Invagination intestinale aiguë du nourrisson

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Physiopathologie :

1- Définition :

L’invagination intestinale aiguë (IIA) se définit comme la pénétration d’un segment intestinal d’amont dans la lumière du segment intestinal d’aval.

Elle débute le plus souvent au niveau de l’iléon terminal, qui s’engage dans la lumière du côlon ascendant, réalisant une invagination iléo-colique.

Les invaginations iléo-iléales ou colocoliques pures sont beaucoup plus rares.

Le boudin d’invagination (masse constituée par les deux anses intestinales invaginées) est pris en charge par le péristaltisme, qui tend à le faire progresser vers l’aval.

2- Conséquences :

Invagination intestinale aiguë du nourrissonLes conséquences de l’invagination intestinale aiguë sont doubles : elle entraîne une occlusion par obstruction de la lumière intestinale, et une strangulation du mésentère du segment invaginé, qui fait toute la gravité de la maladie.

La compression veineuse et lymphatique qui découle de cette strangulation est responsable d’un oedème qui aggrave l’occlusion, et d’une hypersécrétion muqueuse.

La compression artérielle mésentérique entraîne une ischémie puis une nécrose de la paroi de l’anse invaginée, avec diffusion de sang dans la lumière du tube digestif.

3- Étiologies :

Les causes de l’invagination varient en fonction de l’âge.

  • Invagination intestinale aiguë idiopathique : la très grande majorité des invaginations intestinales aiguës du nourrisson est idiopathique (90 %).

Elle serait liée à une hyperplasie des plaques de Peyer (ilôts lymphoïdes de l’iléon terminal), au cours d’une infection, ce qui tend à expliquer l’incidence saisonnière et la tendance épidémique des invaginations intestinales aiguës.

  • Invagination intestinale aiguë organique : beaucoup plus rarement, l’invagination intestinale aiguë est secondaire à une cause anatomique ou pathologique, et l’on parle alors d’invagination intestinale aiguë organique.

Il peut s’agir d’invagination sur diverticule de Meckel, sur duplication kystique du tube digestif, ou sur polype endoluminal, angiome ou fibrome.

À l’inverse du nourrisson, les invaginations du grand enfant sont souvent organiques (environ un tiers).

Outre les causes citées ci-dessus, il faut redouter un lymphome digestif.

L’invagination intestinale aiguë peut également survenir au cours d’une mucoviscidose, ou d’un purpura rhumatoïde.

  • À part, citons les invaginations postopératoires, qui peuvent survenir dans les deux premières semaines après une chirurgie abdominale ou rétropéritonéale.

Dans 90 % des cas, elles sont iléo-iléales.

Diagnostic :

A – Épidémiologie :

L’invagination survient chez l’enfant de 3 mois à 3 ans dans 90 % des cas, et à 60 % avant 1 an.

Elle touche 80 % de garçons.

Son incidence annuelle est évaluée à environ 5‰ admissions en chirurgie pédiatrique, incidence qui semble sous influence de facteurs épidémiques et saisonniers.

B – Diagnostic clinique :

1- Présentation clinique habituelle :

  • L’interrogatoire cherche à mettre en évidence la triade classique de l’invagination associant douleurs abdominales, vomissements et rectorragies.
  • Les douleurs abdominales sont des douleurs paroxystiques, à début souvent très brutal.

Elles s’accompagnent classiquement d’accès de pâleur inhabituelle.

Elles se manifestent par un refus du biberon, associé à des cris ou des pleurs.

Les crises douloureuses sont spontanément résolutives, et en dehors des crises, le nourrisson est strictement normal.

  • Les vomissements, alimentaires au début, sont fréquents. Initialement, ils sont le reflet végétatif de la souffrance mésentérique.

Ensuite, ils deviennent bilieux et traduisent l’occlusion du grêle.

  • Les rectorragies peuvent être franches et spontanées.

Parfois, il s’agira de simples traces muco-sanglantes dans les selles ou sur la couche.

  • La palpation abdominale recherche le boudin d’invagination, masse constituée par les deux anses intestinales invaginées.

Il peut siéger sur tout le cadre colique, avec une prédominance dans la région sous-hépatique et sur le côlon transverse.

Le boudin d’invagination est rarement palpé ; il doit être recherché de préférence en dehors des crises douloureuses, lorsque l’enfant est asymptomatique.

