Maladie d’Alzheimer

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Introduction :

La MAfut décrite en 1906 et individualisée quelques années plus tard par Kraepelin comme une démence présénile.

Une revue très complète de l’évolution des idées, résultant des nombreuses études cliniques et neuropathologiques entreprises entre 1920 et 1960, a été faite par Delay et Brion.

En 1976, Katzman estimait que deux tiers des cas de démence sénile étaient des MA, et que la distinction entre les deux maladies n’était plus justifiée.

Maladie d'AlzheimerCette évolution conceptuelle a conduit, au travers d’études épidémiologiques et de travaux à visée étiopathogénique, à définir des critères diagnostiques universellement reconnus, à développer des hypothèses génétiques et biochimiques nouvelles, à entrevoir des perspectives thérapeutiques.

Il en est résulté une hétérogénéité génétique, clinique et paraclinique qui devient de plus en plus manifeste avec le développement des connaissances propres à chacun de ces domaines.

Épidémiologie, génétique et facteurs de risque :

A – Épidémiologie :

Dans le contexte du début du troisième millénaire, il est important de réaliser l’augmentation considérable du nombre des sujets âgés de plus de 65 ans (en France, de 14 % en 1990 à 20 % en 2015).

Aux États-Unis, on estime que cette population, actuellement de 35 millions, aura doublé d’ici environ 40 ans et, parallèlement, le nombre de sujets déments.

Pour l’ensemble des pays développés, c’est une « épidémie » de 15 à 37 millions de cas de démence attendue des années 2000 à 2050, soit environ 10 à 25 millions de cas deMA.

Les données épidémiologiques les plus reproductibles, issues de populations européennes et américaines, sont aujourd’hui l’augmentation exponentielle de prévalence et d’incidence avec l’âge, qui doublent par tranches de 5 ans entre 65 ans et 85 ans, la plus forte prévalence féminine, la plus grande fréquence des débuts précoces dans les formes familiales.

Dans ces cohortes, la MAreprésente environ deux tiers des cas de démences et seul le Japon fait exception avec une proportion de démences vasculaires proche de 50 %.

Certaines variantes épidémiologiques peuvent être attribuées à des facteurs ethniques.

La prévalence varie selon les pays entre 1 et 5,8 % d’une population âgée de 65 ans et plus, cette variation étant en partie liée à des différences de définition et d’identification des cas.

Elle augmente considérablement avec l’ âge, pour passer de moins de 0,1 % avant 50 ans à 1-2 % à 65 ans, et 10-30 % après 85 ans.

En France, on estime la fréquence de la MA à environ 300 000 cas dans la population âgée de plus de 65 ans.

L’incidence, estimée en France à 1,17 % par an, ce qui représente près de 100 000 nouveaux cas chez les plus de 65 ans, augmenterait très fortement avec l’âge, pour varier de 100 à 3 000 pour 100 000 habitants par an entre 65 et 95 ans.

On peut donc estimer que la probabilité pour un individu d’être atteint de MAvarie de 3 à 30%entre 70 et 85 ans.

Dans les registres où l’affection « démence sénile et présénile » est la cause principale du décès, le taux annuel de mortalité est de 4 pour 1 million aux États-Unis, et augmente régulièrement avec l’âge.

Ce taux aurait été multiplié par dix en 10 ans pour atteindre 4 pour 100 000 en 1987, tendance intéressant les deux sexes mais touchant particulièrement les tranches d’âge supérieures.

L’influence de l’âge précoce de survenue de la maladie sur son évolutivité est controversée, mais plusieurs études ont conclu à une diminution de l’espérance de vie dans les formes de MA à début précoce. Dans l’étude de Rochester, les femmes atteintes deMAont une durée de vie supérieure à celle des hommes.

La plupart des auteurs s’accordent pour distinguer deux formes de MA, sporadique et familiale.

Les études de jumeaux suggèrent que l’affection n’est pas expliquée par un seul gène à transmission dominante autosomique.

Il a été montré que le risque cumulatif, plus élevé chez les femmes, augmentait de façon exponentielle de 5 %à 70 ans à 40 %à 95 ans chez les apparentés au premier degré.

Chez les individus ayant des antécédents familiaux de démence, le risque, toujours nettement supérieur aux sujets contrôles, est estimé à 2-5 % à partir de 70 ans pour les parents au 1er degré, et atteindrait près de 50 %après 85 ans.

Ce risque a été associé par certains à l’existence de troubles du langage ou à un début précoce, mais ces résultats sont controversés.

B – Génétique :

Quatre gènes sont aujourd’hui impliqués dans le développement de la MA.

