Lymphomes cutanés épidermotropes

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Introduction :

A – NOTION DE LYMPHOMES CUTANÉS ÉPIDERMOTROPES :

Les lymphomes cutanés épidermotropes constituent la majorité des lymphomes cutanés primitifs, lesquels sont des lymphomes à localisation cutanée initiale exclusive.

Il s’agit presque toujours de lymphomes cutanés à cellules T, les lymphomes B cutanés épidermotropes étant très rares.

Les lymphocytes proliférant dans ces lymphomes appartiennent à un sous-groupe particulier de lymphocytes T migrant anormalement dans la peau, migration s’expliquant probablement par l’affinité particulière de ces cellules lymphomateuses pour l’épiderme.

Lymphomes cutanés épidermotropesOn devrait plutôt, d’ailleurs, parler de lymphomes cutanés épithéliotropes car, si l’épiderme est infiltré de façon prédominante dans le mycosis fongoïde et de façon quasi exclusive dans les lymphomes pagétoïdes, les follicules pileux sont également infiltrés dans le mycosis fongoïde avec mucinose folliculaire et le sont de façon quasi exclusive dans les lymphomes folliculotropes ; de plus, dans les lymphomes syringotropes, ce sont les glandes sudorales qui sont infiltrées.

B – PLACE DES LYMPHOMES ÉPIDERMOTROPES DANS LA CLASSIFICATION EORTC :

Les dermatologues ont, dans un premier temps, calqué leurs classifications sur celles des hématologistes puis, après avoir mis en évidence l’existence de lymphomes cutanés primitifs autres que le mycosis fongoïde, ils ont récemment, par l’intermédiaire du groupe EORTC d’étude des lymphomes cutanés, créé leur propre classification.

Cette nouvelle classification, à visée essentiellement pronostique, basée sur des critères à la fois cliniques, anatomopathologiques et immunohistochimiques, répartit d’abord les lymphomes cutanés primitifs en lymphomes T et lymphomes B, puis, dans chaque groupe, distingue, en fonction du pronostic, les lymphomes indolents, les lymphomes agressifs et les lymphomes d’évolution indéterminée.

Le mycosis fongoïde et ses variantes pagétoïde et pilotrope appartient au groupe des lymphomes indolents, le syndrome de Sézary à celui des lymphomes agressifs ; la chalazodermie granulomateuse figure dans le groupe d’évolution indéterminée.

Système immunitaire cutané :

A – NOTION DE SYSTÈME IMMUNITAIRE CUTANÉ :

Les nombreux travaux concernant les interactions entre la peau et les organes du système immunitaire ont conduit, dès la fin des années 1970, à l’élaboration du concept de système immunitaire cutané ou skin associated lymphoid tissue (SALT).

Ce concept rend compte du rôle joué par les différents types cellulaires constituant la peau dans les voies afférentes et efférentes de la réaction immune, rôle qui est illustré de manière spectaculaire par le phénomène de réaction du greffon contre l’hôte, au cours duquel la peau est l’organe principalement atteint.

La survenue de proliférations lymphocytaires cutanées et les mécanismes par lesquels les lymphocytes ont, dans certaines d’entre elles, un tropisme remarquable pour l’épiderme, sont en partie les conséquences d’anomalies de la régulation du fonctionnement du SALT.

B – SYSTÈME MULTICELLULAIRE COORDONNÉ PAR UN RÉSEAU COMPLEXE DE CYTOKINES :

Quatre classes cellulaires jouent un rôle fondamental au sein du SALT : les cellules de Langerhans et les cellules dendritiques, les kératinocytes, les lymphocytes et, enfin, les cellules endothéliales des veinules postcapillaires.

Les cellules de Langerhans, et les cellules dendritiques, interviennent essentiellement dans l’apprêtement des antigènes et dans leur présentation aux lymphocytes.

Elles pourraient également intervenir dans la promotion de l’épidermotropisme des lymphocytes T.

