Maladie de Kawasaki

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Introduction :

La maladie de Kawasaki est une vascularite aiguë multisystémique atteignant avec prédilection l’enfant jeune.

Elle est décrite pour la première fois en 1967, au Japon, par Kawasaki qui rapporte une série de 50 enfants atteints d’un nouveau syndrome : le syndrome « adéno-cutanéo-muqueux aigu fébrile ».

Maladie de KawasakiInitialement considéré comme bénin, ce syndrome est vite rendu responsable de cas létaux, si bien qu’en 1970, un groupe d’étude spécifique est constitué au Japon.

Décrite ensuite à Hawaï, aux États-Unis, au Canada et en Europe, la maladie de Kawasaki atteint chaque année 10 000 enfants au Japon et plus de 3 000 aux États-Unis.

C’est actuellement la vascularite systémique la plus fréquente de l’enfant, survenant dans 80 % des cas entre 2 et 5 ans.

Elle est aussi, dans les pays développés, la première cause de cardiopathie acquise de l’enfant.

Le pronostic est dominé par l’atteinte cardiaque avec le risque d’anévrismes coronariens dans 20 % des cas en l’absence de traitement.

Les formes de l’adulte ont été rapportées pour la première fois en 1977 par T Kawasaki.

Depuis, une soixantaine d’observations ont été décrites dans la littérature, dont cinq chez des sujets infectés par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH).

Épidémiologie :

La maladie de Kawasaki est essentiellement une maladie du nourrisson et du jeune enfant ; au Japon, 80 % des cas concernent des enfants de moins de 5 ans, avec un pic de fréquence maximal entre 12 et 18 mois.

Aux États-Unis, 85 % des enfants atteints ont moins de 5 ans, avec un pic à 3 ans.

Quelques cas ont été rapportés chez l’adulte.

Il existe une prédominance masculine avec un sex-ratio de 1,5/1 au Japon, 1,8/1 aux États-Unis.

Il existe au Japon un observatoire de la maladie de Kawasaki depuis 1970 : le Japan MCLS Research Committee.

Il a permis de recenser 116 848 cas de maladie de Kawasaki entre 1970 et 1990.

L’incidence annuelle est dans ce pays de l’ordre de 90 cas pour 100 000 enfants de moins de 5 ans.

Il est notable qu’aux États-Unis, où l’incidence est particulièrement forte, la maladie de Kawasaki est plus fréquente chez les enfants d’origine asiatique et les enfants noirs que chez les enfants blancs.

De véritables épidémies, caractérisées par une importante et brutale augmentation d’incidence sur une période de quelques mois, ont été observées aux États-Unis, au Canada, en Australie, en Nouvelle-Zélande, en Corée et en Europe.

La prédominance masculine est nettement atténuée pendant l’épidémie.

Au cours des trois épidémies observées au Japon, le début s’est fait au moment de la période habituelle d’incidence maximale de la maladie de Kawasaki (hiver-printemps).

En France, l’épidémiologie de la maladie de Kawasaki n’est pas suivie de façon systématique.

On estime à plus de 200 cas par an l’incidence de la maladie de Kawasaki en France.

Symptomatologie. Diagnostic :

Le diagnostic du syndrome de Kawasaki est essentiellement clinique.

Il n’existe pas de signe clinique ou biologique pathognomonique de la maladie. Le diagnostic repose sur des critères cliniques et un bilan étiologique négatif.

A – DÉFINITION :

La définition proposée par le Mucocutaneous Lymph Node Syndrome Research Committee et approuvée ensuite par le Center for Disease Control (CDC) repose sur l’association de critères majeurs tirés du rapport original du Dr Kawasaki dans sa description princeps en 1967.

D’autres signes ou symptômes peuvent être observés : les critères mineurs.

Ils peuvent constituer un élément d’orientation.

B – CRITÈRES MAJEURS (TELS QU’ILS ONT ÉTÉ DÉFINIS PAR L’AMERICAN HEART ASSOCIATION COMMITTEE ON RHEUMATIC FEVER, ENDOCARDITIS, AND KAWASAKI DISEASE) :

1- Fièvre :

Il s’agit d’une température oscillant entre 38,5 et 40 °C.

Habituellement inaugurale, elle est constante et dure en moyenne une dizaine de jours (durée minimale de 5 jours) mais peut se prolonger jusqu’à la cinquième semaine.

Elle résiste aux antibiotiques et aux antipyrétiques.

Elle s’accompagne d’une asthénie et d’une irritabilité constantes.

2- Conjonctivite :

L’injection conjonctivale bilatérale apparaît en général dans la première semaine après le début de la fièvre.

