Effets indésirables neurologiques causés par les médicaments

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Introduction :

Reconnaître et établir le rôle d’un médicament dans la survenue d’un symptôme neurologique s’avère difficile en raison des caractéristiques mêmes de ce type de pathologie.

Les troubles s’installent le plus souvent de façon insidieuse ;

Effets indésirables neurologiques causés par les médicamentsLe tableau d’origine médicamenteuse ressemble fréquemment à la maladie neurologique idiopathique ; le médicament n’agit parfois que comme révélateur de la maladie neurologique sous-jacente ; enfin, notre éducation et notre culture médicales ne conduisent pas à rechercher systématiquement, devant toute pathologie, une étiologie médicamenteuse.

La pharmacovigilance correspond à la détection, l’évaluation, la compréhension et la prévention des risques d’effets indésirables des médicaments délivrés avec ou sans ordonnance.

Elle est une étape indispensable dans l’étude de tout médicament après sa commercialisation.

En effet, si les essais cliniques sont adaptés à la validation de l’efficacité clinique du médicament, ils ne permettent pas la détection des effets indésirables de faible fréquence (en général inférieure à 1/1 000 traitements).

La pharmacovigilance, par ses méthodologies expérimentales, cliniques ou épidémiologiques, permet l’optimisation du rapport bénéfice/risque de tout médicament.

L’approche diagnostique et étiologique des effets indésirables neurologiques médicamenteux doit être facilitée par les centres régionaux de pharmacovigilance.

Ceux-ci, à côté de leur rôle d’information du prescripteur sur les effets indésirables, établissent des critères d’imputabilité qui constituent un outil analytique permettant de préciser la relation de cause à effet entre la survenue de l’effet indésirable et la prise du médicament.

En combinant deux types de critères, chronologiques et sémiologiques, on détermine l’imputabilité intrinsèque (i) classée en cinq catégories : « paraissant exclue » (i0), « douteuse » (i1), « plausible » (i2), « vraisemblable » (i3), « très vraisemblable » (i4).

Les critères chronologiques tiennent compte du délai d’apparition de l’effet indésirable et de son évolution par rapport à l’administration et/ou la suppression du médicament suspect.

La récidive de l’effet indésirable lors de la réadministration du médicament suspecté constitue un excellent argument diagnostique.

On établit les critères sémiologiques sur l’exclusion d’autres causes possibles et sur la recherche d’éventuels caractères spécifiques au médicament responsable.

On complète enfin l’analyse de pharmacovigilance par l’imputabilité extrinsèque correspondant à la connaissance bibliographique de la survenue de l’effet indésirable en cause lors de la prise du médicament.

Il existe une obligation légale de signalement au centre régional de pharmacovigilance pour tout médecin ayant constaté un effet indésirable « grave » (c’est-à-dire, selon la définition officielle : létal, susceptible de mettre la vie en danger, entraînant une invalidité ou une incapacité ou provoquant ou prolongeant une hospitalisation) ou « inattendu » (c’est-à-dire non mentionné sur le dictionnaire Vidal).

En dépit de cette obligation, en l’absence d’exhaustivité, beaucoup d’effets indésirables ne sont pas notifiés.

Il devient dès lors impossible d’estimer l’incidence réelle d’un effet indésirable.

Seules les enquêtes pharmacoépidémiologiques type cohorte ou cas-témoin permettent d’évaluer cette dimension.

Malheureusement, elles restent rares car longues et coûteuses.

Dans le cas des effets indésirables neurologiques, on ne dispose dans la majorité des cas que d’observations ponctuelles sans notion épidémiologique concluante.

Céphalées causées par les médicaments :

Les céphalées causées par les médicaments posent par leur fréquence un problème de santé publique qui reste toutefois mal évalué, faute d’enquêtes épidémiologiques satisfaisantes.

La responsabilité d’un médicament dans l’apparition d’une céphalée, symptôme très répandu dans la population générale, n’est pas toujours facile à établir.

Avec l’International Headache Society (IHS), on peut distinguer plusieurs circonstances d’apparition d’une céphalée après utilisation d’un médicament.

La céphalée peut survenir lors de l’utilisation aiguë d’un médicament prescrit pour tout autre symptôme, ou bien survenir dans un contexte d’utilisation chronique de médicaments.

Dans ce dernier cas, il s’agit d’une consommation chronique, souvent abusive et par automédication, de médicaments à visée symptomatique prescrits pour une céphalée préexistante.

La céphalée peut alors être liée à la prise du médicament ou bien à son arrêt brutal (céphalée de sevrage).

A – Céphalées liées à l’utilisation aiguë de médicaments :

L’appréciation d’un lien de causalité entre la prise d’un médicament et la survenue d’une céphalée s’avère difficile dans les études de pharmacovigilance du fait de biais méthodologiques : méconnaissance du nombre total de patients utilisant ce médicament, peu ou pas de description de la céphalée, antécédents de céphalées non mentionnés (la survenue de la céphalée pourrait être fortuite), absence d’étude contre placebo.

Pour l’IHS, les critères retenus sont : la survenue de la céphalée dans un intervalle de temps donné après la prise d’une substance (médicamenteuse ou autre), la nécessité d’une dose minimale, la survenue de la céphalée au moins trois fois, et dans au moins la moitié des prises, et enfin la disparition de la céphalée quand la substance est éliminée.

Les exemples donnés sont la céphalée induite par les nitrates ou nitrites (céphalée du « hot-dog »), par le glutamate monosodique (syndrome du « restaurant chinois »), par le monoxyde de carbone et l’alcool.

Il n’est pas fait mention de médicaments dans ces critères IHS.

À travers la littérature, les médicaments incriminés sont nombreux et appartiennent à des classes très diverses, suggérant une grande variété de mécanismes à l’origine de la céphalée.

La céphalée induite par les médicaments peut être isolée, ou s’intégrer dans des tableaux neurologiques tels que méningite aseptique ou hypertension intracrânienne bénigne.

1- Médicaments en cause :

Dans une étude de pharmacovigilance, portant sur près de 10 000 cas de céphalées induites par les médicaments, les quatre médicaments le plus fréquemment responsables sont par ordre décroissant l’indométacine (Indocidt), la nifédipine (Adalatet), la cimétidine (Cimétidinet, Tagamett) et l’aténolol (Aténololt, Ténorminet).