Trois semblent favoriser le développement précoce de la maladie chez des sujets de moins de 60 ans :

– le gène de l’APP (amyloid precursor protein) lié au chromosome 21 ;

– le gène de la préséniline 1 (PS1) lié au chromosome 14 ;

– le gène de la préséniline 2 (PS2) lié au chromosome 1.

Le gène de l’APP est classiquement associé aux formes précoces deMAavec sept mutations de pénétrance complète rapportées dans une vingtaine de familles.

Les gènes des présénilines sont associés à environ la moitié des formes précoces de MA avec actuellement 54 mutations décrites pour PS1 et seulement trois pour PS2.

Environ 70 %des mutations des gènes présénilines semblent génétiquement spécifiques à un individu ou une famille, ce qui rend irréaliste tout dépistage systématique des formes précoces de MA.

En France, on estime à environ 1000 le nombre des cas de MA précoce à transmission dominante autosomique.

Le quatrième gène, lié au chromosome 19, détermine les trois isoformes e2, e3, e4 de l’apolipoprotéine E (apoE), protéine impliquée dans le métabolisme lipidique, dont l’allèle e4 est associé aux formes tardives de MA.

L’allèle e4 est présent chez 45 à 60 % des MA contre 20 à 30 % dans la population générale, et la forme homozygote dans 12 à 15 % contre 2 à 3%, respectivement.

Le risque de MA est plus élevé pour les homozygotes E4E4 et varie pour certains en fonction de l’âge : plus élevé entre 60 et 69 ans (x4) qu’avant 60 ans ou après 80 ans (x2).

L’apoE4 n’étant ni nécessaire, ni suffisant pour développer la MA, il n’est pas recommandé de l’utiliser à des fins de dépistage diagnostique, bien que le génotypage augmente la sensibilité et la spécificité du diagnostic de MA chez les déments.

Contrairement aux précédents, le gène de l’apoE4 est considéré comme un facteur de risque majeur de la maladie chez les Caucasiens, indépendant du sexe, rendant compte d’une agrégation familiale importante.

L’allèle e4 pourrait influencer la sévérité des troubles mnésiques, du déficit cholinergique, de l’atrophie hippocampique, ainsi que la rapidité du déclin cognitif.

Il pourrait aussi jouer un rôle dans la modulation de l’âge de survenue des formes génétiquement déterminées.

L’allèle e2 semble jouer un rôle protecteur quels que soient les groupes ethniques, mais les populations afro-américaines et hispaniques auraient un risque accru de MA, indépendant du génotype de l’apoE.

Dans la trisomie 21, le sexe mâle et la présence d’un allèle apoE4 favoriseraient un début précoce de la maladie. Un autre gène de susceptibilité lié au chromosome 12 a été rapporté.

Cette hétérogénéité génétique indique que la MA peut découler d’anomalies génétiques différentes selon les cas, qu’elle peut paraître génétiquement simple ou complexe, qu’elle peut comporter des gènes déterminants et d’autres de susceptibilité ou de protection.

On ne peut donc exclure que la MAsoit liée à plusieurs gènes, ou que l’expression de ce ou ces gènes et leur pénétrance soient variables.

On ne peut pas davantage écarter le rôle de facteurs liés à l’environnement.

C – Facteurs de risque :

Comme nous l’avons vu précédemment, l’âge constitue le principal facteur de prédisposition de la MA.

Les facteurs génétiquement déterminés comme les antécédents familiaux de démence et de trisomie 21, l’homozygotie E4E4 de l’apoE sont devenus des facteurs de risque établis.

La prépondérance féminine de l’affection est signalée dans de nombreux travaux mais non dans tous, cette discordance reflétant probablement des biais de recrutement.

On retrouve la même discordance pour le rôle de l’âge de la mère à la naissance, les antécédents de traumatisme crânien, de pathologie thyroïdienne, dysimmunitaire, virale ou psychiatrique.

D’autres facteurs de risque, apparus ces dernières années, restent à évaluer mais contribuent à donner à la MA une apparente hétérogénéité : ainsi le niveau d’instruction et les conditions socioéconomiques, les facteurs de risque vasculaires comme l’hypertension artérielle et l’athérosclérose, des facteurs d’environnement ou de mode de vie comme les antécédents de traumatisme crânien, les effets protecteurs éventuels du tabac ou du vin, le rôle de certaines thérapeutiques prises au long cours comme les antiinflammatoires non stéroïdiens (AINS) ou les oestrogènes.

Tous ces facteurs, susceptibles d’être influencés par des caractères génétiques, n’ont probablement pas la même signification mais leur polymorphisme apparent obscurcit notablement une vision simple de la maladie.