  • Le toucher rectal doit être systématique, à la recherche de sang sur le doigtier en cas de rectorragies non extériorisées.
  • La fièvre est présente dans 30 % des cas, en rapport avec l’infection virale souvent incriminée.
  • L’examen clinique recherche enfin des signes de gravité, contre-indiquant le lavement : altération sévère de l’état général, météorisme abdominal avec défense, collapsus ou état de choc, déséquilibres hydro-électrolytiques sévères, ou rectorragies massives.

Ces formes graves sont actuellement très rares (moins de 5 % des invaginations intestinales aiguës).

2- Formes cliniques :

– Invaginations intestinales aiguës du nouveau-né, très rares, qui sont presque toujours organiques.

– Piège diagnostique des formes pseudo-convulsives et pseudo-neurologiques : il faut savoir penser à l’invagination devant un enfant adressé pour absences ou convulsions (en particulier sans fièvre).

– Formes pouvant simuler une gastro-entérite.

– Invaginations intestinales aiguës bien tolérées du grand enfant, évoluant souvent depuis plusieurs jours.

– Invaginations intestinales aiguës iléo-iléales, réalisant un tableau clinique d’occlusion précoce du grêle.

– Invaginations intestinales aiguës colo-coliques, rarissimes, en rapport avec une insuffisance d’accolements coliques, pouvant se révéler par un prolapsus du boudin d’invagination par l’anus.

À noter qu’un boudin prolabé par l’anus peut se voir également dans les invaginations intestinales aiguës iléo-coliques classiques.

Le diagnostic d’invagination intestinale aiguë doit être suspecté, et donc éliminé, chez tout enfant de 3 mois à 3 ans présentant des douleurs abdominales et (ou) des vomissements.

C – Examens complémentaires :

1- Abdomen sans préparation (ASP) :

Il doit être systématique. Réalisé de face, en décubitus dorsal et en orthostatisme, il recherche (document O1 et 02) :

– une opacité ovalaire, image directe du boudin d’invagination, parfois cerclée par de l’air, et siégeant le plus souvent dans la région sus-hépatique ou sur le côlon transverse ;

– une fosse iliaque droite vide, avec disparition du granité cæcal ;

– la présence d’air « paradoxal » dans le côlon d’aval.

Des niveaux hydro-aériques peuvent être présents, témoins d’une occlusion du grêle parfois sévère : ils prédisent un risque plus élevé d’échec du lavement.

Il recherche également des complications, telles qu’un pneumopéritoine, des signes radiologiques d’épanchement intrapéritonéal, ou des anses intestinales préperforatives.

L’abdomen sans préparation peut être normal, ce qui n’élimine pas le diagnostic d’invagination.

2- Échographie :

  • Indications : c’est actuellement l’examen clé.

Pour une majorité d’équipes, elle doit être systématique.

Pour d’autres, elle n’est à réaliser qu’en cas de doute diagnostique, faisant hésiter à réaliser d’emblée un lavement.

Elle est en tous cas indispensable lorsque l’état clinique de l’enfant laisse suspecter une nécrose digestive ou une perforation.

Elle doit être réalisée par un échographiste habitué à cette pathologie. Insistons en particulier sur l’efficacité du couple abdomen sans préparation-échographie : l’écho permet d’atteindre une sensibilité excellente (98,5 %) et une spécificité parfaite (100 %) si elle est confrontée aux renseignements fournis par l’abdomen sans préparation et pratiquée par un opérateur entraîné.

  • Résultats : l’échographie cherche à mettre en évidence l’image directe du boudin d’invagination (document 03), réalisant un aspect en cocarde (ou en « oeil-de-boeuf »).

Il s’agit d’une image arrondie ou ovalaire, composée d’une zone centrale échogène entourée d’un halo hypo-échogène correspondant à un oedème du cylindre digestif invaginant.

L’échographie recherche par ailleurs des signes de souffrance de la paroi digestive.

3- Lavement :

Le lavement opaque était avant l’avènement de l’échographie l’examen clé de l’invagination intestinale aiguë où il détenait à la fois un rôle diagnostique et thérapeutique.

Actuellement, il ne devrait plus être utilisé qu’à but exclusivement thérapeutique.

  • Contre-indication : la contre-indication est formelle en cas de suspicion clinique, radiographique ou échographique de nécrose digestive, ce qui est rare.