Mais si on rapporte, quand cela est connu, l’incidence de la céphalée aux quantités de médicaments vendues, on trouve alors par ordre décroissant la zilminidine, un antidépresseur bloquant la recapture de la sérotonine, retiré du marché ; l’acide nalidixique (Négramt), le triméthoprime (Bactrimt, Eusaprimt), la griséofulvine (Fulcinet, Griséfulinet).

Les médicaments provoquant des migraines sont dans cette étude, toujours par ordre de fréquence, la cimétidine, l’éthinylestradiol + norgestrel, l’éthinylestradiol + acétate de noréthistérone, et l’aténolol.

Ainsi des médicaments aussi variés que des anti-inflammatoires (indométacine), des inhibiteurs calciques (nifédipine), des inhibiteurs histaminiques H2 (cimétidine), des antibactériens (acide nalidixique, triméthoprime), des antifungiques (griséofulvine) et enfin des bêtabloquants (aténolol) peuvent être à l’origine de céphalées.

La responsabilité de ce dernier médicament (aténolol) est d’autant plus étonnante, qu’il s’agit d’un bêtabloquant dépourvu d’activité sympathomimétique dont on a préconisé l’utilisation dans le traitement prophylactique de la migraine.

Les contraceptifs oraux (CO) méritent une mention particulière car leur responsabilité dans la survenue de céphalées, et particulièrement de migraines, reste controversée.

Les résultats des études à ce sujet sont contradictoires, suivant qu’elles proviennent de centres spécialisés dans la migraine ou spécialisés dans la contraception.

Quatre études contre placebo n’ont pas montré de différence dans la survenue de céphalées entre le groupe sous CO et le groupe sous placebo.

Sous l’influence des CO, la migraine est tantôt exacerbée, tantôt améliorée, tantôt inchangée.

La migraine peut apparaitre pour la première fois à l’initiation de la contraception orale, particulièrement chez des femmes ayant une histoire familiale de migraine, mais elle peut aussi survenir après une utilisation prolongée de CO.

Rarement, les crises surviennent tout au long du cycle, liées à une dose trop faible d’éthinylestradiol et/ou trop forte de progestatif.

Le plus souvent, les crises surviennent lors de la semaine d’interruption du CO, pendant laquelle se produit un effondrement de la stimulation estrogénique, souvent plus brutal qu’au cours d’un cycle spontané.

La survenue de ces crises est alors efficacement prévenue par un supplément d’estradiol, administré par voie cutanée pendant la semaine d’interruption du contraceptif.

Les médicaments peuvent être responsables soit d’une céphalée isolée, soit d’une complication neurologique dans laquelle s’intègre une céphalée dominant le tableau clinique.

2- Céphalée isolée : mode d’action des médicaments

Les mécanismes par lesquels un médicament peut induire une céphalée sont purement hypothétiques.

Ils sont probablement multiples, comme en témoigne la diversité des médicaments responsables, et nécessitent sans doute un terrain prédisposé.

* Action sur le calibre des artères cérébrales :

Les médicaments vasodilatateurs mettraient en jeu des structures sensibles de la paroi des vaisseaux.

C’est ainsi qu’on explique les céphalées induites par les dérivés nitrés (trinitrine), certains inhibiteurs calciques, nifédipine (Adalatet), nitrenpidine (Baypresst, Nidrelt), certains bronchodilatateurs : théophylline, terbutaline (Bricanylt).

* Action sur les récepteurs histaminiques :

Par cette action, la mépyramine (Nortussinet, Triaminict) et la cimétidine (Tagamett) pourraient provoquer une vasodilatation des artères méningées.

Action sur les endothélines

Les endothélines sont des peptides vasoconstricteurs, synthétisés par les cellules endothéliales.

Des médicaments tels que le lithium, les inhibiteurs de la cyclo-oxygénase (indométacine, naproxène) ont une action sur l’endothéline.

Cette action est vraisemblablement complexe, ces médicaments pouvant causer des céphalées, mais s’avérer efficaces dans le traitement de certaines céphalées.

* Autres mécanismes :

Sur des terrains prédisposés, comme les migraineux, certains médicaments pourraient provoquer des céphalées en agissant sur la production de monoxyde d’azote (NO) ou de glutamate.

Céphalées s’intégrant dans un contexte neurologique complexe

Des médicaments peuvent être à l’origine de complications neurologiques réalisant des tableaux cliniques dans lesquels la céphalée est un symptôme dominant.

* Hypertension intracrânienne bénigne :

Il s’agit d’une cause rare, mais importante à reconnaître en raison du risque fonctionnel visuel.

Les médicaments en cause sont : la minocycline et autres cyclines, utilisés dans le traitement de l’acné ; la vitamineAet dérivés par voie orale : l’isotrétinoïne (Roaccutanet), la trétinoïne (Vesanoïdt) ; l’acide nalidixique (Négramt) ; l’hormone de croissance biosynthétique ; le sevrage des corticoïdes.

De nombreux autres médicaments sont cités, le danazol (Danatrolt), la lévothyroxine (Lévothyroxt), le lithium, la nitrofurantoïne, les fluoroquinolones, l’amiodarone(Cordaronet), le cotrimoxazole (Bactrimt), la ciclosporine, la trinitrine.

* Méningite aseptique :

Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) sont le plus souvent cités, parfois à l’origine de méningites récurrentes.

Il est impossible d’estimer la fréquence exacte de cet effet indésirable, nombre de ces médicaments étant achetés sans ordonnance.

Des antibiotiques : pénicilline, triméthoprimesulphaméthoxazole, céphalosporines, peuvent être responsables de méningite aseptique, ainsi que l’azathioprine (Imurelt), la sulfasalazine (Salazopyrinet), la carbamazépine (Tégrétolt).

Les immunoglobulines polyvalentes peuvent être à l’origine d’une méningite aseptique, parfois d’apparition retardée, indépendante du débit de la perfusion et de la spécialité utilisée.

La méningite aseptique doit être ici différenciée de la céphalée isolée, dose-dépendante, contemporaine de la perfusion et cédant aux antalgiques.

Le terrain semble jouer un rôle dans les méningites aseptiques iatrogènes.

Ainsi la méningite aseptique des AINS se rencontre surtout dans les connectivites.