Lésions cérébrales de la maladie d’Alzheimer :

Le diagnostic clinique de MA est confirmé lorsque l’examen neuropathologique permet de démontrer la présence de deux types de lésions cérébrales : les plaques séniles et les neurones en dégénérescence neurofibrillaire (DNF), en abondance dans la substance grise du néocortex.

Ces lésions ont été identifiées au début du siècle, grâce aux techniques histologiques d’imprégnation argentique.

La caractérisation immunochimique de ces lésions, à partir des années 1984, permet de distinguer deux processus dégénératifs distincts à l’origine de ces lésions : l’amyloïdogenèse et la DNF.

En parallèle à ces lésions, on peut observer d’autres modifications cérébrales, macroscopiques (atrophie, dilatation ventriculaire) et microscopiques (perte neuronale, réaction gliale et microgliale, altération des microvaisseaux).

A – Amyloïdogenèse :

Dans la substance grise du cortex cérébral des patients Alzheimer abondent des dépôts de substance amyloïde, sphériques, plus ou moins compacts.

Il s’agit des plaques amyloïdes, très bien colorées par des colorants tels que le rouge Congo ou la thioflavine. Les propriétés tinctoriales de la « substance amyloïde » résultent de l’assemblage compact de protéines dénaturées sous forme de feuillets bêta plissés.

À l’échelle de la microscopie électronique, la substance amyloïde est formée de filaments compacts, de 6 à 10 nm de diamètre, situés dans le domaine extracellulaire.

D’une manière générale, la nature des protéines formant la substance amyloïde varie en fonction du type de pathologie (la plaque prion de la maladie de Creutzfeldt-Jakob est formée de protéines PrP ; la transthyrétine peut s’accumuler dans le tissu nerveux périphérique sous forme de dépôts amyloïdes, etc).

Dans le cas de la MA, la substance amyloïde est constituée d’un polypeptide de 39 à 43 résidus d’acides aminés, appelé peptide Abêta (amyloïde bêta).

Ce peptide Abêta est un fragment protéolytique d’une protéine de grande taille nommée APP (amyloid protein precursor).

Des anticorps dirigés contre le peptide Abêta synthétique détectent avec une grande sensibilité les plaques amyloïdes, ainsi que des dépôts diffus nommés dépôts préamyloïdes puisqu’ils ne possèdent pas encore les propriétés physicochimiques de la substance amyloïde.

Ces dépôts préamyloïdes et amyloïdes envahissent la presque totalité du cortex cérébral et diffusent essentiellement dans la substance grise corticale, et plus particulièrement dans les couches néocorticales II et III.

Ils sont également présents dans la région hippocampique.

Dans le cervelet, seuls les dépôts préamyloïdes sont observés.

Le peptide Abêta s’accumule également, à des taux variables, dans la paroi des artérioles et des capillaires pour former l’angiopathie amyloïde.

L’utilisation combinée de techniques histologiques et immunochimiques permet de distinguer des plaques neuritiques, constituées d’une plaque amyloïde entourée par une couronne de neurites en DNF.

L’utilisation histologique d’autres marqueurs indique que les cellules microgliales, cellules similaires à des macrophages, sont souvent au contact des plaques séniles, ainsi que des astrocytes hypertrophiés.

À l’échelle moléculaire, on constate que d’autres protéines sont également présentes dans les plaques séniles.

Certaines sont les témoins d’une réaction inflammatoire : il s’agit d’antiprotéases tels l’alpha1-antichymotrypsine, des facteurs du complément (C1q, membrane attack complement ou MAC).

Une trentaine d’autres composés ont été décrits, en particulier la protéine amyloïde P, la protéine présynaptique NACP nommée également alpha-synucléine, des héparanes sulfates protéoglycanes, l’apoE, etc.

En fonction de tous ces éléments, on peut proposer un scénario sur la cinétique de formation et de catabolisme des plaques séniles : le peptide Abêta s’agrège progressivement dans le domaine extracellulaire sous forme de dépôts diffus, avec une prédominance du peptide Abêta 1-42.

Puis ces dépôts deviennent de plus en plus compacts, pour former des plaques amyloïdes denses, constituées du peptide Abêta majoritairement 1-40.

Enfin, autour de ces plaques « matures » sont observés des neurites en DNF, formant la plaque sénile telle que décrite par Alzheimer.

Ces plaques seront « digérées » progressivement par les cellules microgliales et les astrocytes, tandis que d’autres plaques se formeront en parallèle.

Un point important reste à élucider, qui fait l’objet de controverses intenses : la relation entre la formation des dépôts de Abêta d’une part, et la dégénérescence neuronale ou la mort neuronale d’autre part.

Ce point sera abordé après la description du deuxième type de lésion : la DNF.