L’hyperhémie conjonctivale prédomine habituellement au niveau de la conjonctive bulbaire par rapport à la conjonctive tarsale ou palpébrale.

Il n’existe pas d’exsudat ni d’oedème de la conjonctive associé, ni d’ulcération cornéenne.

Elle est rapportée chez 90 à 100 % des patients.

Elle dure en général 1 à 2 semaines sans traitement et disparaît dans les jours suivant la perfusion de gammaglobulines.

3- Atteinte muqueuse :

Elle apparaît précocement.

La chronologie des signes muqueux est la suivante :

– la pharyngite apparaît au troisième jour, avec parfois un aspect érythématopultacé, et est présente dans 57 % des cas ;

– la chéilite (avec lèvres rouges, carminées, sèches et squameuses) est présente dans 93 % des cas et survient en moyenne au cinquième jour ;

– la langue dépapillée est présente chez 50 % des patients et apparaît vers le sixième jour, précédée dans de rares cas d’un enduit blanchâtre ;

– la stomatite, plus rare, n’est retrouvée que dans un contexte clinique sévère.

Le délai d’apparition de ces différents signes est variable.

4- Atteinte des extrémités :

Elle apparaît en général aux environs du cinquième jour et se présente alors comme un érythème des paumes et/ou des plantes, ou une éruption des faces dorsales des extrémités (érythème, urticaire).

L’oedème palmoplantaire, plus rare, apparaît en moyenne le septième jour.

Il peut être localisé sur les faces dorsales des extrémités.

La desquamation des doigts et des orteils, qui survient au cours de la troisième semaine, peut s’associer à une desquamation palmoplantaire.

Elle doit être considérée comme un signe tardif.

En revanche, la survenue d’une telle desquamation en dehors d’une scarlatine doit faire évoquer a posteriori le diagnostic de maladie de Kawasaki lorsque celui-ci n’a pas été porté, et faire réaliser une échographie cardiaque à la recherche d’anévrismes.

5- Exanthème polymorphe du tronc :

Il apparaît entre le troisième et le cinquième jour.

Il se présente comme des macules érythémateuses de 5 à 30mm de diamètre.

Il débute par un érythème des paumes et des plantes et gagne le tronc les 2 jours suivants.

Les lésions augmentent rapidement de taille et deviennent coalescentes.

D’autres études ont bien montré le caractère polymorphe de cette atteinte.

L’exanthème peut être plus précoce et survenir au deuxième jour.

Il est le plus souvent urticarien en général non prurigineux, parfois à type de cocardes.

L’éruption est moins souvent morbilliforme ou formée de macules érythémateuses, et plus rarement encore scarlatiniforme.

Des vésicules et des pustules ont été décrites chez certains patients.

Des lésions purpuriques ont même été notées chez deux enfants, ainsi qu’une vaste nécrose du front chez un autre sujet.

Au stade de desquamation, on observe parfois un sillon unguéal transversal, ou ligne de Beau. L’atteinte du siège est évocatrice du diagnostic.

Il s’agit d’une éruption bien limitée, maculeuse ou en plaques, confluente, parfois douloureuse, atteignant toute ou partie de la région périnéale (pouvant aboutir à un érythème en « culotte ») et rapidement suivie d’une desquamation.

Friter et al proposent d’inclure ce critère comme un critère majeur.

L’érythème et la desquamation surviennent dans la majorité des cas (88 %) entre le premier et le sixième jour de la maladie (la desquamation suit l’érythème de 2 jours).

La desquamation périnéale est donc beaucoup plus précoce que celle des doigts et du pourtour unguéal. L’inflammation sur cicatrice de vaccination par le bacille de Calmette-Guérin (BCG) est une manifestation non exceptionnelle et considérée au Japon comme un signe précoce et très spécifique de la maladie.

La lésion peut être nodulaire et nécrotique ; la guérison se fait en règle en 2 semaines.

Cependant, il existe des formes incomplètes (nourrisson) graves, diagnostiquées tardivement, à haut risque d’anévrismes coronariens.

C – AUTRES CRITÈRES DE LA PHASE AIGUË OU CRITÈRES MINEURS :

Certains étaient signalés par Kawasaki dans sa description princeps.

Leur présence n’autorise pas à porter le diagnostic mais ils constituent un bon élément d’orientation, associés aux critères majeurs.

1- Manifestations digestives :

Vomissements, diarrhées, douleurs abdominales représentent des signes fréquents.

La découverte d’un hydrocholécyste, d’un iléus paralytique, d’un ictère modéré et d’une augmentation modérée des transaminases n’est pas non plus exceptionnelle.

La fréquence de l’hydrocholécyste, de 5 % dans les anciennes séries, est sûrement sous-estimée.

Il survient en général dans la deuxième semaine de la maladie.

