Grossesse et tabac

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Introduction :

On estime que 37 % des femmes sont fumeuses avant le début de leur grossesse et que 19,5 % des femmes enceintes continuent de fumer pendant tout ou partie de celle-ci. Le phénomène du tabagisme passif chez les femmes enceintes est mal quantifié, mais reste fréquent.

Grossesse et tabacLe tabagisme, comme tout comportement addictif, est l’indicateur d’une souffrance multiforme, corporelle et/ou psychologique et/ou sociale. C’est un facteur de risque avéré de troubles de la fécondité féminine et/ou masculine.

Le tabagisme maternel pendant la grossesse augmente le risque de survenue :

– d’accidents gravidiques comme les hématomes rétroplacentaires et les placentas bas insérés ;

– de retard de croissance intra-utérin ;

– de prématurité ;

– de mort subite du nourrisson ;

– et d’une consommation globale de soins plus importante dans la petite enfance.

Ces risques impliquent de prendre en compte non seulement le tabagisme actif de la femme, mais également son tabagisme passif lié à celui de son compagnon ou de son entourage ou de son milieu professionnel, avant, pendant et après la grossesse.

Modalités de prise en charge du tabagisme chez la femme, avant, pendant et juste après la grossesse :

L’arrêt du tabac doit intervenir de préférence avant la conception, sinon le plus tôt possible pendant la grossesse. Il reste utile tout au long de la grossesse et même après l’accouchement.
Un arrêt total est recommandé, car la diminution du
tabagisme maternel n’est pas suffisante pour prévenir l’apparition
de complications maternelles, foetales ou néonatales pendant la grossesse ou au décours de l’accouchement.

Cette prise en charge est à insérer dans une prise en charge globale de la femme fumeuse, dans le respect de son être et sans jamais la culpabiliser. Les professionnels de santé doivent être formés à la prise en charge du sevrage tabagique chez la femme, en particulier pendant la grossesse et après l’accouchement.

Avant la grossesse :

La meilleure prévention du tabagisme pendant la grossesse est celle qui vise à éviter que les femmes n’entrent dans le tabagisme. Il faut privilégier les actions de sensibilisation dès la préadolescence et surtout à l’adolescence dans les milieux scolaires, parascolaire et familial, en s’appuyant sur tous les réseaux associatifs, les organismes nationaux d’éducation sanitaire. Le principe doit être celui d’un partenariat avec les jeunes afin de mieux les impliquer.

Pour aider les adolescent(e) s, il est important de modifier l’image de la consommatrice de tabac en valorisant l’image de la femme non-fumeuse.

Il faut développer des campagnes d’information pour faire face à la manipulation des jeunes par l’industrie du tabac, en utilisant tous les médias et en particulier ceux destinés aux jeunes filles.

Tous les rendez-vous santé des adolescent(e) s doivent être l’occasion d’insister sur les méfaits du tabagisme.

Pendant la grossesse :

Les médecins du travail doivent s’impliquer pour faire respecter la loi qui impose de soustraire la femme enceinte non fumeuse au tabagisme passif en lui proposant un aménagement
ou un changement de poste de travail, ou même en
cas d’impossibilité, une interruption d’activité. Ils doivent
proposer aux femmes enceintes fumeuses une aide à l’arrêt du
tabac. Depuis la loi relative à la politique de santé publique
du 9 août 2004, les inspecteurs du travail peuvent être saisis et
intervenir. Le document spécifique au médecin du travail
situé dans le carnet de maternité doit être rempli.
Toutes les maternités doivent être des espaces strictement
non-fumeurs.

Un entretien prénatal avec un professionnel de santé, par exemple une sage-femme, est à généraliser au premier trimestre de la grossesse. Cet entretien complet doit porter sur l’environnement quotidien de la femme enceinte, insister sur tous les facteurs de risque pendant la grossesse, en particulier sur les conduites addictives et les difficultés qu’elles entraînent pendant la grossesse, et proposer une solution concrète d’aide à l’arrêt du tabac, adaptée à chaque cas. Une tarification spécifique de ces entretiens est à définir.

L’existence d’un tabagisme chez la femme enceinte est à noter dans le carnet de maternité.

La réalité de l’intoxication tabagique est à évaluer par le dosage du monoxyde de carbone (CO) dans l’air expiré. L’analyseur de CO est un outil facilement utilisable au cours de toute consultation pré ou postnatale. Il peut aider à motiver à l’arrêt du tabagisme la femme enceinte et le professionnel de santé et renforcer leur motivation pendant la démarche d’arrêt du tabac.

Les approches psychologiques et comportementales ont leur place en première intention aux différentes étapes de la prise en charge de la femme enceinte fumeuse.

Si la femme enceinte ne parvient pas à s’arrêter rapidement, seule ou avec l’aide d’une approche psychologique et comportementale, c’est le signe d’une dépendance tabagique importante et le recours au traitement substitutif nicotinique (TSN) peut lui permettre d’arrêter le tabac plus facilement. Le TSN peut être prescrit à tout moment de la prise en charge d’une femme enceinte fumeuse.

Le bupropion est actuellement déconseillé dans l’aide à l’arrêt du tabac chez la femme enceinte.

Au moment de l’accouchement :

Lors de la prise en charge périnatale, il importe, au-delà de la thérapeutique bien codifiée des complications maternelles et néonatales liées au tabagisme, de repérer les femmes qui continuent de fumer jusqu’à l’accouchement et au décours de celui-ci, sans les culpabiliser.

