, sans prédominance de sexe.

B – MALFORMATIONS BLASCHKOLINÉAIRES LIÉES :

À L’X Dans l’hypothèse d’un mosaïcisme fonctionnel des chromosomes X, la dermatose linéaire selon les lignes de Blaschko apparaît s’il existe un défaut d’un gène situé sur le chromosome X, défaut transmis en dominance, mais létal pour les foetus mâles hémizygotes XY.

La mutation génique n’est donc viable que si l’organisme dispose d’un second chromosome X normal, ce qui explique que les dermatoses linéaires par mosaïcisme fonctionnel du chromosome X ne surviennent pour ainsi dire que dans le sexe féminin XX (ou exceptionnellement dans des syndromes de Klinefelter XXY).

L’hypothèse d’un mosaïcisme fonctionnel avait déjà été formulée en 1961 par Mary Lion : selon cet auteur, chez la femme, un seul chromosome X est fonctionnel, l’autre étant inactivé pour former la chromatine sexuelle ou corpuscule de Barr.

L’inactivation de l’un ou l’autre chromosome X, paternel ou maternel, semble aléatoire et se fait entre le 12e et le 16e jour après la fécondation ; par la suite, dans toutes les cellules-filles d’un clone donné, l’inactivation reste toujours la même et si un gène est défectueux, ceci s’exprimera chez les femmes hétérozygotes par un mosaïcisme visible, c’est-à-dire lésionnel.

Celui-ci est illustré en pathologie cutanée par les affections suivantes :

– l’incontinentia pigmenti de Bloch-Sulzberger ;

– l’hypoplasie dermique en aires où l’ostéopathie striée, si particulière, pourrait également être une expression du même mosaïcisme ;

– l’anidrose des mères vectrices de la dysplasie ectodermique anidrotique liée à l’X ;

– la chrondrodysplasie ponctuée dominante liée à l’X comportant à la naissance des bandes ichtyosiformes disposées selon les lignes de Blaschko ;

– le syndrome de l’hamartome épidermique inflammatoire ; dans cette affection, les kératinocytes épidermiques n’expriment pas les marqueurs de différenciation kératinisante normale et conservent l’expression des cytokératines 5, 6, 14 et 16 des cellules basales ;

– le syndrome oro-facio-digital type I de Papillon-Léage et Psaume, où il y a une alopécie linéaire suivant la disposition en spirale des lignes de Blaschko du cuir chevelu.

Le fait que de telles dermatoses linéaires puissent malgré tout apparaître dans le sexe masculin (le sex-ratio F/M est de 37/1 pour l’incontinentia pigmenti) pourrait s’expliquer par une mutation d’un seul brin d’ADN d’un gamète, à moins qu’il ne s’agisse de syndromes de type Klinefelter.

Manifestations cutanées des aberrations gonosomiques :

Les formules gonosomiques aneuploïdes sont nombreuses, mais on distingue surtout deux grandes catégories : celles possédant un chromosome Y avec un phénotype mâle ; celles n’en possédant pas et ayant un phénotype femelle.

Comme nous l’avons vu précédemment, même en cas de chromosomes X surnuméraires, un seul est fonctionnel, les autres étant inactivés sous forme de corpuscules chromatiniens de Barr.

A – ANOMALIES GONOSOMIQUES À PHÉNOTYPE MASCULIN :

Dans le syndrome de Klinefelter (47 XXY), il y a souvent des ulcères de jambe ; chez un sujet jeune, la survenue d’ulcères doit faire rechercher les anomalies caractéristiques de ce syndrome (sujet longiligne, grand, quelquefois obèse ; petits testicules, gynécomastie et pilosité de type féminin) et demander un caryotype.

La pathogénie des ulcères est complexe : artères distales grêles à l’artériographie et insuffisance veineuse variqueuse chronique, plus ou moins compliquée de thromboses profondes, anomalies de l’agrégabilité plaquettaire et de la fibrinolyse.

Les ulcères sont éminemment torpides et récidivants.

Dans les autres formes phénotypiques, surtout 48 XXYY et 46 XY/47 XXY, on peut observer les mêmes signes cutanés. Dans le syndrome 47 XYY, il s’agit souvent de sujets de grande taille au visage massif avec de nombreuses lésions d’acné, surtout de type nodulaire.

La fréquence de survenue d’une acné grave dans ce génotype est de 44 % mais, inversement, la découverte d’une telle anomalie caryotypique lors des acnés nodulaires en général n’est pas fréquente.

En l’absence d’autres signes, tels qu’agressivité et retard mental, il paraît abusif de demander systématiquement un caryotype chez ces patients.