B – Dégénérescence neurofibrillaire :

La DNF peut être visualisée par les techniques d’imprégnation argentique, mises au point au début du siècle et utilisées par Alzheimer dans sa description princeps.

La DNF correspond à une accumulation intraneuronale de fibrilles formées de filaments très caractéristiques, appelés les paires de filaments appariées en hélice ou PHF (paired helical filaments).

Ces filaments pathologiques sont d’excellents marqueurs ultrastructuraux du processus dégénératif de type Alzheimer.

Les PHF sont également observés dans les neurites en dégénérescence qui abondent dans le neuropile et à la périphérie des plaques séniles. Les protéines microtubulaires Tau sont les constituants majeurs des PHFs.

Dans le neurone normal, ces protéines stabilisent les microtubules qui sont des filaments du cytosquelette jouant un rôle prépondérant dans les mécanismes de transport intraneuronal.

Au cours de la MA, les protéines Tau s’agrègent sous forme de PHF.

Ces protéines sont anormalement phosphorylées sur quelques sites. Des anticorps dirigés contre ces sites de phosphorylation anormale permettent une visualisation et une quantification spécifiques de la DNF sur les plans histologiques et biochimiques.

Au total, les protéines Tau sont d’excellents marqueurs immunochimiques du processus de DNF.

L’observation histologique des régions cérébrales de patients Alzheimer montre que la DNF affecte principalement la région hippocampique-cortex entorhinal, en particulier le champ CA1 de l’hippocampe et les grandes cellules pyramidales des couches II, III et V de la substance grise corticale.

Les régions cérébrales les plus affectées sont la région hippocampique, le cortex temporal et les régions polymodales associatives (cortex préfrontal, cortex temporal supérieur, cortex pariétal), c’est-à-dire celles qui intègrent les informations venant de tous les territoires cérébraux .

Les régions les moins affectées sont sensitives ou motrices (cortex occipital visuel, cortex frontal moteur).

La DNF est un processus dégénératif qui s’installe progressivement dans les différentes aires cérébrales, selon une séquence et une hiérarchie qui ont été précisées par les neuropathologistes.

Tout d’abord, la DNF est un processus qui semble lié à l’âge et à la région hippocampique (cortex transentorhinal, entorhinal et CA1 de l’hippocampe).

Des neurones en DNF peuvent être visualisés parfois dès l’âge de 50 ans et le sont systématiquement dans la population normale à l’âge de 75 ans.

Il existe une phase infraclinique de la MA avec une extension de la DNF dans les régions temporales (pôle temporal, temporal inférieur, temporal moyen).

La phase clinique correspond à la présence de la DNF dans les régions corticales associatives (temporal supérieur, pôle frontal, cortex pariétal).

Aux derniers stades de la maladie, la DNF peut envahir la totalité des aires cérébrales et de nombreux noyaux sous-corticaux.

Les anticorps anti-Tau permettent également de révéler une signature biochimique de la DNF et d’en établir une cartographie biochimique cérébrale.

La technique des immunoempreintes met en évidence un triplet de protéines Tau pathologiques dans la MA (Tau 55, 64, 69).

L’approche biochimique permet de distinguer 10 stades qui correspondent à 10 régions cérébrales qui sont touchées successivement par la DNF au cours de la MA et de distinguer trois groupes : le vieillissement « normal » (stades S0 à S3) avec une atteinte systématique de la région entorhinale pour les témoins non déments âgés de plus de 75 ans (S1 à S3) ; une phase infraclinique allant jusqu’au stade S6, pour les patients qui possèdent de nombreuses plaques amyloïdes, et une phase clinique (stages 7 à 10).

B – Perte neuronale :

Elle est, pour diverses raisons méthodologiques, difficile à quantifier.

L’épaisseur du cortex est peu modifiée, ce qui suggère qu’il y a plutôt disparition de colonnes corticales et une diminution de la longueur du ruban cortical.

L’examen histologique ne donne qu’une vue très imparfaite de la perte neuronale, puisque l’on voit ce qui reste, plutôt que ce qui a disparu.

Il n’en demeure pas moins que la souffrance neuronale est souvent extrême, visualisée par la DNF qui affecte les réseaux neuronaux dans de nombreuses aires cérébrales, et par une diminution importante de la concentration en terminaisons synaptiques.

C – Gliose réactionnelle :

Une réaction gliale importante est observée parallèlement à la perte neuronale.

Elle est visualisée sur coupe histologique par la présence d’astrocytes hypertrophiques, et démontrée biochimiquement par l’augmentation considérable des taux de GFAP (glial fibrillary acidic protein), protéine de base des filaments gliaux.

