Fractures du pilon tibial (Suite)

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* Ostéosynthèse à foyer fermé :

+ Fixation externe :

Le traitement par fixation externe des fractures du pilon tibial est en fait une « amélioration » du traitement orthopédique par extension continue, puisqu’il utilise le même principe du ligamentotaxis pour la réduction, qu’il immobilise de façon plus rigide en pontant l’articulation tibiotarsienne, tout en permettant une mobilisation précoce du patient.

La mise en place du fixateur répond aux principes généraux de la fixation externe, mais quelques détails méritent d’être précisés :

– le montage est tibiocalcanéen (en double cadre ou en V) ;

– les barres de distraction-compression permettent de corriger des défauts d’axe résiduels ;

– le positionnement du montage se fait de manière à ce qu’il ne compromette ni la réalisation ultérieure d’un lambeau de couverture, ni l’analyse radiologique par superposition sur le foyer ou l’interligne articulaire (sinon il faut prévoir au moins une possibilité d’allègement transitoire du montage) ;

– on y associe volontiers une attelle élastique antiéquin de l’avant-pied.

La réduction gagne à être optimisée par deux gestes chirurgicaux complémentaires :

– l’ostéosynthèse première du péroné permet de redonner une longueur et un axe exacts ; il est rare d’observer des complications cutanées empêchant ce geste ;

– l’ostéosynthèse a minima de fragments épiphysaires et l’abaissement de fragments articulaires impactés, à l’aide de broches percutanées (avec contrôle à l’amplificateur de brillance), permet de restituer une congruence correcte ; l’intérêt de la combinaison-fixation externe et interne a également été démontré par Tornetta.

+ Différents types de fixateurs :

Fractures du pilon tibial (Suite)

Le fixateur externe de Hoffmann type I ou II, le fixateur de Lortat-Jacob, le fixateur externe circulaire de type Ilizarov, Monticelli-Spinelli peuvent être utilisés.

À la différence des autres types de fixateur externe qui imposent un pontage de l’articulation tibiotarsienne, le fixateur circulaire permet un montage tibiotibial grâce à la finesse de ses broches de fixation qui peuvent ainsi être placées dans l’épiphyse tibiale distale.

Il faut réaliser un montage ascendant en positionnant d’abord l’anneau distal épiphysaire, puis les deux anneaux diaphysaires.

Le fixateur circulaire de type Ilizarov ainsi assemblé autorise la mobilisation de la cheville (avec son effet de « modelage » des surfaces articulaires) et la mise en charge précoce.

Un autre avantage du matériel d’Ilizarov est la possibilité de réduction et de désimpaction des fragments articulaires (à travers un abord a minima) qui sont ensuite fixés à l’aide des broches à olive.

Pour certains, en cas de doute sur une bonne restitution de l’interligne, une arthroscopie vérifie la réduction articulaire et fait compléter le montage du fixateur circulaire par une ostéosynthèse a minima.

+ Fixateurs externes articulés :

Il s’agit d’un nouveau type de matériel qui reste à évaluer : le montage du fixateur externe est tibiocalcanéen, pontant l’articulation de la cheville, mais avec l’énorme avantage d’un système articulé intégré dans le fixateur qui permet la mobilisation de la cheville tout en assurant une contention solide.

La principale difficulté réside dans la détermination de l’axe naturel de la cheville, que le fixateur externe articulé doit reproduire parfaitement pour permettre une mobilisation harmonieuse et respecter ainsi le principe même de ce matériel.

* Arthrodèse d’emblée :

En cas de dégâts cartilagineux majeurs, une arthrodèse de principe peut être réalisée par avivement des surfaces associé à un greffon corticospongieux encastré.

L’immobilisation est assurée au mieux par un fixateur externe (éventuellement associé à un vissage).

Le greffon osseux est prélevé soit sur le tibia, entre le foyer et les fiches supérieures du fixateur externe, soit sur l’aile iliaque.

