Ictère néonatal

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Physiopathologie :

A – Métabolisme de la bilirubine :

Le nouveau-né a physiologiquement dans les premiers jours de vie une hyperbilirubinémie transitoire.

Elle est liée à plusieurs facteurs :

– une production accrue de bilirubine, 2 à 3 fois supérieure à celle de l’adulte ;

– une immaturité hépatique : diminution de la captation intra-hépatocytaire de la bilirubine (déficit en ligandine) ; déficit des systèmes de conjugaison notamment de l’uridine diphosphate (UDP)-glycuronyltransférase ;

– augmentation du cycle entéro-hépatique de la bilirubine : l’absence de flore bactérienne ne permet pas la transformation de la bilirubine conjuguée en urobilinogène ; celle-ci est réabsorbée et déconjuguée.

Le jeûne et l’absence de transit intestinal favorisent le cycle entérohépatique.

Ces 3 phénomènes sont encore accentués chez les enfants prématurés.

B – Ictères pathologiques :

Ictère néonatalUne hyperbilirubinémie pathologique à bilirubine libre peut être liée à plusieurs facteurs :

– une production excessive de bilirubine (hémolyse, résorption d’hématomes) ;

– une majoration du cycle entéro-hépatique (prématurité, jeûne…) ;

– une anomalie de transport ou de glycuroconjugaison hépatique (prématurité, hypothyroïdie, déficit congénital en bilirubine glycuronyl-transférase).

Les ictères à bilirubine conjuguée ou mixte sont liés à une cholestase. Le trouble de l’excrétion des acides biliaires peut avoir une origine intra-hépatique, extrahépatique ou mixte.

C – Toxicité de la bilirubine :

La toxicité de la bilirubine libre tient à la fraction non liée aux protéines plasmatiques (essentiellement l’albumine).

Cette bilirubine non liée a une grande affinité pour les phospholipides membranaires et traverse la barrière hémato-encéphalique.

La concentration de bilirubine non liée dépend de la concentration totale de bilirubine libre et d’albumine.

Le risque majeur d’une concentration élevée de bilirubine non liée est l’encéphalopathie hyperbilirubinémique ou ictère nucléaire caractérisé par des lésions irréversibles des noyaux gris centraux et des noyaux de certaines paires crâniennes.

Les séquelles s’expriment sous forme de choréo-athétose et de surdité.

La concentration de la bilirubine non liée peut être augmentée par différents facteurs augmentant la perméabilité hémato-encéphalique à la bilirubine ou déplaçant la bilirubine de l’albumine.

On peut retenir schématiquement les taux suivants comme potentiellement neurotoxiques (indication à une exsanguino-transfusion) :

– taux de bilirubine libre en mmol/L supérieur à 15 % du poids du bébé (en g) et quel que soit le poids si elle est supérieure à 350 mmol/L ;

– taux de bilirubine en mmol/L supérieur à 10 % en cas d’ictère précoce par hémolyse ;

– concentration de bilirubine non liée supérieure à 1,5 mg/dL (ce dosage est pratiqué dans certains centres d’hémobiologie périnatale).

Étiologie :

Les ictères néonatals sont classés en 2 types très distincts répondant à des mécanismes et des causes bien différentes : ictères à bilirubine libre, de loin les plus fréquents ; ictères à bilirubine conjuguée ou mixte.

A – Ictères à bilirubine libre :

1- Ictère physiologique :

L’ictère apparaît vers le 2e jour de vie, il est habituellement peu intense (< 280 mmol/L) ; il disparaît avant le 10e jour de vie.

Sa disparition est annoncée par la coloration des urines qui sont initialement claires.

2- Ictère du prématuré :

Chez le prématuré, l’ictère est plus fréquent, plus intense et plus dangereux.

Cela est expliqué par plusieurs phénomènes :

– une plus grande immaturité hépatique ;

– un faible taux d’albumine ;

– une plus grande perméabilité de la barrière hématocérébrale. Le taux de bilirubine libre potentiellement toxique est d’autant plus bas que l’enfant est plus prématuré.

3- Ictère au lait maternel :

Il concerne 1 à 3% des enfants nourris au sein, habituellement des nouveau-nés à terme bénéficiant dès les premiers jours d’une lactation abondante.

L’ictère apparaît vers le 5 ou 6e jour de vie et persiste pendant tout l’allaitement.

Il est classiquement bénin, ne contreindiquant pas l’allaitement ; la concentration de bilirubine ne dépasse jamais 350 mmol/L.

Son diagnostic peut être confirmé par la diminution de l’ictère après l’interruption de l’allaitement pendant 3 jours ou le chauffage du lait maternel à 60 °C.

Le lait maternel responsable d’ictère a une activité lipoprotéine lipase excessive (enzyme thermosensible) ; la libération d’acides gras en excès inhibe la glycuroconjugaison.

D’autres mécanismes moins bien identifiés sont probablement en cause.

4- Ictères par hémolyse :

L’ictère est précoce, avant la 24e heure de vie, rapidement intense ; un cordon jaune signe une hémolyse à début anténatal.

Les signes d’hémolyse sont une anémie régénérative plus ou moins profonde avec une réticulocytose et une érythroblastose importantes.

Il existe souvent une hépatosplénomégalie (le foie et la rate sont le siège d’une érythropoïèse).

  • Incompatibilités materno-foetales : ce sont les premières causes d’ictère hémolytique.

Le test de Coombs est positif. Ces incompatibilités sont, par ordre de fréquence :

– dans le système Rhésus : immunisation anti-D, plus rarement anti-C et anti-E ;

– dans le système ABO: immunisation le plus souvent A/O (enfant de groupe A et mère de groupe O ayant des anticorps anti-A).