La pathogénie est une vascularite des muscles de la paroi de la vésicule biliaire.

2- Atteintes hématologiques :

Les symptômes incluent une élévation de la vitesse de sédimentation (VS), une hyperleucocytose, une élévation de la C reactive protein (CRP), une hypoalbuminémie et une anémie modérée pendant la phase aiguë, une thrombocytose pendant la phase subaiguë.

La chronologie des signes biologiques a été bien décrite.

La VS atteint son pic dès le premier jour, et se normalise dans la deuxième ou troisième semaine d’évolution.

Une anémie, rarement sévère, s’observe également précocement et se corrige à compter de la deuxième semaine.

La leucocytose est marquée et atteint son maximum au dixième jour d’évolution pour disparaître ensuite vers le 21e jour.

Une hyperéosinophilie a parfois été notée. Le décompte des plaquettes semble fléchir discrètement le quatrième jour d’évolution, avant d’augmenter pour atteindre son pic vers le 20e jour.

Cette anomalie hématologique est la plus constante, tardive et durable (parfois plusieurs mois).

3- Atteinte rénale :

La fréquence de l’atteinte rénale est difficile à préciser puisque l’on retrouve essentiellement des observations isolées dans la littérature.

On peut retrouver un dysfonctionnement rénal allant de l’insuffisance rénale aiguë à de simples anomalies à l’examen des urines.

Cet examen peut montrer une pyurie, une protéinurie, une hématurie.

L’échographie rénale montre des signes en général corrélés avec l’atteinte rénale.

On peut retrouver de gros reins hyperéchogènes avec une augmentation de la différenciation corticomédullaire.

L’atteinte peut être unilatérale. Dans l’étude de Nardi sur les quatre patients avec une atteinte rénale, trois ont eu des contrôles échographiques ultérieurs normaux et tous des contrôles urinaires ultérieurs normaux.

4- Signes respiratoires :

Une toux et une rhinorrhée sont fréquemment observées. Les infiltrats pulmonaires et les pneumonies sont des complications plus rares (5 %).

5- Atteinte neurologique :

Les signes neurologiques habituellement reconnus sont l’irritabilité, la méningite lymphocytaire aseptique, ou la paralysie faciale.

Cette dernière débute habituellement entre le septième et le 22e jour de la maladie.

Le liquide céphalorachidien est en général normal.

6- Autres atteintes :

Les manifestations articulaires, essentiellement à type d’arthralgies des grosses articulations, sont fréquentes.

Elles évoluent spontanément vers la guérison.

Des manifestations oto-rhinolaryngologiques à type d’obstruction des voies aériennes supérieures, en relation avec une uvulite, une épiglottite ou des adénopathies compressives ont été décrites.

D – FORMES INCOMPLÈTES :

Des formes incomplètes ont pu être décrites, ne réunissant pas au moins cinq critères.

La définition des maladies de Kawasaki atypiques inclut les patients présentant des anomalies coronariennes visualisées à l’échographie bidimensionnelle ou à l’angiographie, mais ne réunissant pas au moins quatre critères.

Certains auteurs suggèrent de considérer comme porteurs d’une maladie de Kawasaki les nourrissons et jeunes enfants avec une fièvre prolongée inexpliquée, en particulier si on note une desquamation périphérique.

D’autres conseillent, devant toute présentation clinique inhabituelle accompagnée d’une inflammation systémique, de pratiquer une échographie qui peut aider à identifier le syndrome (maladies de Kawasaki « rattrapées » par l’échographie), et donc aboutir à un traitement précoce par immunoglobulines (Ig) intraveineuses.

En fait, l’attitude devant un érythème fébrile inexpliqué chez un nourrisson ne présentant que quatre critères ou moins est extrêmement difficile ; la plupart des auteurs proposent de considérer toutes les suspicions de Kawasaki comme des maladies de Kawasaki et de traiter au plus vite par des gammaglobulines sans attendre la formation d’anévrismes pour confirmer le diagnostic à un stade déjà compliqué.

L’expérience clinique de la maladie de Kawasaki dans ses formes atypiques est donc irremplaçable.

Manifestations cardiovasculaires :

La maladie de Kawasaki évolue ainsi en trois phases :

– la phase aiguë que l’on vient de décrire dure 1 à 2 semaines.

C’est à ce stade que le diagnostic doit être évoqué ;

– la deuxième phase dite subaiguë : fièvre, éruption et adénopathies disparaissent, alors qu’apparaît une desquamation périunguéale.

Cette phase est marquée par un risque élevé de mort subite par complication coronarienne ;

– la phase de convalescence (70 jours après le début de la maladie) est marquée par une disparition totale des signes cliniques et une normalisation progressive du syndrome inflammatoire biologique.