À son arrivée à la maternité, la mesure du taux de CO chez une femme qui a continué de fumer tout au long de sa grossesse peut permettre de renforcer la vigilance des professionnels de la naissance pour diagnostiquer, prévenir ou traiter précocement des complications maternelles et/ou néonatales.

Après la naissance :

Les professionnels de la naissance doivent être convaincus de leur rôle dans :

– la promotion de l’allaitement maternel dans tous les cas, y compris chez les mères fumeuses ou sous TSN ;

– la valorisation de la capacité de ces femmes à être mères ;

– l’information sur les aides à l’arrêt du tabac pour la mère, mais aussi pour le père s’il est fumeur ;

– l’initiation encore possible de l’arrêt du tabac chez la jeune mère au décours de l’accouchement, mais aussi chez le père, afin d’éviter l’exposition du nouveau-né au tabagisme passif. Les approches psychologiques et comportementales ont leur place en première intention au décours de l’accouchement, pour aider la mère, mais également le père, à l’arrêt du tabac.

Le TSN peut être prescrit en suites de couches et au cours de l’allaitement maternel. Le bupropion est actuellement déconseillé dans l’aide à l’arrêt du tabac chez la femme qui allaite.

Une attention particulière doit être portée aux jeunes mères qui ont arrêté de fumer juste avant ou pendant leur grossesse. Elles doivent être particulièrement accompagnées pour éviter une reprise du tabagisme après l’accouchement. L’environnement de l’enfant doit être exempt de toute pollution tabagique, au domicile et dans tous les lieux qu’il fréquente.

En plus des autres recommandations sur la prévention de la mort subite du nourrisson, il est d’autant plus indispensable de proscrire le partage du lit parental avec l’enfant que le risque est aggravé si la mère et/ou le père fument.

Propositions d’études futures :

Des travaux complémentaires s’avèrent nécessaires sur le thème « tabagisme et femme enceinte ». Il est notamment recommandé de mettre en place :

– une enquête nationale pour évaluer, avec l’aide d’un marqueur du tabagisme, la prévalence du tabagisme actif et passif en France chez la femme enceinte et dans son environnement ;

– des enquêtes locales qui peuvent servir d’indicateurs pour adapter des réponses à une problématique de proximité ;

– des recherches complémentaires sur les marqueurs du tabagisme, dans le but d’adapter individuellement le TSN chez la femme enceinte ou qui allaite ;

– la recherche d’aides spécifiques à l’arrêt du tabac chez les adolescent(e) s, en particulier quand le tabagisme est lié aux autres conduites addictives ;

– des études sur les effets du TSN sur le foetus. La mise en place d’un registre commun aux praticiens utilisant des médicaments d’arrêt du tabac chez la femme enceinte pourrait permettre de partager leurs données concernant le déroulement de la grossesse et de ses suites ;

– des études sur les risques à moyen et long terme chez les adolescents exposés in utero au tabagisme de leur mère (cancers, malformations congénitales, obésité, syndrome X, développement psychomoteur, troubles du comportement, addiction au tabac ou autres addictions) ;

– un registre national des malformations foetales incluant les paramètres tabac, alcool et cannabis.

Le manque de données, l’absence de coordination des actions et l’éparpillement des moyens font souhaiter la création d’un Observatoire national de la grossesse et de la naissance.

Recommandations sur les mesures de santé publique :

Mesures de prévention générale :

Le statut tabagique devrait être inscrit dans le dossier médical personnel.

Il est nécessaire d’inscrire l’exposition du bébé au tabagisme familial dans le certificat du 8e jour et dans les 2 autres certificats obligatoires (9e et 24e mois).

La lutte contre le tabagisme passif des femmes enceintes et des enfants doit faire l’objet de campagnes d’information, en particulier il faut relancer périodiquement des campagnes d’information sur le rôle du tabagisme dans la survenue des morts subites du nourrisson.

Il faudrait instaurer une réflexion sur l’intérêt de signaler les espaces fumeurs, prévus par la loi Évin, dans les lieux recevant du public, et en particulier les restaurants, bars, brasseries, par une mention « Espace fumeur déconseillé aux femmes enceintes et aux jeunes enfants ».

La vente de cigarettes sans tabac doit être interdite, leur combustion apportant notamment un taux élevé de CO.

Mesures d’aide aux femmes enceintes fumeuses :

Il convient d’apporter une réponse de proximité aux femmes enceintes fumeuses et à leurs compagnons, en créant des lieux de consultation multidisciplinaire d’aide à l’arrêt du tabac, si possible situés dans les maternités. Ceux-ci pourront y rencontrer, au minimum, un tabacologue, une diététicienne et un psychologue. L’accès en sera gratuit. Il est recommandé que le coût financier des TSN soit pris en charge pour les femmes enceintes fumeuses.

Mesures concernant les professionnels de santé :

Les professionnels de santé doivent être conscients de leur exemplarité en matière de tabagisme. Il est nécessaire d’inclure un enseignement de tabacologie dans les cursus initiaux et la formation continue de tous les professionnels de santé et d’éducation susceptibles d’entrer en contact avec les femmes enceintes et les enfants.

Les assistantes maternelles doivent être sensibilisées aux éventuels effets néfastes de leur tabagisme et de celui de leur entourage sur les enfants dont elles ont la charge. Leur tabagisme est à prendre en compte lors de leur agrément.

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