Hépatopathie alcoolique non cirrhotique

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La cirrhose alcoolique est précédée par des lésions hépatiques que l’on décrit sous le nom d’hépatopathie alcoolique non cirrhotique.

Il s’agit de la stéatose, de l’hépatite alcoolique aiguë, de la fibrose avec ou sans stéatose.

Certaines de ces lésions sont réversibles, contrairement à la cirrhose, d’où l’intérêt de dépister l’atteinte alcoolique du foie avant l’apparition de la cirrhose.

Stéatose :

Hépatopathie alcoolique non cirrhotiqueLa stéatose est définie par l’accumulation de graisse histologiquement visible dans les hépatocytes.

C’est la manifestation la plus précoce et la plus commune de la maladie alcoolique du foie ; une stéatose apparaît en quelques jours.

A – Anatomie pathologique :

Deux aspects sont à distinguer en fonction de la taille des gouttelettes lipidiques.

La stéatose macrovésiculaire est de très loin la plus fréquente au cours de l’alcoolisme.

Les hépatocytes sont peu augmentés de volume.

Ils sont le siège de grosses vésicules (1 à 10 mm de diamètre) de triglycérides dans le cytoplasme.

Le noyau est souvent refoulé à la périphérie de l’hépatocyte.

Les lésions prédominent au centre des lobules, et se répartissent de façon homogène ou non dans l’ensemble du foie, d’où l’existence de stéatose irrégulière ou focale.

Des kystes graisseux peuvent être observés, des lipogranulomes comprenant un agrégat de lymphocytes, de macrophages, d’éosinophiles et parfois de cellules géantes multinucléées entourant des amas de lipides extracellulaires peuvent s’observer, le plus souvent dans la région centrolobulaire.

Ces lipogranulomes régressent plus lentement que la stéatose.

Il existe de rares formes de stéatose microvésiculaire (20 %).

Dans ce cas, le cytoplasme est spumeux du fait de vésicules cliniquement vides mesurant moins de 1 mm.

Le noyau des hépatocytes reste central. Leur diagnostic peut nécessiter l’emploi d’un fixateur ne dissolvant pas les graisses comme le formol.

L’étude ultrastructurale peut montrer dans les stéatoses microvésiculaires des lésions cellulaires importantes au niveau des organites intracytoplasmiques et de la membrane cellulaire.

Il existe également des stéatoses mixtes. La stéatose peut être associée à une fibrose ou à une hépatite alcoolique aiguë.

B – Diagnostic :

1- Manifestations cliniques :

La stéatose pure macrovésiculaire est le plus souvent asymptomatique.

Si elle est importante, elle peut être responsable de douleurs de l’hypocondre droit.

L’examen clinique retrouve une hépatomégalie isolée : gros foie régulier de taille variable, de consistance molle ou ferme, au bord inférieur mousse et indolore.

Il n’y a pas de signe clinique d’insuffisance hépatocellulaire ni d’hypertension portale.

La stéatose microvésiculaire peut être par contre responsable d’une insuffisance hépatocellulaire, en particulier d’un ictère et d’une encéphalopathie d’évolution parfois mortelle.

2- Examens biologiques :

Les aspartates aminotransférases (ASAT) sont augmentées dans plus de 85 % des cas, mais cette augmentation est inférieure à 5 fois la normale.

Les gamma GT sont augmentées, et sont supérieures à 5 fois la normale.

La bilirubinémie totale, le taux de prothrombine, et l’albumine sont normaux. Dans la stéatose microvésiculaire, les transaminases sont élevées de façon plus importante (10 fois la normale, voire plus), la bilirubinémie totale peut augmenter, et le taux de prothrombine peut diminuer, témoignant d’une insuffisance hépatocellulaire plus ou moins intense.

3- Examen morphologique :

L’échographie hépatique constate un foie augmenté de volume, hyperéchogène (foie brillant).

La sensibilité de l’échographie pour le diagnostic de stéatose a été évaluée à 94 % et sa spécificité à 84 %.

Si une tomodensitométrie était effectuée pour une autre raison que le diagnostic de stéatose, elle mettrait en évidence une hypodensité diffuse.

Cependant, la stéatose peut avoir une répartition irrégulière et peut réaliser un aspect pseudotumoral.

4- Diagnostic différentiel :

En cas de stéatose pure, il faut discuter les principales causes de stéatose macro- et microvésiculaire selon les cas.

C – Évolution :

En cas de stéatose pure, l’arrêt de l’intoxication alcoolique permet la normalisation des anomalies cliniques, biologiques, et histologiques.