Le rôle des kératinocytes est multiple. Doués d’une activité phagocytaire supérieure à celle des cellules de Langerhans, ils auraient également une activité présentatrice d’antigènes.

À l’état basal, l’activité métabolique du kératinocyte est réduite, en dehors d’une production constitutionnelle d’IL(interleukine)1, mais lorsqu’il est activé – par un stimulus antigénique ou non – il sécrète de nombreuses cytokines.

Celles-ci activent d’autres cellules dermiques, épidermiques et sanguines, lesquelles élaborent à leur tour des cytokines, créant ainsi, au niveau de la peau, une cascade de réactions cytokiniques.

Activés, les kératinocytes expriment plusieurs molécules d’adhésion dont les plus importantes, au plan fonctionnel, appartiennent à la superfamille des immunoglobulines.

Ces molécules d’adhésion jouent un rôle prépondérant dans le trafic lymphocytaire à la peau, comme nous le verrons plus loin.

Enfin, récemment, il a été montré que les kératinocytes exprimaient des molécules de la famille B7 qui sont des costimulatrices des lymphocytes T lorsque ceux-ci sont activés par la voie CD3/récepteur T.

Le rôle de ces molécules costimulatrices, dans l’interaction kératinocytes/lymphocytes, reste encore à démontrer.

Ce rapide inventaire des propriétés du kératinocyte, permet, d’ores et déjà, d’envisager cette cellule comme étant véritablement multipotente au plan fonctionnel, capable de phagocyter, de présenter des antigènes, d’attirer et d’activer des cellules sanguines circulantes.

Ainsi, le kératinocyte est au centre d’un système cytokinique complexe qui coordonne l’activité fonctionnelle des cellules cutanées, contribue à activer in situ les différents acteurs de la réaction immunitaire et règle la migration des cellules d’origine sanguine, principalement des lymphocytes, vers la peau.

La population lymphocytaire cutanée normale comprend uniquement des lymphocytes T, qui se répartissent en proportions à peu près égales entre les lymphocytes T suppresseurs/cytotoxiques CD8+ et les lymphocytes T auxiliaires/inducteurs CD4+, CD45RA–, CDw29+.

Ce phénotype particulier des lymphocytes CD4+ cutanés, associé à l’expression des récepteurs à l’interleukine 2 et aux molécules de classe II du complexe majeur d’histocompatibilité (CMH), suggère que ces cellules sont en permanence activées.

Les lymphocytes T suppresseurs/inducteurs CD4+, CD45RA+, CDw29–, ou cellules naïves, ne représentent que 5 % des lymphocytes cutanés, alors qu’ils constituent 50 % des cellules T-CD4+ circulantes sanguines.

Les lymphocytes se groupent majoritairement dans le derme papillaire, autour des veinules postcapillaires.

Les rares cellules T en situation épidermique appartiennent à la sous-classe suppressive/cytotoxique CD8+.

Les lymphocytes cutanés expriment le dimère á du récepteur à l’antigène du lymphocyte T (TCR), à l’exception d’un petit nombre de cellules épidermiques qui, comme les cellules dendritiques de l’épiderme de souris, expriment le récepteur ç. Ces cellules appartiendraient à la classe des cellules natural killer (NK).

C – MIGRATION DES LYMPHOCYTES VERS LA PEAU :

L’attraction des lymphocytes vers le derme et l’épiderme en situation pathologique (agression antigénique, proliférations lymphocytaires cutanées bénignes et malignes), est le résultat d’interactions complexes entre le réseau cytokinique et les molécules d’adhésion présentes à la surface des cellules.

Le trafic lymphocytaire s’effectue en deux étapes : l’adhésion des lymphocytes aux cellules endothéliales des veinules postcapillaires dermiques, puis leur migration, à travers les cellules endothéliales, vers l’épiderme.