L’incidence de l’atteinte cardiovasculaire est de l’ordre de un patient sur deux.

Les complications cardiaques, notamment coronariennes, font toute la gravité de la maladie.

En effet, les causes de mortalité se répartissent en infarctus (82 %), myocardite (7 %), rupture d’anévrisme (8 %), autres (3 %).

La myocardite peut être responsable d’insuffisance ventriculaire gauche d’évolution fatale.

La péricardite, plus ou moins abondante, annonce l’atteinte coronarienne.

L’endocardite est exceptionnelle.

Les anévrismes coronariens conditionnent le pronostic de la maladie et surviennent entre le dixième et le 25e jour d’évolution.

Leur fréquence se situe entre 15 et 20 %.

Souvent multiples, ils siègent habituellement dans la partie proximale ou aux bifurcations.

Le pronostic cardiaque dépend essentiellement de leur taille.

Un diamètre > 8 mm définit les anévrismes géants ; ils ne régressent pas, au contraire des anévrismes de taille petite et moyenne.

Les anévrismes géants comportent un risque majeur de complications graves : ils peuvent être latents et dépistés par une échographie systématique ou se révéler par un tableau d’insuffisance cardiaque, voire une mort subite par infarctus massif du myocarde.

D’autres anomalies peuvent se voir : arythmie, insuffisance cardiaque congestive, embolie cérébrale.

Les modifications d’électrocardiogramme (ECG) sont variables et traduisent la souffrance myocardique.

L’échographie bidimensionnelle est la technique de choix, tant pour le diagnostic que pour la surveillance.

Examen non invasif et performant, c’est aussi un élément essentiel de la surveillance.

La place de la coronarographie est mal précisée.

Elle se discute essentiellement pour les lésions coronaires pour lesquelles un geste chirurgical est envisagé.

Les facteurs prédisposants à leur développement sont en partie identifiés : âge inférieur à 1 an, sexe masculin, fièvre et éruption prolongées, intensité et persistance du syndrome inflammatoire et de la thrombocytose.

L’évolution des anévrismes est importante à considérer : la latence est possible pendant de longues années.

On rapporte ainsi des morts subites, avec à l’autopsie des anévrismes coronaires calcifiés des années après la maladie. Ils peuvent régresser.

Classiquement, 50 % environ des anévrismes disparaissent dans les 2 ans, probablement d’autant plus vite qu’ils sont de taille modérée et fusiformes.

La régression se fait par épaississement cicatriciel de l’intima.

Ceci entraîne une moindre capacité de vasodilatation et expose à un risque ultérieur de coronarite oblitérante.

Les complications des anévrismes volumineux et circulaires sont dominées par le risque de thrombose survenant dans 20 % des cas et responsable d’un infarctus survenant en règle dans la première année.

L’infarctus peut s’observer plus tardivement dans plus de 25 % des cas.

La surveillance cardiaque à long terme repose sur la classification du risque en fonction des résultats de l’échographie initiale et à 2 mois.

Une stratégie de surveillance a ainsi pu être établie. Cette panvascularite n’épargne pas les autres vaisseaux et des anévrismes peuvent se développer au niveau d’autres artères.

Dans environ 2 % des cas, cette vascularite atteint les artères de gros et moyen calibres. On décrit ainsi des gangrènes distales, des anévrismes des artères rénales, spléniques, hépatiques, pancréatiques, génitales.

Diagnostic biologique :

Le laboratoire n’est d’aucune aide au diagnostic car il ne dispose d’aucun test spécifique.

Il existe un syndrome inflammatoire le plus souvent majeur avec augmentation de la VS, de la CRP et du fibrinogène.

On observe des modifications de la numération-formule sanguine (NFS) : hyperleucocytose avec polynucléose, anémie normochrome, normocytaire.

L’hyperplaquettose est plus tardive. On observe souvent des perturbations du bilan hépatique : élévation modérée des transaminases glutamo-oxaloacétique (SGOT) et des transaminases glutamopyruviques (SGPT).

La bilirubine est rarement élevée. Des modifications urinaires à type de pyurie amicrobienne sont fréquentes au stade initial. La protéinurie est fréquente et banale.

L’hématurie est rare. Le dosage des anticorps anticytoplasme des polynucléaires neutrophiles (ANCA) et anti-endothélium n’a pas d’intérêt diagnostique.

L’intérêt du dosage de certaines cytokines circulantes ou de leurs récepteurs est en cours d’évaluation. Rappelons enfin la négativité du bilan bactériologique et virologique.