La stéatose est réversible après abstinence de l’alcool en 1 à 6 semaines.

Hépatite alcoolique aiguë :

A – Anatomie pathologique :

Le diagnostic d’hépatite alcoolique aiguë repose sur la présence de lésions de souffrance hépatocytaire (ballonisation et nécrose hépatocytaire), associées à un infiltrat à polynucléaires neutrophiles au voisinage des hépatocytes altérés.

Les corps de Mallory sont des amas rubanés, intracytoplasmiques, très éosinophiles, formés de constituants du cytosquelette de l’hépatocyte.

Ils sont présents en moyenne dans 65 % des cas, mais ne sont pas spécifiques.

Les lésions d’hépatite alcoolique aiguë sont rarement présentes isolément, et s’associent à d’autres lésions provoquées par l’alcool (stéatose et fibrose).

Le siège préférentiel des lésions d’hépatite alcoolique aiguë est la région péricentrolobulaire (zone 3 de l’acinus).

Certaines cellules hépatiques peuvent contenir des mitochondries géantes qui sont des stigmates d’alcoolisme, et ne sont pas spécifiques de l’hépatite alcoolique aiguë.

Dans certains cas rares, il existe des thrombus biliaires intracanaliculaires abondants, associés à quelques lésions de nécrose, mais peu ou pas de réactions inflammatoires.

Cette forme d’hépatite alcoolique aiguë cholestatique régresse en quelques mois.

Une forme particulière mérite d’être isolée : l’hépatite alcoolique subaiguë sclérosante et hyaline.

Elle est caractérisée par une nécrose péricentrolobulaire, associée à une fibrose précoce et extensive.

Cette fibrose efface la lumière des veines centrolobulaires.

Elle serait responsable d’une hypertension portale précoce.

B – Diagnostic :

1- Manifestations cliniques :

Les formes paucisymptomatiques sont les plus fréquentes.

Elles peuvent être découvertes lors d’une hospitalisation pour une complication liée à l’alcoolisme chronique (delirium tremens, polynévrite des membres inférieurs, accident de la voie publique, troubles digestifs, pneumonie) ou lors d’un examen systématique, par la mise en évidence d’une simple hépatomégalie, parfois sensible, chez un sujet anictérique ; mais le tableau clinique peut être plus grave.

Dans la forme clinique complète, il peut exister une fièvre sans infection apparente, des douleurs abdominales parfois importantes de l’hypocondre droit et de l’épigastre, un ictère, une ascite, une encéphalopathie, et une hémorragie digestive, présentes même en l’absence de cirrhose, de même qu’une splénomégalie et une circulation veineuse collatérale.

2- Examens biologiques :

Il existe une hyperleucocytose dans 20 % des cas. Les aspartates aminotransférases sont augmentées, mais modérément.

Elles ne sont supérieures à 5 fois la normale que dans 1/3 des cas.

Elles sont exceptionnellement supérieures à 10 fois la normale.

Le rapport ASAT/ALAT est supérieur à 1 dans plus de 2/3 des cas.

Les gamma GT sont en moyenne à 15 fois la normale. En l’absence de cirrhose, le taux moyen des phosphatases alcalines n’est pas augmenté.

En fonction du degré d’insuffisance hépatique, le taux de prothrombine, le facteur V et l’albumine sont plus ou moins diminués, et la bilirubinémie totale plus ou moins augmentée.

3- Diagnostic histologique :

Pour affirmer le diagnostic d’hépatite alcoolique aiguë, une biopsie hépatique est indispensable.

Elle est réalisée par voie transpariétale, ou par voie transjugulaire en cas de troubles de l’hémostase ou d’ascite importante.

4- Diagnostic différentiel :

L’hépatite alcoolique aiguë peut simuler une hépatite médicamenteuse ou virale, un carcinome hépatocellulaire sur cirrhose, une urgence chirurgicale abdominale, et dans sa forme cholestatique une angiocholite conduisant à une intervention chirurgicale qui serait injustifiée et dangereuse.

La recherche de médicaments hépatotoxiques, l’existence ou non d’une intoxication alcoolique (maladie de Dupuytren, signes neurologiques d’alcoolisme, macrocytose), les caractères de la cytolyse [supérieurs à 20 fois la normale et prédominant sur les alanines aminotransférases (ALAT) en cas d’hépatite virale] l’étude des marqueurs viraux, l’échographie, et l’histologie hépatique permettent habituellement de déterminer l’origine virale, toxique, tumorale, ou alcoolique des lésions.