Le mécanisme de la méningite reste obscur : irritation chimique directe ou réaction d’hypersensibilité aiguë mettant en jeu une réponse immune humorale spécifique d’un antigène.

* Autres :

Nous ne ferons que citer les thrombophlébites, les accidents vasculaires cérébraux et autres pathologies neurologiques provoquées par les médicaments, la céphalée n’étant dans ce cas qu’un élément contingent du tableau clinique.

B – Céphalées liées à l’utilisation chronique de médicaments :

Avec l’IHS, on peut distinguer deux types de céphalées : celles liées à l’abus chronique de médicaments symptomatiques, prescrits pour une céphalée préexistante, et celles liées au sevrage médicamenteux.

1- Céphalées avec abus de traitements symptomatiques :

L’utilisation abusive et répétée d’antalgiques, ou autres traitements symptomatiques d’une céphalée préexistante, peut conduire à une céphalée chronique quasi quotidienne.

Il s’agit d’un véritable problème de santé publique, encore mal connu, complexe car interviennent la nature de la céphalée préexistante, l’action de médicaments souvent multiples, des dispositions psychologiques…

La plupart des centres spécialisés dans les céphalées rapportent l’existence d’une céphalée chronique avec abus médicamenteux chez 5 à 10 % des patients.

L’incidence dans la population générale n’est pas connue avec précision.

Les arguments en faveur du rôle de l’abus médicamenteux dans la pérennisation de la céphalée sont indirects : le sevrage réduit la fréquence de la céphalée, et l’abus de médicaments peut conduire à une céphalée quotidienne chronique.

Alors que l’IHS retient une durée de l’abus médicamenteux devant être supérieure ou égale à 3 mois, la revue de la littérature montre en fait la très longue durée de l’abus médicamenteux (10 ans en moyenne) et de la céphalée quotidienne (6 ans en moyenne).

* Médicaments en cause :

L’IHS retient deux catégories de médicaments : l’ergotamine et les antalgiques et définit les doses nécessaires.

Pour l’ergotamine, la dose quotidienne par voie orale doit être supérieure ou égale à 2 mg, et par voie rectale supérieure ou égale à 1 mg.

Pour les antalgiques, la posologie retenue est une dose mensuelle supérieure ou égale à 50 g d’aspirine ou d’un antalgique équivalent, ou bien une quantité supérieure ou égale à 100 comprimés d’antalgiques combinés à des barbituriques ou autres composés non opiacés.

Ces critères semblent en réalité difficiles à appliquer, car selon les enquêtes épidémiologiques, les patients utilisent en moyenne 5 comprimés ou suppositoires par jour, correspondant à la prise simultanée de deux à six composés pharmacologiques différents.

Le paracétamol est l’analgésique le plus fréquemment utilisé, suivi par l’aspirine.

Outre des antalgiques, ou de l’ergotamine, certains médicaments contiennent de la caféine, des dérivés pyrazolés, ou des barbituriques. Nombre de ces médicaments sont achetés sans ordonnance.

De plus, les patients utilisent souvent d’autres médicaments comme tranquillisants, opioïdes, laxatifs rendant difficile l’imputabilité de la céphalée aux seuls antalgiques et à l’ergotamine.

* Caractères cliniques de la céphalée :

Seule la céphalée liée à l’abus d’ergotamine a été clairement individualisée, les premières descriptions remontant aux années 1950.

Les critères de cette céphalée ont été repris par l’IHS : la céphalée est diffuse, pulsatile, se distinguant de la migraine par l’absence de symptômes associés.

Ces critères distinctifs entre migraine et céphalée liée à l’ergotamine sont en pratique difficiles à discerner ; seul l’arrêt de l’abus d’ergotamine permettra de faire la différence.

Quant à la céphalée liée aux antalgiques, on ne lui reconnaît pas de caractères cliniques particuliers.

2- Céphalées liées au sevrage médicamenteux :

Cette céphalée, suivant les critères IHS, survient après une utilisation quotidienne à forte dose d’une substance (médicament ou autre) pendant une durée d’au moins 3 mois.

La céphalée est conditionnée par l’utilisation de cette substance : survenue de la céphalée dans les heures qui suivent son élimination, réapparition lors d’une nouvelle introduction, disparition à l’arrêt total.

* Médicaments et autres substances en cause :

L’IHS retient comme cause de céphalée le sevrage après utilisation chronique d’ergotamine, de caféine, et d’opiacés.

+ Ergotamine :

La céphalée est précédée d’un abus quotidien d’ergotamine (prise orale ³ 2 mg, prise rectale ³ 1 mg) et survient dans les 48 heures après l’arrêt du médicament (critères IHS).

+ Caféine :

Cette substance entre dans la composition d’un très grand nombre de médicaments contenant de l’ergotamine ou des antalgiques.

Selon les critères IHS, la céphalée survient, chez un patient consommant quotidiennement de la caféine en quantité supérieure à 15 g par mois, dans les 24 heures après la dernière prise de caféine et est soulagée en 1 heure par l’ingestion de 100 mg de caféine.

Des études bien conduites, en double aveugle, ont confirmé l’existence d’un syndrome de sevrage avec céphalées, après l’arrêt brutal de la consommation de caféine, même chez des consommateurs modérés (2,5 tasses de café/jour).

+ Opiacés :

La céphalée fait partie du syndrome de sevrage, mais les conditions d’apparition (dosage, délai) ne sont pas précisées.

* Caractères cliniques de la céphalée du sevrage :

Quelle que soit la substance en cause, ergotamine, caféine, ou autre, le syndrome de sevrage comporte à des degrés divers suivant les patients, une céphalée parfois très intense, accompagnée de nausées, vomissements, troubles du sommeil et de l’humeur.

3- Céphalées induites par les médicaments : nécessité d’une céphalée préexistante

Certains auteurs refusent le concept de céphalées induites par l’abus de médicaments.

Un des arguments majeurs est le fait que la céphalée n’est pas un symptôme plus fréquent chez les patients abusant d’antalgiques pour d’autres pathologies (par exemple les rhumatismes chroniques) que chez ceux qui n’en abusent pas.

C’est donc pour traiter une céphalée préexistante que le patient va abuser de médicaments.