Diagnostic différentiel :

Il se pose avec :

– la scarlatine : présence de streptocoque A bêtahémolytique au prélèvement de gorge, streptolysine-test positif, réponse favorable sous antibiotiques ;

– le choc toxique staphylococcique : adolescent surtout, signes hémodynamiques, défaillance polyviscérale, isolement du germe responsable producteur de toxine ;

– l’érythème polymorphe : atteinte muqueuse orale érosive, fibrinoleucocytaire et polycyclique, lésions cutanées en cocardes typiques ;

– la rougeole, d’autres exanthèmes viraux, l’infection à Yersinia, la leptospirose, certaines toxidermies (Kawasaki-like disease) notamment à la carbamazépine, peuvent mimer en tous points une maladie de Kawasaki et poser de difficiles choix thérapeutiques.

La frontière entre diagnostic différentiel et étiologique est quelque peu ambiguë.

Un bilan infectieux complet est indispensable chez tous les enfants suspects de maladie de Kawasaki : hémocultures, examen cytobactériologique des urines, prélèvements bactériologiques (gorge, porte d’entrée éventuelle avec recherche de toxine en cas de positivité pour un streptocoque ou un staphylocoque doré), coproculture avec recherche de Yersinia, examen virologique des selles, sérologies (antistreptolysine O [ASLO], anticorps anti-TSS T1, rougeole, rubéole, adénovirus, virus d’Epstein-Barr [EBV], rotavirus, mycoplasme, leptospirose, rickettsiose, yersiniose).

À la limite de la frontière nosologique, la périartérite noueuse (PAN) du nourrisson ou PAN infantile.

Elle correspond, pour certains auteurs, à la même affection que le syndrome de Kawasaki.

En effet, la forme grave de PAN infantile avec atteinte sévère des artères coronaires et la maladie de Kawasaki sont indistinguables, tant cliniquement qu’histologiquement.

Pathogénie :

La phase aiguë de la maladie est caractérisée par une activation du système immunitaire et de l’endothélium comme en témoignent :

– l’activation des monocytes/macrophages avec production d’interleukine (IL)1b, de tumor necrosis factor (TNF)a et d’IL6 ;

– l’activation des lymphocytes T (augmentation des lymphocytes sanguins CD4+, (HLA-DR+), CD25+ et du taux sérique des récepteurs à l’IL2) et des lymphocytes B (augmentation polyclonale des IgM, IgG, IgA et parfois IgE, présence d’anticorps dirigés contre des antigènes de l’endothélium activé et d’ANCA) ;

– l’aspect histologique des vaisseaux avec signes d’activation des cellules endothéliales et adhésion leucocytaire (images de nécrose, dépôts de fibrine).

L’endothélium activé devient procoagulant.

La paroi vasculaire est infiltrée par des lymphocytes et des macrophages sécrétant respectivement l’interféron IFNc pour les lymphocytes T, l’IL1 et le TNFa pour les macrophages.

Ces médiateurs sont de puissants inducteurs de molécules de surface endothéliale appartenant au groupe HLA de classes I et II, et de molécules d’adhésion (ICAM I et ELAM I).

Ces néoantigènes exprimés à la surface endothéliale induisent l’adhésion leucocytaire et l’apparition d’autoanticorps cytotoxiques.

Les polynucléaires neutrophiles (PN) adhérents libèrent des enzymes protéolytiques et des radicaux libres capables de détruire la tunique des vaisseaux, permettant la formation des anévrismes.

Étiologie :

L’hypothèse d’une étiologie toxique (produit d’entretien des moquettes, mercure) a été rapidement abandonnée. Une susceptibilité individuelle semble nécessaire pour que la maladie se développe, comme le suggère la différence d’incidence selon les races et le sexe et la prédominance possible de certains groupes HLA, comme HLA-BW22 pour la maladie de Kawasaki et HLABW15 pour l’atteinte cardiaque.

L’aspect clinique et des arguments épidémiologiques suggèrent une étiologie infectieuse.

Le profil de l’affection est en effet celui d’une maladie éruptive avec fièvre, énanthème et exanthème, tuméfaction ganglionnaire, évolution habituelle vers la guérison spontanée.

Les données épidémiologiques décrites au Japon, aux États-Unis et en Europe apportent des arguments en faveur d’une affection transmissible : existence d’épidémies avec modification du sex-ratio et augmentation du nombre de cas familiaux, caractère cyclique des épidémies.

La relative rareté des cas secondaires au cours de ces épidémies suggère la responsabilité d’un agent peu transmissible ou d’un agent largement répandu dans la population contre lequel les adultes et les grands enfants sont immunisés.

De nombreux germes ont été suspectés : rickettsies, acariens, Propionibacterium acnes, rétrovirus, EBV, parvovirus B19, mais aucun agent infectieux n’a été clairement identifié à ce jour. Certains travaux récents s’orientent vers l’hypothèse d’une maladie à superantigènes toxiniques.