Les cellules endothéliales expriment, à leur surface, des molécules d’adhésion, appelées addressines, qui appartiennent à quatre familles moléculaires : les intégrines, les molécules de la superfamille des immunoglobulines (ICAM-1, -2, -3, VCAM-1 et PECAM-1), des sélectines (ELAM-1 ou sélectine E, GMP-140 ou sélectine P), les glycoprotéines de type sialomucines. Ces molécules d’adhésion fixent un ligand situé à la surface des différentes cellules circulantes sanguines.

Parmi ces molécules d’adhésion, la sélectine E joue un rôle primordial dans l’adhésion des lymphocytes T au niveau, très spécifiquement, des veinules postcapillaires dermiques.

Deux ligands pour la sélectine E à la surface des lymphocytes T sont actuellement connus : l’antigène lymphocytaire cutané (cutaneous lymphocyte antigen [CLA]) et l’antigène mineur de groupe Lewis X. Si le rôle joué par ce dernier dans le tropisme cutané des lymphocytes est encore inconnu, il n’en va pas de même pour le CLA.

En effet, cette molécule, exprimée par les lymphocytes T, à leur surface, leur confère un tropisme sélectif pour la peau.

Cet antigène est exprimé dans la peau normale, dans la peau inflammatoire et par les lymphocytes de la plupart des lymphomes T primitivement cutanés, alors qu’elle est absente des lymphocytes observés dans les lymphomes d’autre localisation.

À ce stade, les lymphocytes sont soumis à un ensemble de cytokines chimiotactiques qui vont orienter leur déplacement dans le derme vers l’épiderme.

Certaines de ces cytokines sont produites par le kératinocyte activé : ELCF, IL1, IL8, IP 10 (interferon-gamma-induced protein-10 kDalton), alors que d’autres sont d’origine diverse (substance P, facteurs présents dans la matrice extracellulaire épidermique).

Les lymphocytes sont également soumis à des cytokines qui entretiennent leur état d’activation : IL2 (produite par les lymphocytes), tumor necrosis factor (TNF)-alpha, granulocyte macrophage colony stimulating factor (GM-CSF), IL6 et IL1 (produits par le kératinocyte activé) et à d’autres, également d’origine kératinocytaire, qui inhibent cet état d’activation : KLIF, ELDIF, acide urocanique et prostaglandine E2.

Arrivés dans l’épiderme, les lymphocytes adhèrent aux kératinocytes en liant leurs molécules LFA-1 aux molécules ICAM-1 (integrin cellular adhesion molecules) kératinocytaires. Depuis quelques années, plusieurs autres molécules d’adhésion ont été découvertes à la surface des kératinocytes et certaines d’entre elles devraient contribuer, aux côtés des molécules ICAM, à l’adhésion des lymphocytes dans l’épiderme.

Parmi les molécules qui initialisent le trafic des lymphocytes vers la peau, l’interféron-gamma joue un rôle primordial.

Produit par les lymphocytes activés, il induit l’expression de la molécule ICAM-1 à la surface des cellules endothéliales et des kératinocytes et active la production des cytokines kératinocytaires, dont l’IL1.

L’IFN-gamma induirait, également, la sécrétion, par les kératinocytes, de la molécule IP-10, puissant chémoattractant pour les lymphocytes T, mais dont le ligand, à la surface de ces derniers, reste encore inconnu.

Ainsi, le rôle de l’interféron-gamma semble particulièrement important pour expliquer la perte de l’épidermotropisme lymphocytaire observé au cours de l’évolution vers la phase leucémique des lymphomes cutanés épidermotropes.

Dans ces situations, il a été suggéré que l’émergence de clones lymphocytaires malins n’exprimant plus d’interféron-gamma entraînerait une diminution de l’expression des molécules ICAM-1 à la surface des kératinocytes et, par voie de conséquence, une perte d’adhésion des lymphocytes à l’épiderme.