C – Indications :

* Fractures partielles :

La chirurgie à foyer ouvert est le traitement de choix.

Il permet d’obtenir les réductions les plus anatomiques, le plus souvent par vissage simple.

L’abord est centré sur le fragment détaché, mais peut être décalé en cas de dégâts cutanés : une peau endommagée ne doit pas être une contre-indication à l’ostéosynthèse dans le cadre des fractures partielles.

Le traitement orthopédique garde cependant trois indications :

– les fractures non déplacées ;

– les fractures déplacées mais dont la réduction orthopédique est parfaite et stable ;

– les fractures comminutives pour lesquelles il ne semble pas possible d’obtenir une réduction parfaite par la chirurgie à foyer ouvert (indication très subjective, laissée à l’appréciation de chacun selon son expérience…).

Le fixateur externe peut également trouver une place dans cette dernière indication.

* Fractures totales :

La chirurgie à foyer ouvert est là encore le traitement de choix, mais expose aux complications cutanéo-infectieuses les plus redoutables ; elle n’est donc indiquée qu’en cas d’état cutané satisfaisant, et uniquement si l’opérateur est certain de pouvoir obtenir un résultat meilleur sur la congruence articulaire et sur la réduction de la « marche d’escalier » par cette technique que par un autre traitement.

Le traitement orthopédique est proposé dans les mêmes indications que pour les fractures partielles, mais en cas de risque cutané majeur ou de comminution importante, le fixateur externe est préférable, en particulier le fixateur type Ilizarov, associé à un court abord permettant la réduction et la synthèse a minima de fragments articulaires. L’ostéosynthèse première du péroné doit être systématiquement envisagée, quel que soit le type de traitement.

Une comminution articulaire majeure, avec éventuellement lésions ostéochondrales du dôme astragalien en regard, peut conduire à l’arthrodèse tibiotarsienne de principe d’emblée, si les chances de reconstruction paraissent très compromises.

* Tactique en deux temps :

En cas de lésions cutanées initiales inquiétantes avec une fracture qui mériterait une ostéosynthèse à foyer ouvert, le fixateur externe peut constituer une solution d’attente (plus confortable que l’extension continue…) avant un deuxième temps opératoire d’ostéosynthèse classique différée des quelques jours nécessaires à l’amélioration cutanée.

En urgence et si les conditions techniques et logistiques ne sont pas optimales, il vaut certainement mieux mettre en place une traction ou un montage tibiocalcanéen associé ou non à une ostéosynthèse externe du péroné, en attente d’une réduction exacte secondaire qui est fonction de l’état local. Pour certains auteurs, cette attitude engendre un moindre taux de complications infectieuses.

L’organigramme décisionnel résume l’attitude thérapeutique en fonction du type de fracture et de l’état cutané.

Évolution – résultats – séquelles :

A – Évolution à court terme :

L’évolution est conditionnée par la survenue de complications sérieuses qui peuvent prolonger les suites postopératoires de plusieurs mois.

Retard de cicatrisation, nécrose cutanée, désunion de cicatrice plus ou moins étendue pouvant exposer le matériel d’ostéosynthèse à l’air libre, sont source de problème majeur sur le plan septique et pour la consolidation : ces complications cutanées se voient principalement après la chirurgie à foyer ouvert.

Il faut savoir poser à temps l’indication de couverture par un lambeau musculoaponévrotique pédiculé ou non.

– Complications des fractures avec rupture métaphysaire totale (286 complications pour 192 fractures) ; taux global : 50 %des fractures globales ; 20 % de complications cutanées et infectieuses. Série Sofcot de 1991 (d’après Colmar et Langlais).

Infection : il s’agit soit d’infection des parties molles pouvant être jugulée par une cicatrisation dirigée ou la réalisation d’un lambeau ; soit on assiste à l’évolution vers une ostéite ou une ostéoarthrite dont la survenue peut être précoce après une fracture ouverte ou même fermée en cas de dégats cutanés importants.