Dans de rares cas, l’écho-endoscopie est nécessaire pour éliminer une cholestase extrahépatique, évitant ainsi la laparotomie.

C – Évolution :

1- À court terme :

Elle est conditionnée par la sévérité clinique initiale de l’hépatite alcoolique aiguë et par l’état du foie sur lequel elle survient.

Afin d’évaluer la gravité des hépatites alcooliques aiguës, l’indice de Maddrey a été proposé : bilirubine en mmol/L/17 +4,6 (taux de prothrombine du malade en seconde – taux de prothrombine du contrôle en seconde).

L’indice de Maddrey > 32 et la présence d’une encéphalopathie définissent une hépatite alcoolique aiguë sévère dont la mortalité à un mois est de l’ordre de 50 %.

2- À long terme :

Le pronostic dépend essentiellement de l’arrêt de l’intoxication alcoolique.

La poursuite de l’alcoolisation expose le patient à la survenue de nouvelles hépatites alcooliques aiguës qui aggravent les lésions déjà constituées et conduiront à la cirrhose.

D – Traitement :

Le traitement repose dans tous les cas sur l’éviction complète de l’alcool.

Dans les formes sévères définies par un indice de Maddrey > 32 ou la présence d’une encéphalopathie, la prednisolone à la posologie de 40 mg par jour pendant un mois permettrait de réduire d’environ 50 % la mortalité à court terme.

La mise en route de la corticothérapie tient compte des contre-indications habituelles : infection non contrôlée, hémorragie digestive ayant nécessité la transfusion d’au moins 2 culots globulaires dans les 48 heures, pancréatite aiguë évolutive, portage chronique d’un virus hépatotrope B ou C.

Les mesures d’accompagnement comprennent la prévention du delirium tremens, une vitaminothérapie B1, un apport nutritionnel suffisant et le traitement symptomatique des complications : ascite, encéphalopathie, hémorragie digestive.

Fibrose hépatique :

A – Anatomie pathologique :

L’étude histologique de la fibrose repose en pratique courante sur l’utilisation d’une coloration spéciale, le rouge picro-sirius qui colore la fibrose en rouge.

On décrit différents types de fibroses selon sa localisation périsinusoïdale, périveinulaire, ou périportale dont la réunion peut former des septums fibreux en nombre et épaisseur variables.

Des scores semi-quantitatifs permettent de quantifier de façon simple et reproductible la fibrose.

La fibrose peut être isolée, mais elle est souvent associée à des lésions de stéatose (stéatofibrose) et (ou) d’hépatite alcoolique aiguë.

B – Diagnostic :

1- Manifestations cliniques :

La fibrose hépatique pure ou la stéatofibrose sont le plus souvent asymptomatiques.

L’examen clinique objective une hépatomégalie de consistance variable et indolore.

2- Examens biologiques :

Les anomalies biologiques hépatiques ne permettent pas de faire le diagnostic de fibrose.

Dans plus de 85 % des cas, les ASAT sont augmentées, elles sont en moyenne à 3 fois la normale ; les gamma GT sont augmentées, et sont en moyenne à 10 fois la normale ; les phosphatases alcalines sont normales ; la bilirubinémie totale est discrètement augmentée ; et le taux de prothrombine est inférieur à la normale dans environ la moitié des cas.

L’albumine reste normale.

Certains marqueurs biologiques de fibrose sont augmentés, mais leur sensibilité pour faire le diagnostic est faible ; ces marqueurs ont surtout un intérêt pour suivre l’évolution.

Ces marqueurs sont essentiellement le peptide N terminal du procollagène de type III, le collagène de type IV, la laminine, et l’acide hyaluronique.

3- Examen morphologique :

L’échographie et la tomodensitométrie ne présentent pas d’intérêt pour le diagnostic de fibrose.

Le diagnostic de fibrose est histologique, par ponctionbiopsie hépatique.

C – Évolution et traitement :

L’apparition de la fibrose hépatique marque un tournant évolutif de la maladie alcoolique du foie, puisqu’elle est définitive et conduit à l’hypertension portale.

Le pronostic est lié à la poursuite ou non de l’intoxication alcoolique, et à l’existence d’anomalies associées, en particulier l’hépatite alcoolique aiguë.

L’arrêt de l’alcool est le seul traitement, et il n’y a actuellement pas suffisamment d’argument en faveur de l’efficacité des antifibrosants tels que la colchicine pour recommander leur utilisation dans cette indication.

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