Mycosis fongoïde :

A – DÉFINITION HISTORIQUE :

On ne retient actuellement, comme définition clinique du mycosis fongoïde, que la forme commune dite progressive, triphasique, dite d’Alibert et Bazin.

La forme tumorale d’emblée, décrite par Vidal et Brocq en 1885 est maintenant classée dans de nouvelles entités telles que les lymphomes à grandes cellules et les lymphomes pléomorphes à petites cellules.

La forme érythrodermique décrite par Besnier et Hallopeau, en 1892, n’a pas sa place dans la nouvelle classification EORTC.

B – ÉPIDÉMIOLOGIE :

Bien que le mycosis fongoïde soit le lymphome cutané le plus fréquent (44 % des lymphomes cutanés dans la série du groupe hollandais d’étude des lymphomes cutanés), il demeure une maladie rare (environ trois nouveaux cas par an et par million d’habitants).

Cependant, son incidence semble augmenter, au moins aux États-Unis, avec environ 0,2 nouveau cas/an /100 000 habitants en 1973 et 0,4 nouveau cas/an/100 000 habitants en 1984, alors que l’incidence globale des lymphomes augmentait elle aussi de 1973 à 1984 mais seulement de 26 %.

Cette augmentation est soit réelle, soit plus vraisemblablement la traduction d’une meilleure reconnaissance de cette affection par le monde médical.

Le mycosis fongoïde représentait, selon les résultats des études publiés de 1973 à 1984, 2,2 % de tous les lymphomes rapportés.

Une prédominance masculine est signalée dans la plupart des études.

La majorité des auteurs s’accordent sur le fait qu’il n’y a pas de différence de survie selon le sexe du patient.

Typiquement, le mycosis fongoïde est une maladie de l’adulte d’âge moyen, avec une moyenne d’âge de 50 ans.

Il existe des cas de mycosis fongoïde touchant l’enfant et l’adolescent.

Plusieurs auteurs ont rapporté le rôle de facteurs professionnels ou environnementaux comme agents toxiques favorisant le mycosis fongoïde (métaux, hydrocarbures, plastiques…).

En fait, deux études statistiques, l’une écossaise et l’autre californienne, portant sur un grand nombre de patients, n’ont pas confirmé la relation entre le mycosis fongoïde et les facteurs toxiques chimiques et/ou physiques, pas plus d’ailleurs qu’entre le mycosis fongoïde et les facteurs biologiques (atopie).

De nombreux travaux visant à rechercher une cause virale au mycosis fongoïde ont été conduits au cours des 10 dernières années, la plupart utilisant des techniques d’identification indirecte (biologie moléculaire).

Les virus « candidats » étaient d’une part les rétrovirus du type HTLV-1, en raison des profondes similitudes cliniques et histopathologiques entre certaines formes d’ATL (adult T cell lymphoma) et les lymphomes pléomorphes, d’autre part les virus lympho- et épithéliotropes, comme le virus d’Epstein-Barr.

Ces travaux ont conduit à des résultats tellement contradictoires, certains même entachés d’erreurs méthodologiques, qu’actuellement l’hypothèse virale est provisoirement abandonnée.

Un terrain génétique a pu être suggéré devant l’existence de cas familiaux de mycosis fongoïde, mais cela reste des situations exceptionnelles.

C – CLINIQUE :

1- Lésions cutanées :

Le prurit, inconstant, est souvent le symptôme le plus précoce.

Il peut apparaître isolément au début de la maladie ou plus tard. Il persiste en général pendant toute l’évolution.

Les lésions cutanées évoluent en trois phases.

* Stade dit des érythèmes « prémycosiques » :

Le premier stade est celui des lésions non infiltrées.

Il est caractérisé par des plaques ou des nappes érythématosquameuses, bien limitées et très prurigineuses.

Elles évoluent comme des dermatoses bénignes et peuvent simuler un tableau d’eczéma, d’eczématides plus souvent pityriasiformes que psoriasiformes ou revêtir l’aspect de parapsoriasis à grandes plaques simples ou poïkilodermiques.