Le rôle des astrocytes au cours de la gliose est principalement de phagocyter les neurones morts.

On observe également une importante concentration de cellules microgliales, qui ont un rôle de phagocytose des lésions cérébrales et participent à la réaction inflammatoire.

Systèmes de neurotransmetteurs :

A – Système cholinergique :

C’est le système qui est atteint le plus précocement.

L’activité de l’enzyme de synthèse de l’acétylcholine, la choline-acétyltransférase (ChAT), est anormalement basse dans le cerveau des patients Alzheimer, surtout dans les régions affectées par la maladie comme l’hippocampe et le cortex cérébral.

Les neurones cholinergiques sont situés essentiellement dans le septum, avec des projections vers l’hippocampe et le noyau basal de Meynert, avec des projections diffuses vers le cortex.

Les biopsies corticales pratiquées au stade précoce de la MA ont révélé essentiellement un déficit cholinergique. L’acétylcholinestérase (AchE) dégrade l’acétylcholine au niveau de la fente synaptique.

Les molécules qui inactivent cette enzyme augmentent les taux d’acétylcholine, avec un effet bénéfique sur la stimulation des fonctions cognitives, voire comportementales, des patients Alzheimer.

Ces molécules (tacrine, rivastigmine, donepezil) sont la base des traitements symptomatiques actuels contre la MA.

Cette action bénéfique est possible parce que les récepteurs muscariniques situés sur les neurones postsynaptiques sont relativement épargnés.

Les récepteurs muscariniques sont liés aux protéines G.

Ils jouent un rôle important dans la mémoire de travail.

Les récepteurs nicotiniques sont des canaux ioniques, situés essentiellement du côté présynaptique, avec une action sur le relargage d’acétylcholine.

Les agonistes muscariniques et nicotiniques pourraient avoir une activité pharmacologique intéressante, en cours d’exploration actuellement.

À noter qu’il semble exister un lien entre le métabolisme de l’APP et de l’acétylcholine, qui fonctionne dans l’un des deux sens suivants :

– la production d’Abêta bloque la fonction cholinergique : le peptide Abêta soluble semble bloquer le relargage de l’acétylcholine tandis que le peptide Abêta agrégé bloque le transport des lipides et le flux de choline ; Abêta peut jouer également une action neurotoxique sur les cellules cholinergiques ;

– inversement, la stimulation des récepteurs muscariniques M1 augmente la libération de sAPP et diminuerait la production de Abêta ; la partie soluble de l’APP (sAPP), libérée dans le domaine extracellulaire après coupure par l’alpha-sécrétase, stimule l’acétylcholine-transférase et exerce son action neurotrophique.

B – Autres systèmes de neurotransmetteurs :

La DNF va s’étendre rapidement à de nombreuses régions corticales et souscorticales, ce qui explique que de nombreux systèmes de neurotransmetteurs soient atteints.

À vrai dire, aucun système ne semble épargné, qu’il soit glutamatergique, monoaminergique ou GABAergique.

Les neurones corticaux pyramidaux de projection (projections corticocorticales ou sous-corticales) synthétisent des aminoacides excitateurs, comme le glutamate ou l’aspartate, qui leur servent de neurotransmetteurs.

Les grandes cellules pyramidales atteintes par la DNF sont glutamatergiques.

Parmi les systèmes de neurones corticaux intrinsèques, plusieurs catégories semblent atteintes, comme les neurones synthétisant des neuropeptides tels la somatostatine ou le CRF.

Les neurones GABAergiques les plus atteints sont ceux qui contiennent de la somatostatine.

Il existe un déficit des systèmes monoaminergiques dont les corps cellulaires d’origine sont situés dans le tronc cérébral (systèmes noradrénergiques ou sérotoninergiques).

Ces systèmes appartiennent, comme les voies cholinergiques, à la catégorie des systèmes à projections diffuses.

En effet, ces réseaux neuronaux innervent de vastes régions du cerveau, dont le cortex et l’hippocampe.

Leur atteinte semble moins constante que l’atteinte des systèmes cholinergiques, et peut être limitée aux formes à début précoce, toujours sévèrement affectées.

Les taux de noradrénaline sont abaissés dans le cortex et il existe une perte neuronale variable, parfois importante dans le locus coeruleus, où sont situés les corps cellulaires d’origine des voies noradrénergiques.

Cette perte neuronale a été corrélée avec l’existence clinique d’une dépression.

De même, une perte neuronale dans les noyaux du raphé entraîne une baisse de taux de sérotonine dans le cortex.

Au total, on observe un effondrement progressif des systèmes de neurotransmetteurs qui suit la progression du processus dégénératif.