En cas de perforation digestive, une fuite de baryte dans la cavité péritonéale serait catastrophique.

  • Technique : le lavement doit toujours être réalisé en présence du chirurgien, sur un enfant réchauffé, perfusé, porteur d’une sonde d’aspiration digestive, et sous prémédication (benzodiazépine per os ou intrarectale).

Quand il est réalisé avec un produit radio-opaque, il est toujours réalisé avec de la baryte, car un produit iodé hydrosoluble est moins efficace, et est souvent hyperosmolaire, ce qui accentue les troubles hydro-électrolytiques du nourrisson par un appel d’eau massif dans la lumière digestive.

Certaines équipes, de plus en plus nombreuses, réalisent un lavement avec de l’eau ou une solution isotonique au plasma (solution de Hartmann), voire avec de l’air ou de l’oxygène pur insufflé : le lavement est alors exclusivement thérapeutique et l’efficacité de la réduction est suivie sous contrôle échographique.

Le lavement baryté (LB) est effectué à l’aide d’une simple canule intrarectale, non occlusive.

L’opacification est alors réalisée sous pression hydrostatique, c’est-à-dire sous une pression directement proportionnelle à la hauteur du bocal contenant la baryte.

  • Résultats : la progression du lavement est suivie sous scopie.

On observe l’opacification progressive du cadre colique, jusqu’à l’image typique d’arrêt du produit de contraste en cocarde ou en « pince de homard » (document 04), là où le produit de contraste bute sur la tête du boudin d’invagination.

Le maintien de la pression hydrostatique permet alors de repousser le boudin d’invagination vers l’amont, jusque dans le cæcum puis dans le grêle, jusqu’à la désinvagination complète.

Ce passage de la valvule iléocæcale est le moment le plus délicat de la réduction.

En cas d’échec, il est possible de répéter le lavement, après évacuation complète du contenu colique.

Traitement d’urgence :

1- Le lavement :

  • Lavement baryté : les critères radiologiques affirmant la réduction de l’invagination par le lavement sont stricts :

– retour du cæcum en place dans la fosse iliaque droite ;

– parois cæcales régulières après réduction, absence de lacune, ou d’encoche pariétale ;

– opacification massive de l’iléon distal ;

– absence formelle de réinvagination sur les clichés post vacuation.

  • Autres lavements : réalisés le plus souvent à l’eau, mais aussi on l’a vu au gaz, leur progression est suivie sous contrôle échographique. Ils reposent sur les mêmes principes que le lavement baryté, c’est-à-dire le refoulement de la tête du boudin d’invagination sous une pression hydrostatique constante et contrôlée.

Ils présentent sur le lavement baryté l’avantage d’être non irradiants.

Avec un lavement bien conduit, la réduction est obtenue dans près de 90 % des cas.

L’échec du lavement impose l’intervention chirurgicale en urgence ; c’est en général le signe d’une invagination intestinale aiguë d’étiologie organique.

2- Intervention chirurgicale :

Il existe deux indications formelles : l’échec du lavement, ou l’existence d’une contre-indication.

D’autres indications sont plus relatives, telles que les formes iléo-iléales, supposées inaccessibles au lavement.

Certaines équipes, enfin, proposent une laparotomie exploratrice systématiquement (après réduction par le lavement) en cas de récidives multiples, ou d’invagination intestinale aiguë du nouveau-né, du fait de la haute probabilité d’une cause organique.

  • Technique : intervention sous anesthésie générale, en urgence, par une voie d’abord élective.

On utilise une incision horizontale du flanc, déterminée par la position du boudin d’invagination au lavement.

On procède à une désinvagination manuelle très douce, au traitement de la cause si elle existe, et au traitement d’une éventuelle complication (par exemple résection digestive a minima d’un segment nécrosé).

On termine le geste par une appendicectomie systématique.

3- Après la réduction :

  • Quelle que soit la méthode de réduction employée, une courte hospitalisation est nécessaire.

Une surveillance clinique pendant 24 à 48 heures, en milieu chirurgical, permet de s’assurer ainsi de la réalimentation du nourrisson, et de la reprise du transit.

  • La récidive est toujours possible : elle est cependant plus fréquente après réduction par le lavement (10 à 15 %) qu’après chirurgie (5 %).

Lors de la sortie, il est donc indispensable de prévenir les parents de ce risque de récidive.

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