Colique néphrétique et conduite à tenir en situation d’urgence

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Colique néphrétique et conduite à tenir en situation d’urgenceLa prévalence de la lithiase rénale est de 0,2 à 1 %.

Le risque pour un individu de développer une crise de colique néphrétique au cours de sa vie est estimé entre 1 et 10 %.

Orientation diagnostique :

A – Diagnostic clinique de la crise de colique néphrétique :

1- Éléments du diagnostic clinique :

La douleur se situe au niveau lombaire.

Elle est unilatérale, irradiant dans le flanc, la fosse iliaque, plus rarement l’aine ou le périnée (testicules, grandes lèvres).

Cette douleur est intense, profonde, paroxystique, décrite comme une brûlure ou un déchirement.

Il n’y a pas de position antalgique, et l’agitation est permanente.

Elle s’installe rapidement, parfois précédée de signes vésicaux (pollakiurie).

La durée de la crise est très variable, réalisant au maximum un état de mal néphrétique.

La crise se déclenche souvent dans les suites d’un voyage, ou d’un exercice physique.

Les crises douloureuses peuvent récidiver plusieurs jours de suite.

Les signes associés sont urinaires (hématurie macroscopique) et digestifs (vomissements, arrêt du transit).

Il n’y a pas de fièvre, la fosse lombaire est douloureuse à la palpation, l’abdomen est plus ou moins météorisé selon les troubles digestifs associés mais sans contracture.

L’examen des urines à la bandelette fait partie de l’examen clinique : il permet de détecter une infection urinaire par la recherche de nitrites et de leucocytes, ou une hématurie microscopique pratiquement constante.

Le malade a souvent déjà fait son diagnostic lorsqu’il a des antécédents de coliques néphrétiques.

On peut aussi retrouver à l’interrogatoire la notion de maladie lithiasique avec émission plus ou moins spontanée de calculs, ou des circonstances favorisant la survenue de calculs sporadiques : immobilisation prolongée, plus souvent insuffisance de boissons ou modifications alimentaires fréquemment invoquées au retour de vacances.

2- Examen clinique :

Il permet de dépister une complication imposant l’hospitalisation en urgence :

– complications infectieuses : fièvre, frissons, ou plus inquiétants hypothermie, livedo, choc septique ;

– anurie : à redouter si l’on a la notion d’un rein fonctionnellement unique du côté de la douleur.

De toute façon, la diurèse est surveillée pour réaliser les examens complémentaires et recueillir un éventuel calcul éliminé spontanément.

B – Examens complémentaires à réaliser de première intention :

Ces examens ont pour but :

– de confirmer l’existence d’un obstacle sur les voies urinaires ;

– d’évaluer les conséquences de cet obstacle sur la fonction rénale ;

– de s’assurer de l’absence de complications associées ;

– de définir les indications du traitement médical et (ou) chirurgical.

La réalisation des examens complémentaires ne doit pas retarder le traitement symptomatique.

Dans de nombreux cas, le traitement symptomatique permet de calmer la crise, voire d’éliminer le calcul, et ces examens peuvent être réalisés sous 24 à 48 heures.

1- Biologie :

La possibilité de faux négatifs sur l’examen à la bandelette, et la gravité potentielle d’une infection urinaire sur obstacle, imposent la réalisation systématique d’un examen cytobactériologique des urines (ECBU), indispensable avant tout geste endoscopique.

Il faut également rechercher une insuffisance rénale par le dosage de la créatinine, une hyperkaliémie en cas d’oligo-anurie et une hypercalcémie orientant le diagnostic étiologique.

Un bilan de coagulation succinct est nécessaire avant toute intervention sur les voies urinaires.

L’examen visuel et l’analyse chimique d’un calcul éliminé spontanément orientent les investigations métaboliques et le traitement préventif des récidives.

2- Imagerie :

  • L’échographie met en évidence une dilatation pyélocalicielle voire urétérale, et fréquemment la lithiase responsable sous la forme d’une image hyperéchogène avec cône d’ombre.

Il y a des faux positifs (dilatation ancienne des voies urinaires) et des faux négatifs (obstacle récent sans dilatation).

Certains calculs peuvent échapper à l’examen, et certaines images hyperéchogènes ne correspondent pas à des calculs obstructifs.

  • Le cliché de l’arbre urinaire sans préparation de face et de profil localise bien les calculs radio-opaques, urétéraux, les autres calculs asymptomatiques éventuellement associés dans les cavités rénales, les calcifications papillaires évocatrices de maladie de Cacchi et Ricci, ou une néphrocalcinose.