Cette progression s’effectue en fonction de la vulnérabilité de certaines populations neuronales (cortex entorhinal, hippocampe, amygdale et noyau basal de Meynert), selon des voies corticocorticales puis cortico-sous-corticales.

Physiopathologie :

Deux sources importantes d’informations, génétiques et anatomocliniques, permettent de préciser la cascade d’événements qui vont provoquer la destruction de nombreux réseaux neuronaux et l’atteinte des fonctions intellectuelles.

A – Données génétiques :

Elles indiquent que l’étiologie de la MA résulte d’un dysfonctionnement du carrefour métabolique des protéines APP, PS1 et PS2.

Des mutations pathologiques sur trois gènes sont directement responsables de formes familiales autosomiques dominantes de la MA.

Ces mutations sont observées sur les gènes de l’APP, de la PS1 et de la PS2 situés respectivement sur les chromosomes 21, 14 et 1. Les mutations pathologiques sur APP et PS1 provoquent inexorablement l’apparition de la MA entre 30 et 55 ans.

Les formes familiales présentent un tableau neuropathologique similaire aux formes dites « sporadiques », ce qui suggère un dysfonctionnement physiologique similaire.

Dans les formes familiales, ainsi que dans les modèles cellulaires (cellules transfectées avec le gène de l’APP ou de PS1 mutée) et animaux (animaux transgéniques avec le gène muté), les mutations pathologiques de chacun des trois gènes provoquent une augmentation de la production de Abêta et du rapport Abêta 1-42 sur 1-40.

De plus, les souris transgéniques avec ces mutations développent fréquemment de nombreuses plaques amyloïdes. Nous pouvons en conclure que ces trois gènes agissent sur le même carrefour métabolique où la protéine APP joue un rôle central.

B – Signes cliniques :

Les signes cliniques sont liés à l’extension de la DNF dans les régions corticales associatives.

La plupart des études de corrélation entre plaques amyloïdes, DNF et signes cliniques indiquent que ce qui est véritablement corrélé aux manifestations cliniques correspond à la DNF dans les régions associatives.

Des dépôts amyloïdes sont observés fréquemment chez les non-déments. Ils peuvent correspondre à la phase infraclinique.

La DNF n’est corrélée que si un certain seuil de destruction neuronale est atteint, lorsque le système de compensation par les neurones encore fonctionnels ne peut plus suppléer.

Les plaques séniles (plaques neuritiques) sont également corrélées à la démence, mais on peut noter qu’elles correspondent à la coexistence de deux types de lésions : il s’agit de dépôts d’Abêta entourés de neurites en dégénérescence marqués par les anticorps anti-Tau-PHFs.

Ces plaques neuritiques indiquent bien que la MA est la coexistence ou la succession de deux processus pathologiques : l’amyloïdogenèse et la DNF.

C – Quelle est la cause précise de la mort neuronale ?

Il s’agit du coeur du problème, discuté âprement par les spécialistes qui ne sont pas tous du même avis. Deux hypothèses s’affrontent :

– pour certains, la DNF et la mort neuronale résultent de la neurotoxicité du peptide Abêta ; de plus en plus souvent, il est mentionné que ce n’est pas le peptide Abêta des plaques séniles qui serait toxique, mais l’Abêta intracellulaire, lors de sa production ;

– pour d’autres, la cause de la dégénérescence pourrait être une altération des fonctions physiologiques de l’APP, modulée par PS1 ou PS2 ; l’amyloïde Abêta ne serait qu’un reflet et une conséquence de ces dysfonctionnements.

La réponse viendra d’une meilleure connaissance du fonctionnement normal de ces protéines, nouvellement découvertes et encore relativement inconnues.

D – Peut-on avoir une vue d’ensemble de la cascade pathologique conduisant à la maladie d’Alzheimer ?

Hormis le problème du peptide Abêta, agent neurotoxique causal ou marqueur d’une perte ou d’un gain de fonction des protéines APP, PS1 et PS2, nous disposons actuellement de données suffisamment solides pour proposer un schéma d’ensemble des réactions successives qui vont provoquer la démence de type Alzheimer.

Ce schéma doit prendre en compte les dysfonctionnements moléculaires au niveau intracellulaire (le peptide Abêta intracellulaire est-il toxique ?), cellulaire (quelles sont les cellules qui produisent le peptide Abêta : les neurones, les astrocytes ou les cellules endothéliales ?), tissulaire et des ensembles neuronaux (quelles sont les premières régions touchées, y a-t-il un chemin de la dégénérescence neuronale ?).

Le schéma récapitulatif doit tenir compte de la spécificité (souvent limitée) de chaque processus physiopathologique (par exemple, la DNF est observée dans de nombreuses affections neurodégénératives et la substance amyloïde est observée parfois dans les démences avec corps de Lewy).