Il semble exister à la phase aiguë et non à la phase chronique de la maladie une expansion polyclonale des lymphocytes TCD4+ exprimant les segments variables de la chaîne b du récepteur T Vb2 et Vb8.

Ce profil particulier de restriction du sous-répertoire Vb des lymphocytes T suggère l’intervention d’un superantigène et non d’un antigène conventionnel. On discute actuellement le rôle du staphylocoque ou du streptocoque, producteurs de toxines superantigéniques.

Des études plus récentes ne vont pas dans ce sens.

Pietra et al, les premiers, remettent en cause les études de Abe et de Leung tant sur les méthodes employées que sur les conclusions tirées : les résultats de Abe sont essentiellement obtenus sur des lymphocytes activés par de l’IL2 et des anti-CD3.

Puisque les lymphocytes T préalablement activés in vivo par des superantigènes peuvent être beaucoup moins réactifs à une stimulation ultérieure, l’analyse des cellules stimulées peut ne pas être représentative de la situation in vivo.

Ces données suggèrent, pour les auteurs, que la réponse cellulaire T de la maladie se fait en réponse à un antigène conventionnel.

Dans une étude récente, Choi et al retrouvent des résultats similaires.

Pronostic :

Il est lié à la précocité du traitement.

Le diagnostic doit être porté avant le septième jour, de façon à débuter précocement les Ig intraveineuses à fortes doses.

Dans les premières séries japonaises, le taux de mortalité était de 1 à 2%.

Ce taux de mortalité est tombé à 0,04 % en 1992. Le taux de mortalité est élevé à la phase aiguë, surtout chez les garçons et les nourrissons.

Le taux de mortalité rejoint celui de la population générale après la phase aiguë.

L’absence de recul suffisant ne permet pas de savoir si les malades ayant survécu à la phase aiguë ont une espérance de vie diminuée.

Le syndrome de Kawasaki représente cependant une étiologie reconnue de coronaropathie du sujet jeune.

En effet, en contraste avec le faible taux de mortalité observé, plus de 15 % des malades vont garder des séquelles cardiaques.

Par ailleurs, des décès sont possibles très à distance, en particulier chez les sujets dont l’atteinte cardiaque initiale est restée asymptomatique.

Notons que des rechutes sont observées au Japon avec un taux de 4 %.

Elles surviennent habituellement dans les 2 ans suivant l’épisode initial.

Maladie de Kawasaki de l’adulte :

La prévalence de la maladie de Kawasaki de l’adulte est probablement sous-estimée, ce diagnostic étant rarement évoqué et parfois considéré avec « scepticisme ».

Les formes de l’adulte ont été rapportées pour la première fois en 1977 par T Kawasaki.

Depuis, une soixantaine d’observations ont été décrites dans la littérature.

La moyenne d’âge était de 27,6 ans, variant de 15 à 68 ans.

Parmi ces adultes, 50 étaient de race blanche, huit de race noire et six étaient asiatiques.

Ce syndrome a été rapporté chez cinq adultes infectés par le VIH. L’évolution et l’aspect clinique ne différaient en rien des autres observations de l’adulte.

D’après l’analyse de ces observations, les symptômes majeurs décrits sont identiques chez l’adulte et chez l’enfant, mais des troubles digestifs, une atteinte hépatique et des signes articulaires sont plus fréquemment associés chez l’adulte.

Comme chez l’enfant, des complications graves peuvent survenir : quatre adultes ont développé des anévrismes coronariens, trois ont développé des anévrismes des artères viscérales et un est décédé d’encéphalite.

Le traitement par Ig intraveineuses, administré précocement, a démontré son efficacité dans la prévention de ces complications.

Le diagnostic différentiel se pose essentiellement avec :

– le syndrome du choc toxique staphylococcique : la brièveté du syndrome fébrile, une hypotension artérielle, une insuffisance rénale, une thrombopénie et la présence d’un foyer staphylococcique plaident en faveur de cette étiologie ;

– certaines réactions médicamenteuses (barbituriques, carbamazépine…) peuvent simuler en tous points un syndrome de Kawasaki ;

– les infections virales (rougeole, rubéole, parvovirus B 19, primoinfection VIH, cytomégalovirus, EBV, human herpes virus) et bactériennes (rickettsiose, leptospirose, yersiniose) doivent être éliminées ;

– l’érythème récidivant des fesses et des paumes, associé à la présence d’un streptocoque bêtahémolytique du groupe C dans la gorge, récemment rapporté ;

– certaines connectivites (PAN, lupus érythémateux systémique, maladie de Still).