Elles ont, dans ce dernier cas, des ressemblances étroites avec des lésions de radiodermite, d’où l’ancienne appellation de « poikiloderma atrophicans vasculare ».

Souvent, les placards, à contours géographiques (circulaires, contournés), sont nettement limités, ce qui est très évocateur.

Les débats nosologiques concernant le parapsoriasis en plaques sont loin d’être clos, certains auteurs préconisant le classement de toutes les formes dans les états prélymphomateux et d’autres assimilant purement et simplement certaines formes à des mycosis fongoïdes de stade I.

Beaucoup plus rarement, l’aspect est celui d’une plaque unique, de lésions hypopigmentées vésiculobulleuses, d’une kératodermie palmoplantaire ou d’une capillarite purpurique et pigmentaire.

Encore plus exceptionnellement, le mycosis fongoïde pourra se présenter comme une kératose lichénoïde striée ou une ichtyose acquise.

Des aspects lésionnels très différents peuvent être observés chez un même malade à différentes périodes, voire simultanément.

Cette première période s’étend en général sur des années et le diagnostic de mycosis fongoïde est souvent difficile à affirmer, même sur des biopsies itératives.

* Stade des plaques infiltrées :

Au deuxième stade, les plaques s’infiltrent souvent en bordure, formant des bourrelets cuivrés ou des arcs de cercle rouge foncé et fermes.

Ailleurs, les plaques s’épaississent en totalité.

En réalité, le degré d’infiltration, non seulement, varie d’une lésion à l’autre, mais peut aussi varier au sein d’une même lésion, d’où l’aspect serpigineux ou « gyrata » de certaines lésions.

Ces lésions infiltrées peuvent siéger en n’importe quel point du tégument.

Néanmoins, elles ont habituellement une distribution asymétrique, avec une prédilection pour les hanches, les fesses, les lombes, les creux axillaires et inguinaux, la poitrine.

Chez certains patients, il existe une atteinte prédominante des paumes et/ou des plantes, avec hyperkératose et fissuration de la peau.

L’atteinte du cuir chevelu peut conduire à une alopécie plus ou moins complète dans les zones lésionnelles.

À ce stade, l’évolution s’accélère.

Tout au long de cette évolution, l’état général est remarquablement respecté.

* Stade tumoral :

Le troisième stade est représenté par l’apparition de nodules tumoraux, en peau saine, sur des lésions non infiltrées ou sur des plaques infiltrées.

Les tumeurs sont généralement à base large, arrondies et hémisphériques, leur taille variant entre celle d’une noisette et celle d’une orange.

Plus rarement, il s’agit de vastes placards tumoraux.

Ces lésions peuvent s’ulcérer secondairement et survenir n’importe où, mais elles siègent essentiellement à la face et aux grands plis.

Il n’est pas rare de voir des patients ayant les trois types de lésions simultanément à des sites différents du tégument.

Le mycosis fongoïde a une progression clinique indolente, lente, habituellement de plusieurs années, voire de plusieurs décennies (cette cinétique est variable et imprévisible).

2- Lésions extracutanées :

Des adénopathies dans les territoires de drainage des lésions cutanées sont observées au stade tardif de la maladie ; elles sont fermes, mobiles, indolores.

Les localisations viscérales, rares et souvent asymptomatiques (foie, rate, poumons surtout), sont le plus souvent des constatations d’autopsie.

Les atteintes viscérales symptomatiques, qu’elles soient neurologiques ou autre, précèdent ou accompagnent souvent les transformations en lymphomes à grandes cellules.

L’envahissement médullaire, enfin, est remarquablement rare, ce qui reflète la différenciation extramédullaire des cellules malignes.

Des lésions cliniques de parapsoriasis en grandes plaques, de papulose lymphomatoïde, de mucinose folliculaire, de chalazodermie granulomateuse peuvent également être associées à un mycosis fongoïde ou le précéder.