Ce schéma doit tenir compte de l’évolution de la maladie dans le temps et dans l’espace.

Le facteur temporel concerne l’installation de la maladie (phase asymptomatique) et les différents stades de la maladie.

Le facteur spatial concerne l’implication des différents types cellulaires, puis des différentes régions cérébrales dans l’expression clinique.

Pour établir ce schéma, il convient de faire un bilan du rôle précis joué par chaque facteur de la cascade physiopathologique.

Ce bilan étant fait, l’écriture de l’histoire naturelle (et moléculaire) de la MAdevient possible.

1- Facteurs génétiques :

Ils indiquent incontestablement l’origine de la pathologie et démontrent que les gènesAPP, PS1 et PS2 jouent un rôle central.

Cependant, 50 %des formes familiales restent inexpliquées. Les formes familiales pures (autosomiques dominantes) sont rares et ne représenteraient que 0,3 à 1 %de l’ensemble des cas.

La neuropathologie des cas familiaux et sporadiques étant identique, ces formes familiales nous indiquent précisément le point de départ de la pathologie : le carrefour métabolique de la protéine APP.

Ceci est conforté par les modèles expérimentaux, qui montrent que des souris transgéniques avec ces gènes développent de nombreuses plaques amyloïdes.

L’allèle e4 de l’apoE (apoE) est retrouvé plus fréquemment chez les patients Alzheimer, par rapport à une population témoin appariée en fonction de l’âge et suggère que l’apoE e4 est un facteur de risque de la MA, alors que l’allèle e2 serait un facteur neuroprotecteur.

Des concentrations familiales de MA peuvent être parfois observées, suite à une ségrégation des génotypes e3e4 et e4e4 parmi les membres de la famille.

Cependant, l’allèle e4 de l’apoE n’est qu’un facteur de risque, et non un dysfonctionnement génétique dominant comme les mutations sur les gènes APP, PS1 et PS2, car les porteurs du génotype e4e4 ne développent pas nécessairement la MA.

2- Lésions amyloïdes :

Le dysfonctionnement de la protéine APP, dont le rôle trophique semble bien établi, et la neurotoxicité du peptide Abêta vont altérer le fonctionnement neuronal.

Les dépôts d’amyloïde étant diffus et la protéine APP étant ubiquitaire, on peut penser qu’il s’agit d’une altération générale plutôt que ciblée à un groupe neuronal précis.

Cette diffusion générale des plaques amyloïdes, alors que les neurones affectés par la DNF sont dans des régions cérébrales bien précises, indique que la réalité de la MA est plus complexe que la simple relation : amyloïde toxique implique neurone en DNF.

3- Vulnérabilité neuronale :

Le dysfonctionnement général de l’APP devrait se porter en priorité sur les cellules les plus vulnérables du cerveau : celles de la région hippocampique.

C’est cette même région qui va présenter systématiquement uneDNF(parfois sans plaque amyloïde) à partir de l’âge de 75 ans.

4- Facteurs de la DNF :

La DNF n’est pas spécifique à la maladie d’Alzheimer.

Elle est observée dans d’autres pathologies : trisomie 21, syndrome de Guam, Parkinson postencéphalitique, maladie de Niemann-Pick type C.

D’autres affections neurodégénératives peuvent être affectées par la DNF, mais les signatures biochimiques sont différentes : doublet Tau 64, 69 de la dégénérescence corticobasale et de la paralysie supranucléaire progressive, doublet Tau 55 et 64 de la maladie de Pick.

Nous savons également que les maladies dégénératives frontotemporales liées au chromosome 17 résultent de mutations sur le gène Tau.

Toutes ces pathologies nous indiquent que la DNF n’est pas spécifique de la MA, mais qu’elle est toujours étroitement associée aux troubles cognitifs lorsqu’elle est présente dans les régions corticales associatives.

On peut constater qu’il faut sept régions cérébrales touchées successivement pour voir obligatoirement une expression clinique patente.

Ceci veut dire que la notion de seuil est importante et que les phénomènes de compensation jouent un grand rôle.

Enfin, la DNF touche séquentiellement les régions cérébrales, selon un chemin précis, invariable, prédictible.

L’explication la plus logique à cette observation est que le début de déstabilisation des populations neuronales dans la région hippocampique va se poursuivre et se propager ensuite vers la région voisine.

La région hippocampique affectée ne va plus produire les facteurs trophiques nécessaires à la survie des neurones connectés.

Ceci va entraîner une vulnérabilité, suivie d’une processus dégénératif, qui va s’étendre progressivement à d’autres populations neuronales, comme une réaction en chaîne.