La visualisation d’images de calculs est souvent gênée par l’iléus réflexe associé.

  • Devant une colique néphrétique typique, il n’y a pas d’indication d’urographie intraveineuse en période douloureuse, car l’anomalie de sécrétion du contraste, secondaire à l’obstacle, ne permet d’obtenir que des images médiocres peu utiles à sa localisation.

En l’absence de fièvre, de syndrome atypique où elle est indispensable au diagnostic différentiel, l’urographie intraveineuse (UIV) est réalisée à distance de la crise.

  • La tomodensitométrie est parfois utile lorsque le diagnostic de colique néphrétique n’est pas certain.

C – Diagnostics différentiels à éliminer :

1- Autres causes de douleurs abdominales aiguës :

L’échographie peut montrer d’emblée la cause, mais l’urographie ou la tomodensitométrie peuvent être indispensables.

Il s’agit de douleurs d’origine :

– urinaire (infarctus rénal par embole ou dissection artérielle selon le contexte, hémorragie intrakystique dans la polykystose, hématome périrénal dans la sclérose tubéreuse de Bourneville, ou post-traumatique), prostatite ;

– digestive ou hépatique, splénique, pancréatique ;

– et surtout gynécologique ou vasculaire (anévrisme de l’aorte).

Dans le cas d’une pathologie vasculaire du rein, il est indispensable d’obtenir un avis spécialisé rapidement.

2- Lorsque l’obstacle urinaire est affirmé :

Le diagnostic différentiel de la lithiase est celui des autres obstacles urétéraux.

À l’exception des hématuries macroscopiques avec caillots ou d’une nécrose papillaire, ces obstacles donnent rarement lieu à des tableaux douloureux aussi aigus et typiques, se traduisant plutôt par des douleurs sourdes permanentes, associées à une dilatation des voies urinaires à l’échographie : hydronéphrose, fibrose rétropéritonéale et autres sténoses de l’uretère (tuberculose, bilharziose, tumeur urothéliale), tumeur pelvienne, métastases ganglionnaires.

D – Facteurs de gravité et formes particulières :

1- Colique néphrétique hyperalgique :

La douleur de la colique néphrétique n’est pas proportionnelle à la grosseur du calcul. Parmi les traitements proposés, les anti-inflammatoires non stéroïdiens sont les plus efficaces.

Dans certains cas il est très difficile de calmer les patients dont les douleurs sont intenses et exagérées par l’agitation et le stress associé, ou en cas de contre-indication à l’utilisation des antalgiques et anti-inflammatoires.

Il est alors licite d’envisager une intervention de drainage urinaire à but antalgique.

2- Colique néphrétique fébrile :

Une réaction fébrile discrète est possible au cours d’une colique néphrétique banale, en l’absence d’infection urinaire.

En contrepartie, l’existence d’arguments cliniques et biologiques évoquant une infection associée à une distension des cavités rénales doit faire mettre en oeuvre de façon urgente une intervention de drainage et une antibiothérapie.

3- Complications liées au terrain :

  • Grossesse : l’observation de calculs est particulièrement fréquente à ce moment-là. Dans une grande majorité des cas, l’atonie des uretères liée à l’imprégnation hormonale facilite l’élimination spontanée du calcul.

Chez la femme enceinte, les arguments cliniques et radiologiques faisant discuter un drainage sont les suivants : colique néphrétique hyperalgique ne cédant pas au traitement médical autorisé par l’état de grossesse ; colique néphrétique s’accompagnant d’un cortège infectieux ; colique néphrétique associée à la visualisation d’un calcul de grande taille.

Lorsqu’il existe un calcul caliciel de grande taille et que la voie excrétrice est libre, il faut bien évidemment ne proposer aucune autre attitude que la surveillance.

Lorsqu’il existe un très volumineux calcul pyélique avec rétention en amont, il est logique de proposer un drainage de la voie excrétrice en tenant compte de la durée restante de la grossesse.

Les calculs de l’uretère sont souvent plus difficiles à reconnaître car une radiographie simple de l’abdomen est rarement réalisée.

Si le calcul est positionné dans l’uretère pelvien juxtaméatique, il est logique d’attendre son expulsion spontanée, même s’il est très volumineux.

L’existence de calculs coralliformes dans le rein est un facteur de gravité car cette forme de calcul est souvent associée à des infections récurrentes à Proteus mirabillis.