Dans une méta-analyse de 29 études portant sur 2 612 patients présentant une céphalée chronique avec abus de médicaments, la céphalée préexistante était, dans la majorité des cas, une migraine (65 %des cas), loin devant la céphalée de tension (27 %des cas) ou les autres types de céphalées (8 %).

Il semble ainsi que l’histoire naturelle d’une migraine épisodique, et à un moindre degré d’une céphalée de tension épisodique, puisse être modifiée par l’utilisation fréquente de médicaments au point de donner une céphalée quotidienne chronique.

Mathew a décrit la « transformation » chez certains patients d’une migraine épisodique, dans la majorité des cas sans aura, en une céphalée plus fréquente où les signes associés (nausées, phonophobie et photophobie) deviennent moins sévères, et qui finit par ressembler à une céphalée de tension chronique sur laquelle peuvent venir se greffer des crises de migraine.

Dans 70 % des cas, il existe un abus médicamenteux.

Si l’on hospitalise les patients, et on supprime l’abus de médicaments, dans 60 %des cas, la céphalée quotidienne disparaît.

Mais dans la transformation d’une céphalée épisodique en céphalée quotidienne chronique, l’abus médicamenteux n’est pas toujours retrouvé.

Certains patients peuvent continuer à souffrir de céphalées chroniques malgré l’arrêt de l’abus médicamenteux.

Ces faits impliquent l’intervention d’autres facteurs, au premier rang desquels se situent des facteurs psychopathologiques : dépression, mais aussi troubles de la personnalité (hypocondrie, anxiété).

4- Physiopathogénie :

L’utilisation chronique de médicaments met en jeu des mécanismes de tolérance, d’habituation et de dépendance.

La tolérance est la diminution de l’efficacité d’un médicament pour une même dose, conduisant à des posologies plus élevées pour obtenir le même degré d’efficacité.

L’habituation et la dépendance sont respectivement le besoin psychologique et physique d’utiliser le médicament de manière répétée.

Ainsi s’explique, de manière générale, la survenue d’abus médicamenteux.

En matière de céphalées, d’autres éléments interviennent : les médecins recommandent aux patients de prendre le médicament le plus tôt possible après l’installation de la céphalée.

Des céphalées, même légères sont ainsi traitées, le patient vivant dans la crainte de voir ses activités sociales et professionnelles altérées si la douleur devenait plus intense.

Certains utilisent même les traitements symptomatiques de manière préventive.

Mais la responsabilité directe de l’abus médicamenteux dans la chronicisation de la céphalée s’avère hypothétique, notamment en l’absence d’étude contre placebo.

Les mécanismes pharmacocinétiques et pharmacodynamiques demeurent obscurs. Un lien entre demi-vie du médicament et apparition de la céphalée n’a pas été précisément établi.

Un rebond de la céphalée (sevrage à court terme), quand le taux sanguin du médicament diminue, créant un cercle vicieux a été proposé sans preuve scientifique.

Sur le plan pharmacodynamique, une action discontinue au niveau des récepteurs pourrait contribuer à l’entretien de la céphalée : sensibilisation périphérique avec modification des terminaisons nerveuses ou sensibilisation des récepteurs centraux avec modification de la régulation de la nociception.

Une action centrale a été également discutée (action sur la noradrénaline, la sérotonine, les endorphines, action sur la nociception et l’humeur).

L’abus médicamenteux rendrait inefficace les traitements prophylactiques de la céphalée préexistante par un mécanisme inconnu.

L’ergotamine pourrait agir par un mécanisme vasculaire : vasoconstriction artérielle faisant cesser la céphalée, suivie d’une vasodilatation réactionnelle à l’origine de la céphalée.

5- Traitement des céphalées avec abus médicamenteux :

Si les buts de ce traitement sont bien établis : arrêt de l’abus médicamenteux, traitement des symptômes du sevrage et éventuellement mise en route d’un traitement prophylactique de la céphalée primitive, il n’y a, en revanche, pas de consensus sur les moyens de ce traitement.

Suivant les auteurs, le sevrage médicamenteux peut être brutal ou progressif, être réalisé lors de consultations ou en hospitalisation.

Il n’existe pas d’étude comparant entre elles ces différentes méthodes.

La prise en charge psychologique conditionne en grande partie le succès du sevrage.

Les recommandations thérapeutiques varient considérablement suivant les études.

L’amitriptyline est le médicament le plus largement utilisé, à des doses variables (10 à 50 mg/j).

D’autres traitements sont proposés, médicamenteux : cyproheptadine, valproate de sodium, ou non médicamenteux comme la stimulation électrique.

La céphalée liée au sevrage peut être traitée par naproxène ou aspirine par voie intraveineuse (IV).

La voie parentérale s’avère en effet préférable à la voie orale (PO) qu’utilisait le patient lors de l’abus médicamenteux.

Chez les migraineux, il est proposé de traiter la céphalée liée au sevrage par la dihydroergotamine par voie IV ou le sumatriptan par voie sous-cutanée (SC) si ces médicaments n’étaient pas utilisés auparavant de manière abusive.

Les nausées du syndrome de sevrage sont habituellement traitées par le métoclopramide par voie IV.

L’introduction concomitante d’un traitement prophylactique adapté à la céphalée préexistante sera discutée.

Le taux de succès du sevrage (absence totale de céphalées, ou amélioration de plus de 50 % du nombre de jours de céphalées), évalué au bout de 1 à 6 mois est supérieur à 70 % pour certains auteurs.

Le meilleur traitement est préventif, nécessitant une éducation attentive des patients visant à limiter l’usage de l’ergotamine (4 mg par crise, pas plus de deux fois/semaine, moins de 20 mg/mois) et des antalgiques.

L’utilisation de composés contenant de la caféine, des barbituriques, de la codéine ou des tranquillisants doit être restreinte.

L’utilisation d’un seul antalgique est préférable aux associations de plusieurs d’entre eux.

Enfin, la meilleure prévention reste la prise en charge optimale de la céphalée préexistante.

Troubles de la mémoire induits par les médicaments :

Parce qu’ils correspondent à des situations cliniques différentes et ne renvoient pas toujours aux mêmes mécanismes physiopathologiques, nous envisagerons successivement les troubles d’installation rapide ou brutale en rapport avec une prise médicamenteuse ponctuelle, et les symptomatologies plus chroniques en relation avec des traitements prolongés.