B – ANOMALIES GONOSOMIQUES À PHÉNOTYPE FÉMININ :

Dans le syndrome de Turner (caryotype 45 XO), l’anomalie gonosomique peut quelquefois être diagnostiquée in utero par la surveillance échographique ou suspectée à la naissance par l’observation d’un lymphoedème congénital des extrémités et de la nuque, disparaissant progressivement jusqu’à l’âge de 3 ans.

En fait, c’est surtout à la puberté que le diagnostic est le plus souvent posé.

En plus d’un défaut de développement des caractères sexuels secondaires et d’un retard menstruel, on peut noter les signes dermatologiques suivants :

– un pterygium colli (cou court palmé), des palmures digitales et quelquefois axillaires ;

– une hyperlaxité cutanée et articulaire ;

– une prédisposition aux chéloïdes ;

– de nombreux nævus, des angiomes ;

– une implantation basse des oreilles et des cheveux dans la nuque ;

– des ongles déformés ou hypoplasiques, des doigts courts…

Ces anomalies dermatologiques sont moins nettes dans les autres génotypes du type Turner (isochromosome du bras long de X, chromosome X en « anneau », délétion du bras court de X) ou dans les dysgénésies gonadiques avec délétion du bras long de X ou absence du contenu génétique du bras long.

Malformations fonctionnelles de la peau :

On peut opposer les malformations structurelles aux malformations physiologiques ou fonctionnelles de certains organes ou tissus.

Cette approche de l’étiopathogénie des malformations permet d’introduire la notion de physiotératogenèse : un vice de différenciation d’une fonction cellulaire peut être à l’origine de lésions cutanées cliniques circonscrites que l’on appelle les malformations fonctionnelles ou pharmacologiques de la peau.

Celles-ci se développent par exemple si, dans un secteur cutané donné, les récepteurs membranaires aptes à réagir à des stimulus nerveux ou endocriniens ne se sont pas formés ou sont mal différenciés.

A – TÉLANGIECTASIES NÆVOÏDES UNILATÉRALES :

Elles sont en rapport avec une anomalie des récepteurs des oestrogènes.

Ce sont des télangiectasies qui ont une distribution métamérique unilatérale, le plus souvent localisées dans les dermatomes du nerf trijumeau et des racines C3 et C4.

Elles prédominent nettement dans le sexe féminin ou, chez l’homme, dans les états d’hyperoestrogénie.

Dans une revue générale de Wilkin et al, sur 46 cas, 11 étaient congénitaux, 10 sont apparus à la puberté, 17 lors d’une grossesse, cinq en association avec une cirrhose éthylique, un à la période prépubertaire chez un garçon et un dans l’enfance chez une fillette.

Ce sont des télangiectasies ponctiformes ou linéaires, très nombreuses, souvent influencées par les émotions, la chaleur ou les exercices physiques.

Plusieurs travaux ont montré qu’il y avait dans les dermatomes concernés un nombre accru de récepteurs cytosoliques pour les oestrogènes : par rapport à la peau normale où il y a moins de 1 X 10-15 mol/mg de protéine de récepteurs pour l’oestradiol, la peau affectée par l’efflorescence de telles télangiectasies peut en comporter jusqu’à 6 X 10-15 mol/mg de protéine.

La pathogénie de ces cas est évidemment très hypothétique : du fait de la topographie métamérique, on est tenté d’imaginer que des éléments neuronaux ou musculaires des parois capillaires d’un métamère cutané donné réagissent ensuite de façon excessive et permanente à une hyperoestrogénie physiologique ou pathologique.

Il paraît intéressant, chez l’homme ou chez la femme ménopausée, de faire des essais thérapeutiques avec un inhibiteur de ces récepteurs tel que le tamoxifène.

B – MALFORMATIONS LIÉES AUX RÉCEPTEURS ANDROGÉNIQUES :

1- Hamartome de Becker :

Il apparaît chez les garçons avant l’âge de 10 ans dans 50 % des cas, sinon à l’adolescence. Les cas féminins sont rares. Ce sont des plaques pigmentées brun clair de 10 à 20 cm de diamètre, à contours géographiques, recouvertes de duvet ou de poils foncés.

Il y a généralement une plaque unique, émiettée en périphérie, toujours unilatérale, sur la région thoracique haute, sur le moignon de l’épaule, sur le bras, plus rarement sur l’abdomen ou la cuisse.

Histologiquement il y a une hyperplasie épidermique avec hyperpigmentation, une hyperplasie sébacée et une hypertrichose avec hyperplasie des muscles pilomoteurs, d’où l’idée d’une anomalie régionale des récepteurs aux androgènes : l’étude de ces récepteurs a donné des résultats contradictoires, mais certains auteurs ont trouvé dans la peau d’un hamartome de Becker des taux très élevés (jusqu’à 634 X 10-15 mol/mg de protéine), la concentration des récepteurs androgéniques dans la peau normale étant inférieure à 2 X 10-15 mol/mg de protéine.