Ce processus d’expansion peut avoir sa propre dynamique, relativement indépendante de la cause même de la maladie.

Ralentir cette dynamique peut être une cible thérapeutique intéressante, puisqu’elle est liée aux manifestations cliniques.

5- Phénomènes inflammatoires :

La présence d’une réaction gliale et microgliale et de protéines du complément C1q et MAC (membrane attack complement) souligne que ce processus peut être un cofacteur important du phénomène dégénératif.

Certains parlent de boucle autotoxique de l’inflammation.

La réaction microgliale peut être médiée par le peptide Abêta, via son domaine de liaison HHQK.

Les AINS semblent ralentir le cours de la MA.

La cyclooxygénase 2 (Cox-2), qui est inductible par les médiateurs de l’inflammation, est augmentée dans le cortex des patients Alzheimer.

Elle peut être une cible pharmacologique intéressante.

6- Autres cofacteurs :

La MA est une maladie qui se développe sur de nombreuses années.

Elle est complexe parce qu’elle est l’aboutissement de plusieurs phénomènes : une altération fonctionnelle, un processus dégénératif qui va s’étendre, une plasticité neuronale compensatrice avec des mécanismes de réparation et une altération des systèmes neurochimiques.

Chaque étape peut être modulée par de nombreux facteurs, neuroprotecteurs ou neurotoxiques.

Ainsi, l’apoE est un facteur de risque important qui semble jouer un rôle dans les phénomènes de réparation où l’apoE e2 est plus efficace.

De même, tous les facteurs qui interviennent sur la survie neuronale vont moduler la pathologie.

On peut ainsi comprendre le rôle des neurostéroïdes et en particulier des oestrogènes.

Plusieurs études indépendantes indiquent une réduction du risque de MAchez les femmes ménopausées recevant une oestrogénothérapie substitutive. Une grande étude prospective est en cours aux États-Unis.

Au cours de la MA, la production de ROS (reactive oxygen species) et un processus de glycation ont été démontrés.

Ceci sous-entend que le stress oxydatif est un des cofacteurs de la MAet que des traitements antioxydants pourraient ralentir le développement de la pathologie.

Enfin, d’autres facteurs liés à la stimulation de l’activité cognitive, à l’éducation et à la réserve neuronale sont, en toute bonne logique, des facteurs neuroprotecteurs.

7- Modèles animaux :

Les souris transgéniques actuelles avec les gènes APP et/ou PS1 mutés développent de nombreuses plaques amyloïdes, ce qui confirme que le dysfonctionnement du carrefour métabolique APP est central à l’étiologie de la MA.

Cependant, on peut noter que ces souris, ou celles avec un gène Tau humain, ne développent pas de véritable processus de DNF.

Par ailleurs, les animaux âgés ne développent pas de DNF comparable à ce qui caractérise l’espèce humaine.

Les souris transgéniques avec des combinaisons de gènes mutés de l’APP, PS1 et Tau sont en cours d’étude.

Elles permettront peut-être la modélisation globale des processus dégénératifs observés dans la MA, qui est absolument nécessaire pour développer efficacement les approches thérapeutiques.

Au total, les progrès dans le domaine de la génétique et des marqueurs moléculaires ont conduit à l’identification des étapes physiopathologiques de la MA.

Ceci a permis d’éliminer un certain nombre d’hypothèses étiologiques telles que l’aluminium, l’hypothèse virale, un rôle des prions ou une origine auto-immune.

La longue et complexe cascade de dysfonctionnements moléculaires, cellulaires, tissulaires sur les plus de 20 à 40 ans de la phase infraclinique est modulée par de nombreux cofacteurs.

La liste de ces cofacteurs est vraisemblablement très longue. Cependant, le poids de chaque facteur est différent et peut être variable selon les individus, expliquant l’hétérogénéité de la MA.

8- Bilan des différents facteurs :

Ces constats objectifs fondés sur les travaux de nombreuses équipes et d’horizons différents nous amènent à suggérer que la MA est d’abord un dysfonctionnement du carrefour métabolique APP.

Ceci va influer sur la région hippocampique et accélérer sa vulnérabilité naturelle au phénomène de DNF.

Ce phénomène va s’amplifier et gagner d’autres régions, sous la pression constante du dysfonctionnement de l’APP.

Lorsque le nombre de neurones affectés aura dépassé un seuil, lorsque les mécanismes de compensation dus à la plasticité neuronale seront débordés, apparaîtront les premiers signes cliniques.

Mais le processus de DNF va continuer son chemin et toucher au fur et à mesure toutes les régions cérébrales et même de nombreux noyaux sous-corticaux.

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