La présence de ce germe en début de grossesse est très péjorative car il s’agit souvent d’un germe multirésistant aux antibiotiques, responsable d’infections graves de néphrite interstitielle récurrente.

Lorsque ce germe est présent en fin de grossesse, la réalisation d’un drainage peut permettre d’éviter les infections aiguës même si la stérilisation de l’urine n’est pas toujours obtenue.

  • Patient sous traitement anticoagulant : un traitement anticoagulant est un facteur aggravant pour une colique néphrétique par lithiase, puisqu’une hématurie importante peut la compliquer et compléter l’obstacle lithiasique par des caillots rendant plus difficile encore l’acte chirurgical de drainage voire contre-indiquant la mise en place d’une néphrostomie.
  • Patient en insuffisance rénale chronique : une colique néphrétique est parfois observée chez les patients en insuffisance rénale chronique.

Il est important alors de définir l’antériorité de l’insuffisance rénale.

La première question est d’ordre diagnostique : quelle est l’origine de l’insuffisance rénale ?

Certaines pathologies s’accompagnant d’insuffisance rénale sont connues pour donner des coliques néphrétiques soit par « caillotage » (hématurie observée dans une maladie de Berger ou dans une polykystose rénale), soit par obstacle lithiasique (néphrocalcinose, maladie de Cacchi et Ricci, néphropathie goutteuse), ou éventuellement par obstacle organique (nécrose papillaire chez un diabétique).

Dans ces cas, il faut bien sûr évoquer l’obstacle.

D’autres insuffisances rénales ne sont pas particulièrement connues pour provoquer des hématuries macroscopiques ou des calculs, comme la néphro-angiosclérose.

Dans ces derniers cas, il est important de penser à une embolie ou à une dissection de l’artère rénale.

La pratique d’un doppler des artères rénales, d’une angiographie conventionnelle ou d’une angio-imagerie par résonance magnétique au gadolinium peut être indiquée pour lever le doute devant un syndrome de colique néphrétique où aucun obstacle n’est mis en évidence.

La deuxième question est d’ordre évolutif : y a-t-il eu une aggravation de l’insuffisance rénale, en relation avec l’épisode de colique néphrétique ?

Dans ce cas, il est important d’entreprendre un traitement rapide de l’insuffisance rénale obstructive (désobstruction ou drainage, correction de l’insuffisance rénale fonctionnelle et des troubles ioniques) car l’évolution vers les complications aiguës de l’insuffisance rénale peut être très rapide chez les patients ayant une réserve fonctionnelle limitée.

  • Patient en anurie : l’anurie peut être due à une obstruction complète des deux uretères, ou bien d’un seul uretère sur un rein unique.

Elle aboutit à une insuffisance rénale aiguë avec toutes ses conséquences.

La colique néphrétique anurique par lithiase se voit le plus souvent chez les patients présentant une lithiase d’origine métabolique comme la lithiase urique, la lithiase de cystine ou l’oxalose.

Le diagnostic est facilité par l’existence d’épisodes similaires dans les antécédents.

La levée d’obstacle doit être rapide, et accompagnée de toutes les mesures d’hydratation nécessaires pour compenser l’hyperdiurèse de levée d’obstacle habituellement observée.

Cette levée d’obstacle doit s’accompagner également de mesures à visée étiologique comme l’alcalinisation générale ou in situ lorsqu’un cathéter de drainage est laissé en place.

  • Patient porteur d’une uropathie : la colique néphrétique par obstacle peut se voir chez le patient porteur d’une uropathie congénitale comme une maladie de jonction pyélo-urétérale.

L’hydronéphrose visible en échographie qui accompagne le calcul peut évoquer l’uropathie ancienne si elle apparaît très importante et si elle s’accompagne d’un amincissement du parenchyme rénal témoin d’une affection chronique.

Parfois, même après l’urographie intraveineuse, il est difficile de trancher entre hydronéphrose congénitale compliquée de lithiase ou hydronéphrose consécutive à un calcul enclavé dans la jonction pyélo-urétérale.

La colique néphrétique vue en urgence chez un patient ayant subi une intervention urologique récente pose également des problèmes de conduite à tenir.

La mise en tension brutale d’une voie excrétrice qui est en cours de cicatrisation peut aboutir à une extravasation urinaire qui peut entraîner une cicatrisation en rétraction du fait des phénomènes inflammatoires de résorption.

E – Examens de deuxième intention :

Ils ont pour but :

– de préciser la nature d’un obstacle non identifié par l’échographie ou le cliché sans préparation ;

– de rechercher une anomalie anatomique ou métabolique susceptible d’avoir favorisé l’apparition de la lithiase, afin de prévenir des récidives ;

– d’évaluer les séquelles fonctionnelles rénales de l’obstruction.