D – HISTOPATHOLOGIE :

1- Cutanée :

Dans le mycosis fongoïde, l’infiltrat est caractérisé par sa topographie et par sa composition.

Il a une situation dermique superficielle et il forme une bande continue sous-épidermique à limite inférieure nette, avec exocytose dans le corps muqueux.

Cette exocytose peut réaliser différents aspects, selon que les cellules sont isolées les unes des autres ou, au contraire, réparties en « file indienne » le long de la basale, ou groupées en thèque : c’est alors l’aspect classique des « microabcès » de Pautrier, dans lesquels les cellules mononucléées, situées dans l’épiderme, sont entourées d’un halo clair.

Cet aspect est inconstant. L’infiltrat est aussi caractéristique par sa composition : il comprend surtout, outre des petits lymphocytes, des cellules interdigitées et des cellules de Langerhans, des cellules mononucléées au noyau hyperchromatique et de forme irrégulière, dites cellules « atypiques ».

Ces cellules atypiques, de taille petite (8 à 15 ím de diamètre) ou moyenne (15 à 20 ím de diamètre), ont un noyau dont l’aspect ultrastructural est similaire à celui du noyau de la cellule de Sézary circulante.

Le caractère atypique de ces cellules – irrégularité de forme et hyperchromatisme du noyau – et leur épidermotropisme sont les deux arguments fondamentaux du diagnostic histologique.

Au stade des érythèmes prémycosiques, l’épidermotropisme peut manquer et les cellules inflammatoires prédominer.

Au stade des tumeurs, l’infiltrat perd son caractère épidermotrope ; il progresse en direction du derme, devient plus monomorphe ; le nombre des cellules atypiques augmente et la présence de grandes cellules à noyau dystrophique signe la transformation du mycosis fongoïde en lymphome à grandes cellules (lymphome anaplasique ou lymphome pléomorphe à grandes cellules).

L’épiderme, dans le mycosis fongoïde, montre relativement peu de spongiose, ce qui constitue un signe précieux pour le diagnostic différentiel avec un eczéma aux stades initiaux de la maladie ; il peut, cependant, montrer un certain degré d’hyperplasie quand le tableau clinique mime un psoriasis ; il peut aussi être aminci dans les lésions poïkilodermiques.

2- Ganglionnaire :

L’augmentation de volume d’un ganglion ne signifie pas forcément qu’il soit envahi par le processus lymphomateux.

Deux aspects peuvent, en effet, être observés : soit un envahissement spécifique plus ou moins massif, soit un aspect de lymphadénopathie dermatopathique correspondant à l’ancienne « réticulose lipomélanique de Pautrier-Woringer ».

Dans cette dernière, l’architecture générale du ganglion est conservée, mais il existe une hyperplasie des cortex profond et superficiel due à l’hyperplasie des cellules réticulaires interdigitées et à la présence d’histiocytes contenant un matériel lipidique, de la mélanine ou de l’hémosidérine.

Dans environ 50 % des cas, se mêlent à ces cellules de petits et grands lymphocytes atypiques et de grandes cellules immunoblastiques.

Les immunomarquages montrent l’élévation du rapport lymphocytaire CD4/CD8 aussi bien dans la lymphadénopathie dermatopathique que dans les envahissements ganglionnaires patents.

De même, les études génotypiques retrouvent une monoclonalité dans tous les cas d’adénopathies envahies et dans la majorité de ceux de lymphadénopathie dermatopathique.

E – IMMUNOPHÉNOTYPE :

L’immunophénotypage peut être réalisé sur coupes à congélation mais également sur coupes à paraffine.

L’immunophénotype des cellules tumorales est celui de lymphocytes T matures (CD1–, CD3+, CD45RO+), exprimant, en règle générale, comme la majorité des lymphomes T cutanés, le phénotype T auxiliaire de type « mémoire » : CD2+, CD3+, CD4+, CD5+, CDw29+, CD45RO+, CD45RA–, TCRá. Ces cellules expriment aussi la molécule CLA, mais pas le CD30.