L’ictère peut être très intense malgré une hémolyse souvent modérée ;

– dans les autres systèmes : Kell, Duffy, Kidd.

  • Hémolyses constitutionnelles : la plus fréquente en France est la maladie de Minkowski et Chauffard ; le diagnostic repose à la naissance sur l’étude familiale (maladie autosomique dominante) ; les tests de résistance globulaire ne sont pas interprétables à cet âge.

Le déficit en G6PD ou pyruvate-kinase est fréquent dans le pourtour méditerranéen et en Extrême-Orient ; ce déficit de transmission liée à l’X n’est habituellement symptomatique que chez les garçons ; l’hémolyse est aggravée par de nombreux médicaments dont la liste doit figurer dans le carnet de santé.

  • Infections : l’ictère peut associer un double mécanisme d’hémolyse et d’hépatite.

L’infection doit être évoquée chaque fois qu’un ictère n’est pas d’origine immunologique.

5- Anomalies de conjugaison de la bilirubine :

L’hypothyroïdie s’accompagne fréquemment d’un ictère prolongé, probablement par insuffisance fonctionnelle de l’activité en glycuronyl-transférase.

L’ictère disparaît sous traitement hormonal.

La maladie de Gilbert est responsable d’épisodes récidivants de subictère, volontiers déclenchés par le stress ou le jeûne.

Elle est très fréquente (3 à 7% de la population) mais les révélations néonatales sont assez inhabituelles à l’exception des associations avec une sténose du pylore.

La maladie de Crigler et Najjar est une maladie génétique très rare (1 pour 100 000 naissances) correspondant à un déficit profond de la glycuroconjugaison.

Plusieurs mutations des gènes codant les glycuronyltransférases ont été décrites.

B – Ictères à bilirubine conjuguée ou mixte :

Les ictères à bilirubine conjuguée ou mixte signent une cholestase néonatale.

L’origine de cette cholestase est environ pour moitié intra-hépatique et pour moitié extrahépatique ou mixte.

1- Cholestases intra-hépatiques :

Les causes sont multiples et une bonne place revient aux hépatites infectieuses, surtout bactériennes.

Concernant les virus, on recherche en premier lieu le cytomégalovirus (CMV).

Les hépatites à virus A et B n’existent pas chez le nouveau-né en raison de leur délai d’incubation supérieur à 1 mois. Les autres causes sont plus rares ; diverses maladies génétiques peuvent être à l’origine d’une cholestase néonatale.

2- Cholestases extra-hépatiques et mixtes :

La cause principale est l’atrésie des voies biliaires extra-hépatiques qui doit être évoquée dès qu’un enfant a des selles décolorées de façon prolongée.

Les obstacles sur les voies biliaires sont beaucoup plus rares.

Diagnostic :

A – Diagnostic de l’ictère :

L’ictère est visible cliniquement à partir d’une concentration de bilirubine supérieure à 70 mmol/L.

Il faut être vigilant chez les bébés de peau noire car l’ictère est plus difficile à repérer cliniquement.

L’hyperbilirubinémie doit être contrôlée par un dosage sanguin de la bilirubine totale et conjuguée.

En maternité, l’utilisation d’un bilirubinomètre transcutané permet une évaluation non invasive (mesure optique) de l’ictère.

Cet appareil ne remplace pas le dosage sanguin mais permet de réduire le nombre de prélèvements pour la surveillance des ictères peu intenses.

B – Orientation devant un ictère à bilirubine libre :

La majorité des ictères néonatals sont des ictères à bilirubine libre.

Des examens complémentaires ne sont nécessaires que si l’ictère présente des caractéristiques anormales.

La démarche diagnostique doit alors rechercher en premier lieu une hémolyse.

C – Orientation devant un ictère à bilirubine conjuguée ou mixte :

À la différence des ictères à bilirubine libre, les ictères à bilirubine conjuguée ou mixte, qui témoignent d’une cholestase, sont toujours pathologiques et nécessitent des investigations souvent spécialisées.

Cliniquement, l’ictère est souvent présent dès la fin de la première semaine de vie.

Les urines sont foncées et les selles plus ou moins décolorées.

L’aspect du foie dépend de la cause de la cholestase. Ces éléments cliniques imposent de pratiquer :

– un bilan biologique qui confirme la cholestase (hyperbilirubinémie à prédominance conjuguée, augmentation des phosphatases alcalines et souvent des gamma GT), recherche une éventuelle cytolyse associée pouvant témoigner d’une hépatite (augmentation des aspartate amino-transférase et alanine amino-transférase [ASAT-ALAT]) et une diminution des facteurs de coagulation ;

– une échographie abdominale à la recherche d’une dilatation des voies biliaires orientant vers un obstacle extra-hépatique ; l’absence de vésicule biliaire visible peut orienter vers une atrésie des voies biliaires mais cet élément est inconstant.

Des selles franchement décolorées de façon permanente orientent vers une origine extra-hépatique ou mixte de la cholestase.

Dans ce cas, surtout si l’échographie ne montre pas de dilatation des voies biliaires, le premier diagnostic à évoquer est une atrésie des voies biliaires extra-hépatiques.

C’est une urgence diagnostique car le pronostic est conditionné par la précocité de la dérivation bilio-digestive. Lorsque les selles ne sont pas franchement décolorées et que l’échographie hépatique est normale, il s’agit plutôt d’une cholestase d’origine intra-hépatique.

En dehors des hépatites infectieuses, le diagnostic des cholestases néonatales est souvent complexe et nécessite des explorations en milieu très spécialisé.

Une biopsie hépatique est souvent nécessaire pour aboutir au diagnostic final.

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