1- Imagerie :

  • L’urographie intraveineuse réalisée à distance de la crise douloureuse montre soit un obstacle persistant avec une image de stop du produit de contraste dans l’uretère, signant la présence d’un calcul radiotransparent, soit un passage urétéral normal marqué simplement par les signes d’oedème de l’uretère secondaire à la migration du calcul.

L’urographie intraveineuse peut également montrer des signes indirects de calcul enclavé dans le méat urétéral, sous la forme d’une lacune vésicale (oedème péri-urétéral).

  • La tomodensitométrie est utile au diagnostic des obstacles non lithiasiques et devant un doute diagnostique.
  • La pyélographie descendante est parfois indispensable pour identifier le niveau de l’obstacle, lorsque la sécrétion du contraste est insuffisante, a fortiori en cas d’obstacle sur rein unique, ou devant une infection avec dilatation des cavités.

Cet examen est alors le premier temps d’une néphrostomie percutanée ou de la montée d’une sonde urétérale.

  • La scintigraphie rénale permet d’évaluer les séquelles fonctionnelles, voire les cicatrices d’une infection du parenchyme. Elle est utile dans des cas particuliers, et doit alors être réalisée à distance de l’épisode aigu (1 à 3 mois).

2- Biologie :

  • Si le calcul est opaque, il faut rechercher à distance de la crise les causes de lithiase calcique (hypercalciurie idiopathique ou hyperparathyroïdie), de lithiase phospho- ammoniaco-magnésienne (infection à germes uréasiques) ou une cystinurie.

Si le calcul est transparent, il faut rechercher les causes de lithiase urique (hyperuricurie, acidité urinaire) ou médicamenteuse.

  • On demande selon les cas : des dosages sanguins de calcium, phosphore, acide urique, parathormone, et des dosages urinaires (sur 24 h) de calcium, phosphore, acide urique, ainsi que d’urée et de sodium pour évaluer les apports alimentaires, une mesure du pH urinaire, et un examen cytobactériologique des urines.

Conduite à tenir en situation d’urgence :

A – Calmer la douleur :

1- Diminuer la mise en tension des voies excrétrices :

La restriction hydrique permet de diminuer le débit urinaire.

L’emploi d’anti-inflammatoires non stéroïdiens, habituellement par voie intramusculaire ou intraveineuse, permet de réduire la pression pyélique et de diminuer l’oedème urétéral, en notant que les faibles dosages de ces anti-inflammatoires administrés par voie orale à visée antalgique pure n’ont ici pas d’indication.

Un antispasmodique par voie parentérale facilite la migration du calcul.

2- Antalgique « périphérique » de niveau I (paracétamol, noramidopyrine) :

Il devra souvent être associé à un antalgique « central » de niveau II de l’Organisation mondiale de la santé (dextropropoxyphène, codéine) ou à un antispasmodique, comme dans différentes spécialités par voie orale.

En cas d’intolérance digestive, seule la noramidopyrine éventuellement associée à un antispasmodique est utilisable par voie intramusculaire ou intraveineuse, avec le risque bien connu d’agranulocytose.

3- Si la douleur reste vive :

Il faut avoir recours aux antalgiques « centraux » de niveau III : opioïdes forts, « agonistes purs », type morphine ou dérivés, en évitant l’association d’un agoniste partiel type buprénorphine à la codéine qui en annule l’effet.

4- En l’absence d’amélioration symptomatique :

Dans ce cas et a fortiori en cas d’anurie, il faut drainer les urines, de préférence par voie haute (néphrostomie percutanée) afin de faciliter le désenclavement du calcul et sa remontée dans les cavités rénales où il peut être détruit par lithotritie.

B – Prévenir, dépister et traiter les complications :

Il faut éviter toute manoeuvre urologique sans avoir vérifié préalablement la stérilité des urines.

À l’échographie, il faut vérifier la présence d’un rein controlatéral, et surveiller la diurèse, la température et la pression artérielle.

Les urines doivent être rapidement drainées en cas d’anurie ou de syndrome infectieux.

L’infection de l’urine en amont d’un obstacle conduit rapidement à une pyonéphrose voire à un phlegmon périnéphrétique, et au choc septique.

La persistance de l’obstacle réduit considérablement l’efficacité du traitement antibiotique que guide initialement une attitude probabiliste (germes gram-négatifs).

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