L’antigène d’activation CD25 (récepteur pour l’Il2) peut être exprimé.

Dans de rares cas, les cellules tumorales expriment le phénotype CD8+, CD4+, voire un phénotype « double négatif » (CD4–, CD8–).

La signification de l’expression du phénotype CD8+ dans le mycosis fongoïde est l’objet de débats, car elle est rapportée associée tantôt à une évolution indolente « classique », tantôt à un pronostic sombre.

Un phénotype marqué par la perte d’expression d’un ou plusieurs antigènes, normalement exprimés sur les lymphocytes T matures (CD2, CD3, CD5) est un argument de plus en faveur de la malignité ; la perte de l’expression de l’antigène CD7 peut constituer un apport décisif pour distinguer une prolifération lymphomateuse d’un infiltrat inflammatoire.

La perte de l’expression du CD5 survient en général à un stade tardif de la maladie, en particulier en cas de transformation.

F – GÉNOTYPE :

La recherche d’une population monoclonale par l’étude des réarrangements du gène du TCR (récepteur à l’antigène des lymphocytes T), peut être effectuée à partir de n’importe quel type de prélèvement : biopsie de peau, de ganglion ou de moelle, prélèvement sanguin.

Elle est réalisée par une amplification en chaîne in vitro (polymerase chain reaction [PCR]) de la chaîne gamma du TCR.

Les produits d’amplification sont ensuite révélés, soit par Southern blot, soit au moyen d’une électrophorèse en gradient chimique ou thermique.

Les différents protocoles utilisés actuellement, permettent de détecter une population clonale pour autant que celle-ci représente entre 0,001 % et 1 % des cellules de l’infiltrat.

Ces études génotypiques trouvent peu à peu leur place dans la panoplie des examens complémentaires des lymphomes cutanés. Malheureusement, aux stades précoces de la maladie, elles restent encore inconstamment contributives.

Elles auraient également un intérêt pronostique.

Les résultats des études génotypiques doivent être interprétés avec prudence et toujours à l’issue d’une confrontation raisonnée avec la clinique et l’histologie.

En effet, selon les protocoles utilisés, des populations clonales ont pu être détectées dans des infiltrats lymphocytaires manifestement bénins ou dans d’authentiques toxidermies médicamenteuses bénignes.

À l’inverse, et à l’exception des lésions tumorales où une population monoclonale est toujours détectée par PCR, la fréquence de positivité de la PCR varie de 59 à 90 % selon les protocoles techniques lorsque l’histologie est très évocatrice de mycosis fongoïde, mais n’atteint pas 100 %.

G – DIAGNOSTIC :

1- Diagnostic positif :

C’est, dans tous les cas, la confrontation des données cliniques et des résultats de l’examen anatomopathologique qui permet d’arriver au diagnostic de mycosis fongoïde.

Ce diagnostic est particulièrement difficile au stade de mycosis fongoïde débutant qui peut, dans nombre de cas, simuler une dermatose inflammatoire et dont l’histologie pose fréquemment des problèmes d’interprétation.

En cas de suspicion de mycosis fongoïde, il faut savoir répéter les biopsies en multipliant les sites de prélèvement.

Les paramètres histologiques les plus spécifiques qui, rassemblés, permettent, dans la grande majorité des cas, d’arriver au diagnostic de mycosis fongoïde, sans autre étude confirmative immunophénotypique ou génotypique, sont les suivants : microabcès de Pautrier (au moins quatre lymphocytes atypiques dans une vacuole) ou épidermotropisme en « file indienne » le long de la basale, lymphocytes entourés d’un halo clair, exocytose, épidermotropisme disproportionné, absence de spongiose, lymphocytes épidermiques plus grands que les lymphocytes dermiques, lymphocytes intraépidermiques hyperconvolutés.