Leur traitement impose l’ablation du matériel d’ostéosynthèse, le curetage osseux ou parfois la réalisation d’un geste de type Papineau.

L’arthrodèse est souvent l’évolution inéluctable, l’amputation restant, bien évidemment, exceptionnelle (un seul cas dans la série de la Sofcot).

Déplacement secondaire : celui-ci est fréquent en cas de traitement orthopédique n’assurant pas une contention suffisante de ces fractures particulièrement instables.

Ce déplacement est possible également en cas d’ostéosynthèse, surtout chez des patients indisciplinés, car le matériel utilisé dans les ostéosynthèses du pilon a une tenue mécanique médiocre, juste suffisante pour maintenir les fragments entre eux mais totalement incapables de supporter le poids du corps.

Complications non spécifiques : algoneurodystrophie, complications thromboemboliques…

B – Évolution à long terme :

Les fractures du pilon tibial sont exposées aux troubles de la consolidation (normalement obtenue en 10 à 20 semaines) :

– pseudarthrose : elle survient en zone métaphysaire (région dont la vascularisation est précaire, aggravée par la perte de substance osseuse), surtout en cas de fracture complète avec comminution métaphysaire et quel que soit le type de traitement ;

– cals vicieux, qui conditionnent le pronostic fonctionnel :

– extra-articulaires : parfois bien tolérés, si la déviation est faible ; mieux tolérés en cas de déviation en valgus qu’en varus ; en cas de mauvaise tolérance, ils restent toujours accessibles à une correction chirurgicale secondaire par ostéotomie ;

– articulaires : le risque d’arthrose précoce est majeur avec douleur et raideur invalidantes, d’autant plus fréquente que le défaut articulaire est prononcé (même si un remodelage articulaire sur l’astragale peut en ralentir l’évolution péjorative) ;

– arthrose de la tibiotarsienne ; la solution chirurgicale fiable consiste alors en une arthrodèse ; l’arthroplastie prothétique n’a pas fait la preuve de son efficacité, d’autant qu’il existe souvent dans ces arthroses post-traumatiques soit un cal vicieux, soit un antécédent septique.

C – Résultats :

La série de la Sofcot de 1991 présente 306 fractures partielles et 400 fractures totales, avec une nette prépondérance de traitements chirurgicaux.

1- Fractures partielles :

Le résultat anatomique est meilleur après chirurgie (47 % de réductions anatomiques) qu’après traitement orthopédique (26 % de réductions anatomiques) ; l’enfoncement est le défaut le plus difficile à réduire.

En revanche, sur le plan du résultat fonctionnel, il n’y a pas de différence significative entre le traitement orthopédique et le traitement chirurgical ; il y a néanmoins plus de résultats fonctionnels parfaits après un traitement chirurgical.

Globalement, les résultats fonctionnels objectifs déçoivent puisqu’ils ne sont parfaits que pour 39 fractures partielles traitées sur un total de 270 dossiers revus (soit 14 %).

L’appréciation subjective des patients est en revanche assez bonne, puisque trois quarts d’entre eux sont satisfaits.

La survenue d’une arthrose précoce (recul supérieur à 12 mois) a été constatée dans 48 % des 204 dossiers utilisables (dont deux tiers d’arthrose incipiens).

2- Fractures totales :

Le résultat anatomique est là encore bien meilleur après chirurgie à foyer ouvert (71 % de réductions anatomiques) qu’après traitement orthopédique (35 % de réductions anatomiques) ou chirurgie à foyer fermé (30 % de réductions anatomiques).

Ces deux derniers traitements ont obtenu de meilleurs résultats lorsqu’une ostéosynthèse du péroné leur est associée ; ils permettent une meilleure réduction de la bascule sagittale que la chirurgie à foyer ouvert.

Le résultat fonctionnel est à nouveau décevant avec seulement 38 % de bons résultats objectifs (flexion plantaire normale pour 29 %des cas et flexion dorsale normale pour 20 % des cas) ; 38 % des patients marchent normalement, et 28 % des patients ne ressentent aucune douleur !