A – Syndromes amnésiques aigus :

En dehors des syndromes confusionnels qui caractérisent certaines encéphalopathies médicamenteuses, la prise, à posologie habituelle, voire unique, de certains médicaments peut entraîner des troubles isolés et généralement régressifs des fonctions supérieures et en particulier de la mémoire.

1- Dérivés halogénés de l’hydroxyquinoléine :

Utilisés comme antidiarrhéiques, tels que l’Intétrixt qui vient d’ailleurs de faire l’objet d’une restriction d’utilisation, ils ont été incriminés dans l’installation brutale, souvent au réveil, d’une amnésie globale transitoire associant oubli au fur à mesure et amnésie rétrograde, parfois accompagnée d’une désorientation et de troubles du comportement à type d’excitation ou d’apathie, d’une durée de 1 à 3 jours.

Le mécanisme neurotoxique s’exercerait au niveau hippocampique.

2- Anticholinergiques :

Ce sont de classiques pourvoyeurs de syndromes confusionnels, mais aussi de troubles mnésiques aigus et régressifs : la scopolamine entrave l’apprentissage et le codage de l’information dans la mémoire à long terme ; de même, le trihexyphénidyle (Artanet) affecte les acquisitions récentes, ce que démontre la pratique neurologique quotidienne, chez le parkinsonien âgé, par exemple ; un modèle expérimental utilisant la scopolamine chez l’animal ou chez l’homme est utilisé dans l’évaluation pharmacologique de diverses molécules supposées agir sur la mémoire ou pour expliquer a posteriori certains effets secondaires médicamenteux constatés cliniquement ; ces effets dysmnésiants des anticholinergiques confirment, en quelque sorte, le fait maintenant bien établi que l’acétylcholine est un neurotransmetteur essentiel aux processus de mémorisation comme en attestent aussi les troubles mnésiques des démences de type Alzheimer et leur réponse thérapeutique aux inhibiteurs de la cholinestérase.

3- Antidépresseurs tricycliques :

On en rapprochera, en raison de leurs effets atropiniques, les antidépresseurs tricycliques qui peuvent, bien que rarement il est vrai, entraîner des déficits mnésiques paroxystiques.

D’une façon générale, un « syndrome d’intoxication anticholinergique » commun aux antidépresseurs, aux antiparkinsoniens et à certains neuroleptiques, a pu être décrit, comportant diminution de la mémoire des faits récents et désorientation temporospatiale.

4- Antispasmodiques digestifs et urinaires :

Des effets secondaires analogues peuvent se rencontrer également avec les antispasmodiques digestifs et surtout urinaires (comme le Ditropant) ainsi qu’avec les antiarythmiques dérivés de la quinidine tels que le Rythmodant ou l’Isorythmt.

5- Benzodiazépines :

Mais ce sont surtout les benzodiazépines qui ont fait la preuve de leur action amnésiante, décrite dès 1957 par Randall comme une des propriétés du chlordiazépoxide (Libriumt), cliniquement confirmée et recherchée à des fins thérapeutiques en anesthésie : on a comparé en aveugle les effets du diazépam et du pentobarbital contre placebo, et montré que 52 %des patients ayant reçu le diazépam ne gardaient aucun souvenir de la journée de l’opération, alors qu’une telle amnésie n’était notée que chez 24 % des patients ayant reçu le barbiturique et 13 %des témoins.

L’effet amnésiant le plus marqué, en particulier sur la mémoire antérograde, est incontestablement le fait des benzodiazépines hypnogènes à demi-vie très courte et pic plasmatique très précoce comme le triazolam (Halciont).

Divers tableaux cliniques, parfois spectaculaires, ont ainsi été décrits après la prise, souvent unique, en règle à visée hypnotique, de ce médicament, notamment chez des consommateurs inhabituels de benzodiazépines et en association à l’alcool ou à d’autres médicaments inhibiteurs enzymatiques tels que les macrolides.

De même, en psychologie expérimentale, de nombreuses études sur des volontaires sains ont mis en évidence, après administration d’une dose unique de benzodiazépines, une amnésie antérograde (oubli à mesure) sans amnésie rétrograde associée puisque le souvenir des événements précédant la prise du médicament était conservé.

Le déficit mnésique, parfois massif, était toujours transitoire et disparaissait à mesure que le médicament était éliminé.

Il n’empêchait pas la poursuite d’une activité parfaitement coordonnée, du moins lorsque celle-ci ne requérait pas le souvenir des informations récemment acquises et quand la sédation n’était pas trop importante.

L’action amnésiante des benzodiazépines résulte d’un défaut d’acquisition des informations nouvelles alors que le stockage et le rappel des informations antérieurement acquises restent préservés, voire même facilités par l’absence d’interférence avec les informations présentées après la prise du médicament et de ce fait, non ou mal mémorisées (phénomène de facilitation rétrograde).

Le déficit mnésique semble cependant respecter la mémoire à court terme, notamment verbale, à un moindre degré visuospatiale.

Cependant, l’impact réel des benzodiazépines sur la mémoire de travail a été rarement évalué et demeure controversé.

En revanche, la mémoire à long terme est toujours compromise mais de façon non homogène : ainsi, en ce qui concerne la mémoire explicite, c’est la mémoire épisodique, souvenir des événements autobiographiques à forte charge affective, qui est touchée, alors que la mémoire sémantique, mémoire plus culturelle des connaissances générales, est préservée ; s’agissant de la mémoire implicite, les benzodiazépines peuvent certes ralentir les performances dans les épreuves de mémoire procédurale, mémoire du savoir-faire s’exprimant dans l’acquisition de tâches perceptivomotrices ou cognitives, mais préservent l’acquisition d’habiletés tandis que le phénomène d’amorçage, ou priming, serait altéré par certaines molécules comme le lorazépam (Témestat) mais respecté par d’autres telles que le diazépam (Valiumt) ou le triazolam (Halciont).

Au total, le profil de l’amnésie induite par les benzodiazépines, caractérisé par une atteinte de la mémoire explicite, une préservation de la mémoire implicite et de la mémoire sémantique, est superposable à celui du syndrome de Korsakoff dont il pourrait constituer un modèle pharmacologique.

Les benzodiazépines interviennent vraisemblablement sur la phase de consolidation de la trace mnésique, en partie sans doute par la réduction du sommeil paradoxal qui joue un grand rôle dans les processus de mémorisation.