2- Diagnostic différentiel :

L’interrogatoire et l’examen clinique permettent d’éliminer facilement une dermite de contact lymphomatoïde ou une papulose lymphomatoïde.

En revanche, le pseudomycosis fongoïde médicamenteux peut simuler en tout point un véritable mycosis fongoïde.

En effet, si cliniquement le faible nombre des lésions et/ou la présence de lésions d’emblée infiltrées, nodulotumorales, sont plutôt le fait d’un pseudolymphome, il peut également s’agir d’une présentation typique de mycosis fongoïde débutant.

De même, si histologiquement l’absence de véritables microabcès de Pautrier et un épidermotropisme absent ou modéré plaident pour un pseudolymphome, la disposition en bandes de l’infiltrat, la présence d’un épidermotropisme et/ou de cellules atypiques peuvent tout à fait orienter à tort vers un mycosis fongoïde.

De plus, la perte d’antigènes communs et des réarrangements dominants ont été démontrés dans plusieurs cas d’authentiques pseudolymphomes T cutanés.

Enfin, les études génotypiques ont pu démontrer, dans nombre de cas de pseudolymphomes médicamenteux, la présence de populations lymphocytaires monoclonales.

Aussi, l’inventaire précis des médicaments pris par les patients doit-il être systématique lors de toute suspicion de mycosis fongoïde.

H – BILAN :

Lors de sa première réunion, le groupe EORTC d’étude des lymphomes cutanés recommandait, pour les lymphomes T épidermotropes, de pratiquer les examens suivants :

– obligatoires :

– hémogramme, plaquettes, recherche dans le sang de cellules à noyaux cérébriformes en microscopie optique ;

– calcémie, phosphorémie, phosphatases alcalines ;

– acide urique, lacticodéshydrogénase (LDH), aspartate aminotransférase (ASAT), alamine aminotransférase (ALAT), bilirubine, créatinine, urée, électrophorèse des protéines ;

– radiographie thoracique ;

– biopsie cutanée ;

– facultatifs :

– sous-populations lymphocytaires sanguines ;

– anticorps anti-HTLV1 ;

– dosage pondéral des IgE ;

– au cas par cas :

– biopsie cutanée pour immunomarquage et étude génotypique ;

– échographie abdominale et/ou scanner s’il existe des adénopathies périphériques ;

– biopsie médullaire dans les formes cutanées étendues ou en présence de cellules de Sézary circulantes ;

– biopsie ganglionnaire, hépatique ou biopsie d’un autre organe en cas d’atteinte clinique ou radiologique.

Dans les lymphomes cutanés épidermotropes, la masse tumorale est mieux appréhendée par la détermination du score TNM (tumors, nodes, metastasis) que par le dosage du taux des LDH.

Ce dosage n’a donc pas la même valeur que dans les lymphomes ganglionnaires.

Actuellement, l’immunomarquage sanguin est certainement obligatoire.

La sérologie HTLV-1 devrait être maintenant systématique puisque c’est le seul moyen de dépister un éventuel lymphome leucémique HTLV-1+ dont on sait que la présentation peut être cutanée.

De même, les immunomarquages cutanés doivent être réalisés dans tous les cas, en utilisant l’ensemble des marqueurs panT et le CD30 afin d’isoler les lymphomes T cutanés avec un phénotype inhabituel et d’apprécier l’évolutivité du lymphome sur la disparition éventuelle des antigènes panT souvent synonyme de transformation.

En cas de lymphome cutané épidermotrope aux stades I et II, la scintigraphie, la lymphographie, la biopsie de moelle et le scanner n’apportent aucune information significative supplémentaire à celles résultant d’un examen clinique soigneux et de l’analyse histologique des biopsies ganglionnaires.

L’échographie abdominale pourrait même être limitée aux formes dans lesquelles les lésions cutanées s’étendent à plus de 10 % de la surface corporelle.

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