Les chiffres élevés sont voisins de ceux que l’on trouve dans la région de la pilosité génitale et on a proposé de considérer l’hamartome de Becker comme un « pubis hétérotopique » !

2- Syndrome de l’hamartome de Becker :

La lésion cutanée peut être associée à d’autres malformations, dont la plus fréquente chez la femme est une hypoplasie mammaire homolatérale.

Les autres malformations rapportées, toutes situées du même côté du corps que l’hamartome de Becker sont une hypoplasie des muscles et des os de la ceinture scapulaire ou seulement du bras ipsilatéral, une scoliose, des malformations vertébrales ou costales, une atrophie dermohypodermique sous-jacente à la zone pigmentée.

Les malformations associées, notamment l’hypoplasie mammaire, peuvent être expliquées, en partie seulement, par une hyperréceptivité androgénique.

3- « Acne-free nevus » :

Une ou plusieurs zones de tégument dorsal normal contrastent avec le reste de la peau qui se couvre de lésions acnéiques au moment de la puberté.

Dans le cas publié par Cunliffe et al, le captage des androgènes dans la zone normale est réduit, de même que le pourcentage de testostérone 5-á-réduite.

Cette malformation semble en rapport avec un défaut des récepteurs androgéniques des glandes sébacées dans un secteur cutané circonscrit.

À l’inverse, dans les hyperplasies sébacées localisées et dans l’acne nevus, il pourrait s’agir d’une hypersensibilité ou d’une augmentation focale des récepteurs des seules glandes sébacées.

De même, certains hirsutismes pilaires localisés ou unilatéraux pourraient aussi avoir la même signification pathogénique, mais aucune étude récente des récepteurs n’a été faite dans de telles lésions, fort rares d’ailleurs.

Dans un cas d’hirsutisme unilatéral droit, Ellis avait déjà, en 1970, proposé le terme d’ « enzyme nævus ».

C – MALFORMATIONS FONCTIONNELLES LIÉES AUX RÉCEPTEURS ADRÉNERGIQUES :

1- Angiome plan (« nevus flammeus ») :

Dans l’angiome plan, l’absence de vasoconstriction adrénergique est à l’origine de la théorie d’une malformation de l’innervation vasculaire du métamère atteint.

Raff a démontré dans le « nevus flammeus », grâce à des antagonistes radioactifs des récepteurs vasculaires á et â que seuls les récepteurs â existent dans les parois des vaisseaux de l’angiome, d’où la vasodilatation permanente caractérisant l’affection.

L’angiome plan métamérique est une malformation pharmacologique par excellence, par défaut des alpha-récepteurs capillaires.

2- « Nevus anemicus » de Voerner :

Il s’agit de l’anomalie pharmacologique opposée à la précédente, avec une absence, une agénésie, des récepteurs alpha-adrénergiques responsables normalement de la vasodilatation cutanée ; les vaisseaux les plus superficiels de la lésion sont en état de vasoconstriction permanente, que seul un á-bloquant puissant tel que la phentolamine peut lever.

3- « Nevus oligemicus » :

C’est un placard érythématocyanotique, livide, froid, acquis, localisé sur une main ou sur le tronc.

L’examen histologique ne montre aucune lésion remarquable, mais des examens pléthysmographiques montrent qu’il y a une stase dans la circulation sanguine superficielle, qui détermine la couleur de la peau, jusqu’à 1,5 mm de profondeur, et une vasoconstriction dans la circulation plus profonde, qui détermine la température cutanée.

Le nevus oligemicus pourrait être une malformation fonctionnelle par agénésie focale des alpha-récepteurs adrénergiques de la seule circulation cutanée thermorégulatrice, à l’inverse de ce qui se passe dans le nevus anemicus qui comporte une agénésie des alpha-récepteurs adrénergiques de la seule microcirculation cutanée nutritionnelle.

Conclusion :

Pour être exhaustive, une telle revue générale sur les malformations cutanées devrait inclure au moins 20 % des entités dermatologiques.

Une neurofibromatose, un syndrome d’Ehlers-Danlos, une kératodermie palmoplantaire congénitale sont aussi des malformations, mais ces affections sont traditionnellement décrites dans des chapitres propres et non regroupées avec les malformations au sens tératologique du terme.

Au sens large, comme chaque individu a au moins quelques naevus, un angiome occipital ou une tache café au lait, on devrait dire qu’il n’y a pas de peau qui ne comporte au moins une malformation limitée.

Cette constatation évidente est à opposer aux résultats des enquêtes de fréquence, généralement plus sélectives, qui concluent à 3 % de nouveau-nés porteurs de malformations congénitales dont seulement 5 % sont de nature dermatologique.

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