Sur le plan neurochimique, elles interagissent avec le GABA (gamma-amino-butyrique), inhibiteur neuronal intervenant notamment au niveau du système limbique, et diminuent la libération d’acétylcholine, en particulier dans l’amygdale ; d’une façon générale, les benzodiazépines diminuent le taux de renouvellement des monoamines du système nerveux central, de façon transitoire pour les catécholamines au niveau du locus coeruleus, de façon durable pour la sérotonine dans le raphé dorsal. Enfin, cet effet amnésiant des benzodiazépines semble bien indépendant de leur effet sédatif.

Certes, les difficultés méthodologiques pour quantifier la sédation ou mesurer le niveau attentionnel n’en facilitent pas la démonstration, mais les arguments qui vont dans le sens d’un effet autonome et spécifique des benzodiazépines sur la mémoire sont nombreux : mise en évidence d’un effet amnésiant propre en comparaison à d’autres molécules également sédatives telles que les opioïdes, le pentobarbital ou les butyrophénones ; inégalité de l’impact mnésique de benzodiazépines chimiquement proches comme l’oxazépam (Sérestat) et son dérivé chloré, le lorazépam (Témestat), qui ont pourtant la même action sédative et altèrent de façon similaire les habiletés psychomotrices ; dissociation des effets sédatif et amnésiant selon la dose administrée ou en fonction du temps pour la même molécule ; disparition rapide de la sédation mais persistance ou disparition plus tardive du trouble mnésique après utilisation d’un antagoniste comme le flumazénil.

Si donc, d’un point de vue pharmacologique, la réalité de l’effet amnésiant des benzodiazépines ne fait aucun doute, la survenue, après la prise éventuellement unique ou à faible dose d’une de ces molécules, d’amnésies transitoires spectaculaires peut poser au clinicien des problèmes difficiles d’imputabilité du trouble mnésique au médicament.

Le diagnostic différentiel est essentiellement représenté par l’ictus amnésique, sachant que, dans ce dernier, il existe un débord rétrograde qui n’est pas habituel dans l’amnésie induite par les benzodiazépines et que, surtout, il existe dans le premier un certain degré de conscience du trouble mnésique, généralement absente de la seconde.

Cette conscience relative du trouble transparaît dans l’ictus amnésique sous la forme d’une perplexité anxieuse perceptible derrière les questions itératives et pressantes du patient à son entourage ; en revanche, tant les observations cliniques que les évaluations plus systématiques montrent que le déficit mnésique induit par les benzodiazépines est non ou mal perçu par le sujet luimême, peut-être du fait de l’action anxiolytique du médicament : de ce fait, il est vraisemblable que la fréquence de cet effet indésirable soit sous-estimée, seuls étant rapportés les cas où il se montre réellement invalidant.

Enfin, tandis que le patient atteint d’ictus amnésique reste classiquement eupraxique, la description, exceptionnelle il est vrai, de troubles du comportement sous benzodiazépines a fait couler beaucoup d’encre : le triazolam (Halciont), du moins à posologie relativement élevée (0,50 mg), a notamment été rendu responsable du « syndrome amnésie-automatisme » qui s’observe surtout chez des sujets qui ont été réveillés, ou ne se sont pas endormis, après la prise d’une benzodiazépine hypnotique (pas seulement le triazolam) : le sujet ne garde aucun souvenir des activités, parfois complexes, qu’il a effectuées dans les heures suivant la prise de l’hypnotique ; ce comportement peut être socialement adapté, le plus souvent, ou inadapté, des cas d’agressivité, de comportements dangereux voire délictueux ayant été rapportés.

Ce syndrome peut s’observer chez des sujets sans antécédent psychiatrique, non consommateurs habituels de benzodiazépines.

Il serait notamment lié à leur effet désinhibiteur qui, chez certains sujets, dépasserait son but : thérapeutique chez le névrotique anxieux inhibé, il pourrait entraîner des réactions paradoxales, soit parce que la posologie n’est pas adaptée, soit parce que les sujets sont particulièrement sensibles à cet effet.

Il existerait en quelque sorte un seuil dose-dépendant et/ou lié à une susceptibilité individuelle au-delà duquel l’effet désinhibiteur et la symptomatologie amnésie-automatisme risquent de se manifester ; en d’autres termes, la marge de sécurité vis-à-vis des effets amnésiants aigus des benzodiazépines est étroite et doit donc inciter à la prudence vis-à-vis notamment de nouvelles prescriptions.

B – Altération durable de la mémoire :

Comme précédemment, elle est surtout le fait des psychotropes et en particulier des benzodiazépines mais pose en outre le problème de la pathologie sous-jacente, d’un terrain fragilisant ou, plus physiologiquement, d’un cerveau « âgé ».

Chez les sujets souffrant de troubles psychopathologiques, il est particulièrement difficile de savoir si les effets latéraux du traitement résultent d’un état mental préexistant, des effets, sur cet état, du médicament ou d’une action directe de celui-ci sur le comportement cognitif.

Il en va de même chez les patients épileptiques et/ou cérébrolésés.

1- Difficultés de mémorisation :

Nous citerons rapidement celles décrites après la prise de doses élevées de pyridoxine (vitamine B6) qui seraient dues à l’augmentation de la production de GABA.

De même, certains antihypertenseurs comme les bêtabloqueurs du moins ceux, liposolubles, qui traversent la barrière hématoencéphalique, ou la méthyl-dopa (Aldomett), qui compromettrait la mémoire verbale, ont été incriminés.

L’isoniazide (Rimifont) pourrait également, après quelques semaines ou mois de traitement, engendrer un déficit mnésique, notamment antérograde.

2- Déficits chroniques de mémoire :

Ce sont encore et surtout les benzodiazépines dont l’utilisation au long cours a été accusée de produire des effets cognitifs délétères et, plus particulièrement, des déficits chroniques de mémoire.

La survenue relativement fréquente de ces derniers s’expliquerait notamment par le fait que le phénomène de tolérance induit par l’administration répétée de la même molécule, bien démontré et documenté pour les effets sédatif, hypnotique et antiépileptique des benzodiazépines, plus discuté pour leur effet anxiolytique, reste douteux pour leur effet amnésiant.