C’est l’association de critères cliniques et biologiques, séparément non spécifiques, et d’un bilan étiologique exhaustif négatif qui peut faire évoquer le syndrome de Kawasaki et instituer un traitement par Ig intraveineuses en urgence.

Traitement :

Il n’y a pas de traitement spécifique de la maladie de Kawasaki.

Seules les Ig intraveineuses, prescrites précocement, ont une efficacité démontrée dans la prévention des complications vasculaires coronariennes (deux études contrôlées multicentriques).

Elles posent cependant le problème d’un coût élevé et souvent inutile, car 80 % des enfants n’ont pas de complications coronariennes.

Il n’existe actuellement pas de critère biologique ou clinique permettant de définir nettement les sujets à risque.

Les travaux actuels s’intéressent à la recherche de marqueurs prédictifs d’atteinte coronarienne : dosage d’ICAM1 (reflet du degré d’activation de la cellule endothéliale), des cytokines circulantes proinflammatoires (IL1, IL6, IL8, TNFa), voire de leurs récepteurs (p60s TNFR).

Une étude récente rétrospective sur 6 ans, portant sur 82 patients dont 46 garçons dont la maladie avait débuté à un âge moyen de 2,4 ans, a tenté de définir les malades les plus exposés au risque coronarien ; les critères biologiques laissant prévoir une « nonréponse » aux gammaglobulines étaient une CRP supérieure à 10 mg/dL, un taux d’hémoglobine inférieur à 11 g/dL et des lacticodéshydrogénases (LDH) supérieures à 590 UI/L.

Sur ces 82 patients, il y a eu 13 non-répondeurs, avec une atteinte coronaire dans 38,5 % des cas contre 1,4 % chez les sujets répondeurs.

Les auteurs discutent, chez ces malades à risque de non-réponse, l’intérêt d’associer d’emblée des bolus de méthylprednisolone.

A – GAMMAGLOBULINES :

L’utilisation des gammaglobulines a été suggérée dès les années 1980.

Par la suite, Newburger et al ont mené une étude prospective multicentrique randomisée aux États-Unis, entre février 1984 et septembre 1985, comparant le traitement par aspirine seule et par aspirine plus gammaglobulines (à la dose de 400 mg/kg/j pendant 4 jours).

Parmi les patients traités par aspirine plus gammaglobulines, la prévalence des anomalies coronariennes était significativement plus faible que dans le groupe contrôle, tant à 2 semaines (23 % versus 8 %) qu’à 7 semaines (18 % versus 4 %).

Les résultats de cette étude ont hâté la généralisation du traitement par gammaglobulines aux États-Unis.

Dans une autre étude, Newburger et al démontrent qu’une seule injection de gammaglobulines à la dose de 2 g/kg administrée en continu sur 10 heures était plus efficace que le protocole classique d’administration des gammaglobulines sur 4 jours.

Comme le souligne Newburger dans son étude, la fièvre peut persister plus de 3 jours après l’arrêt du traitement chez 20 à 30 % des enfants traités par gammaglobulines.

Différentes thérapeutiques ont été essayées en cas d’échec du traitement : Sundel et al ont montré l’efficacité d’un deuxième traitement par gammaglobulines chez la plupart des patients avec recrudescence fébrile ou fièvre persistante.

En cas d’échec, les échanges plasmatiques ont été proposés.

B – ASPIRINE :

L’aspirine représente le second volet du traitement, systématiquement indiquée dès que le diagnostic est suspecté.

L’aspirine a été proposée pour ses propriétés anti-inflammatoires et antithrombotiques.

De fortes doses ont permis de réduire la durée de la fièvre et les autres signes inflammatoires.

L’aspirine seule n’avait en revanche aucun effet sur le développement d’anomalies coronariennes.

L’aspirine associée aux gammaglobulines a été utilisée à différentes doses :

– à la phase aiguë, les auteurs japonais ont tendance à employer des posologies faibles.

Ils justifient cette attitude par l’augmentation de l’agrégabilité plaquettaire lors de la prescription de fortes doses d’aspirine à la phase aiguë de maladie de Kawasaki.

Les Occidentaux sont, eux, beaucoup plus en faveur de prescription de fortes doses d’aspirine.

Ils attirent l’attention sur la réduction de l’absorption et l’augmentation de la clairance de l’aspirine chez l’enfant atteint de maladie de Kawasaki.

La plupart des centres américains proposent la prescription de 100 mg/kg/j en quatre prises.

Durongpisitkul et al ont montré que les fortes doses et les faibles doses d’aspirine (associées à de fortes doses de gammaglobulines) ne modifiaient pas l’incidence des anomalies coronariennes.