D’un point de vue subjectif, en revanche, le résultat est assez satisfaisant puisque 9 % seulement des patients revus se déclarent déçus et fortement gênés.

Le résultat fonctionnel semble de meilleure qualité après ostéosynthèse à foyer ouvert, grâce à une meilleure reconstruction articulaire.

Cependant, les complications cutanées (survenant généralement après chirurgie à foyer ouvert) suivies d’infection ont toujours évolué vers un mauvais résultat fonctionnel.

La survenue d’une arthrose précoce a été découverte dans 56 %des 355 dossiers utilisables (dont deux tiers d’arthrose incipiens).

D – Facteurs pronostiques de l’apparition d’arthrose (série Sofcot 1991) – évolutivité de l’arthrose :

1- Facteurs étiologiques péjoratifs initiaux (préthérapeutiques) :

Les facteurs prédictifs de la survenue d’arthrose dès la prise en charge du blessé, avant tout traitement, sont radicalement différents selon le caractère partiel ou total de la fracture :

– pour les fractures partielles, il s’agit :

– de la sévérité du traumatisme initial ;

– du type anatomique : les marginales antérieures ont un plus mauvais pronostic ;

– de l’existence d’une comminution articulaire (pour les fractures partielles, l’ouverture cutanée n’est pas un facteur pronostique défavorable) ;

– pour les fractures totales, il s’agit :

– de l’âge ;

– de l’ouverture cutanée initiale (77 %d’arthrose s’il y a ouverture contre 49 % sinon) ;

– de la contusion cutanée initiale (+++) (la nécessité d’une arthrodèse secondaire est apparue deux fois plus fréquente quand il y a une contusion initiale qu’en cas d’ouverture franche) ;

– du type anatomique et en particulier du déplacement postérieur, qui est apparu comme un facteur pronostique défavorable ;

– de la profondeur de l’enfoncement central initial (et non de son étendue) ;

– de la comminution articulaire et/ou métaphysaire.

2- Facteurs pronostiques post-thérapeutiques :

Après traitement, les éléments prédictifs de la survenue d’une arthrose sont en rapport direct avec les défauts de réduction résiduels et sont par conséquent identiques pour les fractures totales et partielles :

– l’incongruence articulaire radiologique ; celle-ci donne 87 % d’arthrose s’il existe une incongruence (47 % dans le cas contraire) ;

– l’enfoncement résiduel radiologique (si supérieur à 2 mm ; bien toléré sinon) ;

– le défaut d’axe (excentration frontale et/ou sagittale).

3- Rôle du traitement ?

Quelle que soit la fracture, le type de traitement utilisé n’influence pas l’évolution arthrosique de façon significative, même si l’ostéosynthèse paraît être le procédé le plus précis pour la reconstruction anatomique de la surface articulaire et donc pour la prévention de l’arthrose.

4- Tolérance des défauts de réduction :

En cas de réduction anatomique, la survenue de l’arthrose n’est pas prévisible.

En présence de défauts postréductionnels équivalents, le traitement orthopédique est le moins souvent responsable de la survenue d’arthrose ; pour les mêmes défauts, l’arthrose apparaît deux fois plus fréquemment après chirurgie à foyer fermé et cinq fois plus après chirurgie à foyer ouvert.

Si la fracture du pilon tibial reste une fracture grave sur le plan du pronostic à la fois fonctionnel et arthrosique à long terme, sa conduite thérapeutique est également difficile, tout en sachant que seule la reconstruction anatomique des fragments permet un meilleur pronostic mais que l’ostéosynthèse à foyer ouvert ne supporte aucune approximation.

Elle demeure un challenge difficile pour le chirurgien, celui-ci ne devant jamais oublier l’importante fréquence des complications postopératoires dans lesquelles l’iatrogénicité a une bonne part de responsabilités.

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