Certes, on n’a jamais mentionné de sévères épisodes amnésiques chez des sujets consommateurs chroniques de benzodiazépines et, chez ceux ayant présenté une amnésie transitoire après prise unique de triazolam (Halciont), le renouvellement de celle-ci n’a pas entraîné de récidive.

De même, les quelques études expérimentales disponibles dans la littérature font état de résultats contradictoires : pour certains, une tolérance après 3 semaines de diazépam (Valiumt) semble se dessiner vis-à-vis du trouble de la mémoire immédiate, alors que les performances aux épreuves de mémoire différée restent altérées ; pour d’autres, il n’existe pas de troubles de la mémoire chez des sujets anxieux prenant quotidiennement des benzodiazépines mais l’administration aiguë chez des consommateurs chroniques a pu entraîner une altération de la mémoire à long terme ; les études les plus récentes montrent des troubles persistants de la mémoire après plusieurs semaines de traitement par le lorazépam (Témestat) ou l’alprazolam (Xanax t).

Si donc une tolérance s’exerce vis-à-vis des troubles mnésiques, elle n’est que partielle, expliquant que ces derniers puissent se manifester chez des volontaires sains comme chez les patients traités au long cours.

Cependant, l’intensité et la durée du déficit dépendent de multiples facteurs liés au traitement (nature de la molécule, dose administrée, durée du traitement…) ou à l’individu (âge, charge anxieuse, susceptibilité individuelle).

De nombreuses études suggèrent notamment que la consommation régulière de benzodiazépines à demi-vie plasmatique longue est à l’origine d’une sédation et de troubles mentaux plus marqués que celle de benzodiazépines à demi-vie courte.

Cependant, tout autant que sa vitesse d’élimination, la durée d’action du médicament dépend de son niveau de distribution tissulaire : ainsi, le lorazépam (Témestat), dont la demi-vie est de 15 heures, engendre un effet amnésiant bien plus durable que le diazépam (Valiumt) de demi-vie pourtant plus longue 30 heures, du fait de la moindre liposolubilité du premier qui rend sa distribution tissulaire beaucoup plus lente.

Mais, plus que du médicament lui-même, c’est du sujet auquel il est administré que vont dépendre les effets cognitifs.

L’anxiété que combattent les benzodiazépines génère elle-même des « trous de mémoire » qui sont d’ailleurs un des critères diagnostiques de l’anxiété généralisée dans le DSM IV.

Ainsi, le trouble de la mémoire « induit » par les benzodiazépines sera fonction du niveau d’anxiété sous-jacent du sujet traité : on a pu montrer que le rappel d’objets était amélioré par 2 mg de cloxazolam dans des conditions « stressantes » alors qu’il était altéré dans des conditions peu stressantes, ou que 5 mg de diazépam amélioraient le rappel chez des volontaires très anxieux et avaient l’effet opposé chez des sujets peu anxieux.

L’âge semble être un facteur déterminant : les personnes âgées sont plus sensibles que les sujets jeunes aux effets comportementaux des benzodiazépines, pour des raisons qui demeurent obscures tant sur le plan pharmacocinétique (l’absorption et les taux plasmatiques du diazépam ne varient pas avec l’âge) que pharmacodynamique (les études chez le rat n’ont pas démontré de modifications du nombre ou de l’affinité des récepteurs spécifiques aux benzodiazépines).

Il n’en demeure pas moins qu’une dose aussi faible que 2,5 mg de diazépam altère la mémoire et les performances psychomotrices des sujets âgés mais pas des sujets jeunes, bien que, dans une autre étude, le décrément des performances mnésiques après administration de 0,2 mg/kg de diazépam ait été le même dans trois groupes de sujets d’âge différent.

Cela tendrait à prouver que, chez le sujet âgé, l’effet dysmnésiant des benzodiazépines n’est pas plus marqué que chez le sujet jeune mais est plus rapidement apparent et donc cliniquement détecté du fait de performances mnésiques moins bonnes au départ.

Outre le fonctionnement cognitif préexistant, la vulnérabilité du sujet âgé s’explique par la fréquence de la polypathologie et des associations médicamenteuses, en particulier avec la cimétidine et les autres inhibiteurs enzymatiques (macrolides, antifongiques) qui augmentent les effets des benzodiazépines transformées par oxydation en métabolites actifs (diazépam, chlordiazépoxide).

Elle est aussi liée au ralentissement de la motricité intestinale et à la baisse de l’albumine sérique, à la diminution de l’eau totale et de la masse maigre corporelles, alors que la masse graisseuse augmente (sauf chez le grand vieillard), et à la réduction des débits sanguins ; le volume de distribution des benzodiazépines, fortement liposolubles, augmente donc avec l’âge, tandis que leur élimination est retardée par altération de l’excrétion urinaire (par réduction du flux sanguin, diminution de la filtration glomérulaire et augmentation de la réabsorption tubulaire en dehors même de toute insuffisance rénale) et modification du métabolisme hépatique (du fait de la diminution du cytochrome P 450, du flux sanguin et de la masse hépatique, corrélés avec la baisse de la clairance hépatique) : ainsi, les benzodiazépines à demi-vie longue oxydées par le foie atteignent plus lentement l’état stable et, s’éliminant plus lentement (la demi-vie du diazépam passe de 20 heures à 20 ans à 90 heures à 80 ans), s’accumulent.

On comprendra d’autant plus l’importance de ces interactions avec le vieillissement que les benzodiazépines sont, après les diurétiques thiazidiques, les médicaments les plus prescrits chez le sujet âgé et le sont, dans la moitié des cas, de façon chronique.

Il existerait enfin une susceptibilité particulière de certains individus aux benzodiazépines et aux psychotropes en général, peut-être du fait de variations de leur métabolisme génétiquement déterminées : Trillet et Laurent citent le cas d’une patiente dont le père et la grand-mère paternelle avaient présenté une amnésie transitoire comparable à la sienne après la prise de 1/2 comprimé de triazolam.

3- Antidépresseurs :

Ils ont, dans leur ensemble, également été rendus responsables de troubles cognitifs et de la mémoire et ont fait l’objet, à ce sujet, de nombreuses publications.