Il n’existait donc pour eux aucun argument statistique à l’utilisation de fortes doses d’aspirine pour la prévention de l’atteinte coronarienne à 30 jours ;

– à la phase de convalescence, tout le monde s’accorde à utiliser de faibles doses d’aspirine à visée antiagrégante s’il existe des anévrismes coronariens.

En l’absence de telles complications, l’aspirine est donnée tant que persistent le syndrome inflammatoire et les signes cliniques.

C – CORTICOÏDES :

Kijima et al ont rapporté une diminution de la fréquence des atteintes coronaires lors du traitement par bolus de méthylprednisolone à la phase aiguë de la maladie de Kawasaki.

Cependant, ces résultats n’ont pas été reproduits et au contraire d’autres ont noté une augmentation des séquelles coronariennes avec l’utilisation de corticoïdes à la phase aiguë.

Ces résultats divergents sur l’effet de la corticothérapie sur la formation d’anévrismes coronariens ne doivent pas faire oublier l’intérêt de la corticothérapie dans la prise en charge à court terme des patients présentant des signes de choc associés à la myocardite ischémique.

Dans ce cas, les corticoïdes par voie parentérale peuvent stabiliser la réaction inflammatoire myocardique.

Il est maintenant admis en France que les corticoïdes ne sont pas indiqués en phase aiguë (15 premiers jours) sauf complication particulière.

Au-delà de cette phase, des complications viscérales persistantes peuvent être une indication aux corticoïdes.

De nouvelles études prospectives permettront de mieux définir la place des corticoïdes dans le traitement de cette vascularite.

D – AUTRES TRAITEMENTS :

La pentoxifylline a été testée en association aux gammaglobulines et l’aspirine.

Les résultats semblent intéressants mais restent préliminaires.

E – ÉVOLUTION SOUS TRAITEMENT :

Au total, les Ig intraveineuses sont la pierre angulaire incontournable du traitement du syndrome de Kawasaki.

L’amélioration clinique est très rapide.

La fièvre disparaît et l’état général s’améliore dans les heures qui suivent la perfusion.

Le syndrome inflammatoire et l’hyperleucocytose se corrigent dans les jours qui suivent le début du traitement.

L’absence de normalisation rapide des signes cliniques, biologiques et immunologiques doit faire envisager une révision du diagnostic et/ou une nouvelle perfusion d’Ig intraveineuses.

En cas de résistance (10 %), les bolus de corticoïdes, voire les échanges plasmatiques, pourraient représenter une alternative efficace.

La surveillance doit être étroite et prolongée, surtout chez les malades qui gardent des anomalies coronariennes.

Les obstructions coronariennes sont particulièrement fréquentes en cas d’anévrismes géants.

Le traitement chirurgical (pontage aortocoronarien) se discute en milieu cardiologique.

F – ÉVOLUTION DES ANÉVRISMES CORONARIENS :

Leur prise en charge s’envisage en milieu cardiopédiatrique.

Les anévrismes à haut risque de thrombose font discuter l’indication de la warfarine associée à l’aspirine, de la coronarographie, de la scintigraphie cardiaque et du test à la dobutamine.

En cas de thrombose patente ou latente, sont discutés les thrombolytiques en association avec l’héparine.

L’angioplastie coronaire percutanée et le pontage coronarien sont discutés au cas par cas.

La stratégie de surveillance est définie en fonction du niveau de risque : consignes d’hygiène de vie, épreuves d’effort et bilan cardiaque, restriction de l’activité physique le cas échéant.

Conclusion :

La maladie de Kawasaki a une sémiologie riche et variée.

Le diagnostic est clinique devant un tableau aigu prenant le masque d’une maladie infectieuse du petit enfant.

Le pronostic est dominé par l’atteinte cardiaque, avec le risque d’anévrismes coronariens dans 20 % des cas en l’absence de traitement.

Sur le plan physiopathologique, il existe une activation du système immunitaire, mais l’ensemble des mécanismes n’est pas parfaitement élucidé.

L’hypothèse d’un superantigène reste controversée. Aucun marqueur immunologique prédictif de l’atteinte cardiaque n’a, pour l’instant, été mis en évidence.

L’étiologie de cette affection est toujours inconnue.

La responsabilité d’une infection est très probable, mais l’agent en cause n’est vraisemblablement pas unique : il pourrait s’agir d’un syndrome lié à différents agents infectieux.

Sur le plan thérapeutique, on sait que l’association classique gammaglobulines et aspirine administrée précocement prévient, dans la majorité des cas, l’apparition des anomalies coronariennes.

Dans les formes graves, à évolution prolongée et compliquée malgré la répétition de ce traitement, il semble que les échanges plasmatiques et la corticothérapie générale (à distance de la phase aiguë pour cette dernière) soient des thérapeutiques à envisager.

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