L’apparente contradiction des données de la littérature tient à de multiples facteurs :

– hétérogénéité des populations étudiées qui concernent aussi bien des volontaires sains que des patients déprimés, des sujets suivis en ambulatoire qu’hospitalisés, des enfants « hyperactifs » que des sujets âgés avec des troubles du comportement ou encore des alcooliques ;

– diversité des molécules proposées, aussi différentes pharmacologiquement que les tricycliques, les inhibiteurs de la monoamine oxydase ou de la recapture de la sérotonine ;

– variabilité des posologies et de la durée de traitement, allant de la dose unique à plusieurs mois de traitement à pleine dose ;

– disparité des instruments de mesure, utilisés en outre à des moments très différents par rapport au début du traitement ou à la prise médicamenteuse ;

– enfin, fréquente sous-estimation des déficits cognitifs induits par la dépression elle-même et donc légitimement améliorés par le traitement.

En dépit cependant de ces réserves méthodologiques, il est clairement démontré que les antidépresseurs modifient les fonctions cognitives et notamment mnésiques, de manière à la fois indirecte et directe :

– par leur action sédative, particulièrement marquée avec certains produits comme l’amitriptyline (Laroxyl t) ou la miansérine (Athymilt), surtout lorsqu’ils sont administrés en aigu, les effets sédatifs s’estompant avec le temps lors de traitements prolongés, expliquant une apparente meilleure tolérance au long cours et chez le déprimé qu’après traitement de courte durée chez des volontaires sains ;

– par les effets antimuscariniques de molécules comme les tricycliques, et notamment les imipraminiques, qui influenceraient plus la mémoire secondaire, à long terme, que la fixation immédiate ; toutefois, les antidépresseurs les plus récents, généralement dépourvus d’effets anticholinergiques, et notamment les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine, du moins lorsqu’ils ne sont pas sédatifs, n’interféreraient pas avec les capacités mnésiques, si ce n’est pour améliorer celles-ci par leur effet antidépresseur.

On constate là aussi des particularités pharmacocinétiques liées à l’âge : l’augmentation du volume de distribution est discutée, le métabolisme hépatique est réduit, compromettant notamment les processus d’oxydation, de déméthylation et d’hydroxylation, ce qui diminue la clairance et donc accroît la concentration plasmatique en état stable de molécules comme l’amitryptiline, la désipramine ou l’imipramine.

En outre, le dysfonctionnement cholinergique, fréquent chez le sujet âgé, exacerbe les effets du blocage pharmacologique des récepteurs muscariniques centraux.

4- Neuroleptiques :

Ils ont fait l’objet de très peu d’études.

Les perturbations observées doivent vraisemblablement être surtout attribuées au ralentissement psychomoteur et à la sédation.

À côté de leur antagonisme principal aux récepteurs dopaminergiques, il existe une certaine action anticholinergique.

Comme pour les autres classes de psychotropes, la métabolisation hépatique est ralentie chez le sujet âgé.

5- Antiépileptiques :

Ils ont des effets variables ; la molécule la plus incriminée est la phénytoïne, accusée notamment de compromettre l’apprentissage verbal et exceptionnellement d’entraîner une encéphalopathie subaiguë ou chronique avec détérioration mentale progressive ; le valproate de sodium est rendu surtout responsable de troubles de la vigilance, mais des troubles mnésiques, voire un véritable état démentiel réversible à l’arrêt du traitement, ont été décrits, sans doute en rapport avec une encéphalopathie hyperammoniémique.

La carbamazépine est la moins en cause et pourrait même avoir un effet bénéfique sur la mémoire, démontré expérimentalement.

Les barbituriques sont connus pour leurs effets sédatifs chez l’adulte, l’enfant réagissant plus souvent par une alternance de périodes d’excitation et d’apathie.

Parmi les nouveaux antiépileptiques, la gabapentine (Neurotint) et la vigabatrine (Sabrilt) donnent volontiers une somnolence et le second peut être aussi à l’origine de confusions mentales et d’états d’agitation.

Chez l’enfant, tous les antiépileptiques ont pu être accusés de perturber l’apprentissage, par le biais notamment des troubles du caractère et du comportement qu’ils induisent, eux-mêmes favorisés par la polythérapie.

Certains auteurs ont trouvé des corrélations entre la concentration plasmatique et le fonctionnement cognitif alors que d’autres trouvent une concordance entre les aptitudes mnésiques et le taux d’acide folique intraérythrocytaire, réduit notamment par la phénytoïne.

Un facteur aggravant est représenté par les associations car les barbituriques, la carbamazépine, la phénytoïne et la vigabatrine sont inducteurs enzymatiques, y compris entre eux.

Par ailleurs, les barbituriques, liés à l’albumine plasmatique, peuvent être délogés par les salicylés, lesAINS, les sulfamides… et voient donc leurs effets accrus par eux, de même que par la diminution de l’albumine, fréquente chez le sujet âgé.

6- Sels de lithium :

Leurs effets, notamment sur la mémoire, sont controversés : pour certains, ils altéreraient le traitement de l’information, pour d’autres le rappel ; pour d’autres encore, ce serait le codage qui serait ralenti.

La clairance du lithium diminuant avec l’âge, l’augmentation de la demi-vie en sera aggravée, de même que par une insuffisance rénale, une déplétion de volume secondaire à une restriction sodique, à des sueurs profuses, à une diminution de la consommation en eau, à un traitement diurétique, par la méthyldopa ou l’indométacine.

Il ne faut pas perdre de vue non plus, chez les malades psychiatriques, les effets des associations psychotropes diverses et/ou de l’intrication éventuelle à l’effet amnésiant des sismothérapies.

Conclusion : une meilleure connaissance des troubles mnésiques d’origine médicamenteuse par le médecin prescripteur peut rendre leur détection plus aisée.

En outre, les amnésies induites par les médicaments constituent un modèle pharmacologique d’amnésie organique qui pourrait permettre une meilleure compréhension neurobiologique de la mémoire normale.

Cela est particulièrement vrai des benzodiazépines dont l’action amnésiante a permis de découvrir l’existence de récepteurs GABA-spécifiques, particulièrement abondants dans l’hippocampe et celle de leurs ligands naturels, les benzodiazépines endogènes.

On peut ainsi espérer la mise au point d’agonistes partiels, spécifiques de certains sous-types de récepteurs, ou d’agonistes inverses qui se fixent sur les mêmes récepteurs que les benzodiazépines mais auraient un effet opposé promnésiant.

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