Anesthésie locale et régionale en oto-rhino-laryngologie

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Introduction :

L’anesthésie locale est de longue date très largement utilisée en chirurgie oto-rhino-laryngologique (ORL) en raison de sa moindre toxicité, de sa simplicité, de sa bonne adaptation à une chirurgie pratiquée fréquemment en ambulatoire, de ses indications dans le cadre de l’urgence ou chez les patients présentant un état général précaire (insuffisance respiratoire, sujet âgé).

L’anesthésie locale et locorégionale permet de réaliser non seulement des gestes chirurgicaux, mais également une analgésie périopératoire.

Toutefois, elle demande les mêmes conditions de surveillance et les mêmes précautions qu’une anesthésie générale.

Anesthésie locale et régionale en oto-rhino-laryngologieCertaines contre-indications demeurent :

– l’enfant et le sujet pusillanime ;

– la chirurgie hémorragique et de longue durée (supérieure à 1 heure), du fait de l’inconfort ressenti par le patient ;

– la chirurgie très étendue, imposant l’utilisation d’une quantité trop importante d’anesthésiques locaux, supérieure aux seuils toxiques ;

– la chirurgie des tissus infectés dans lesquels les métabolites acides bloquent la fraction alcaline des anesthésiques locaux et les rendent inefficaces.

Le choix de l’anesthésie locale ou régionale se fait en fonction du type de geste à réaliser, de l’expérience de l’opérateur, du consentement et de la participation du patient.

Anesthésiques locaux :

A – MODE D’ACTION :

L’activité anesthésique locale abolit la transmission nerveuse en bloquant le canal sodique au niveau des membranes axonales, provoquant une réduction du potentiel d’action des fibres nerveuses (diminution de la taille et de la vitesse de dépolarisation, allongement de la période réfractaire).

La concentration bloquante minimale rendant la fibre nerveuse inexcitable est le reflet de la puissance de l’anesthésique.

La chronologie et l’intensité d’action d’un anesthésique local dépendent du diamètre et du degré de myélinisation de la fibre.

Tous les anesthésiques locaux ont une structure moléculaire et un mode d’action à peu près similaires.

Ils se différencient par leur puissance, leur délai et durée d’action, leur toxicité.

Les anesthésiques locaux comportent un pôle lipophile (noyau aromatique), un pôle hydrophile et une chaîne intermédiaire possédant, soit un groupement ester, soit un groupement amide.

La partie hydrophile comporte un groupement aminé.

Les produits actuels sont des amines tertiaires.

Ce sont des bases faibles qui, au pH de l’organisme, sont fortement ionisées et diffusent largement.

Les groupements « ester » sont instables, dégradés par les pseudocholinestérases.

Leur durée d’action est brève, ils sont réputés allergisants, mais peu toxiques.

Les groupements « amide » sont stables.

Ils sont métabolisés par le foie, non allergisants, mais peuvent induire des phénomènes toxiques cardiovasculaires et neurologiques.

Les propriétés physicochimiques des anesthésiques locaux dépendent de leur liposolubilité (facteur de puissance), de leur liaison aux protéines (facteur de durée d’action), et de leur propension à s’ioniser (plus le pKa augmente, plus la fraction libre diminue et le délai d’action augmente, la fraction libre traversant seule les membranes).

B – PRODUITS UTILISÉS :

1- Anesthésiques locaux administrés par voie injectable :

Différents anesthésiques locaux sont à notre disposition : ceux à liaison ester, et les plus nombreux à liaison amide.

Parmi les anesthésiques à liaison ester, on trouve la procaïne, à liaison amide, la lidocaïne, la bupivacaïne, la scandicaïne.

La mépivacaïne est un anesthésique local proche de la lidocaïne.

La ropivacaïne se rapproche plus de la bupivacaïne, avec cependant une toxicité cardiaque et neurologique moindre.

La durée et la qualité du bloc augmentent avec les concentrations.

En infiltration, 200 mg de ropivacaïne procurent une analgésie satisfaisante pendant 6 heures.

La réalisation d’un bloc de conduction sensitif est suffisant pour la chirurgie de la face.

Les anesthésiques locaux le plus couramment prescrits sont la lidocaïne et la bupivacaïne à des concentrations faibles, ne dépassant pas respectivement 1 % et 0,25 %.

2- Anesthésiques locaux utilisés en topiques :

Ils s’agit de la cocaïne, de la lidocaïne, de la pommade Emlat, et dans une moindre mesure la tétracaïne en association avec d’autres anesthésiques.

* Cocaïne :

Elle est extraite de la feuille de coca.

Elle a une action anesthésique puissante dont la durée est de 30 à 45 minutes.

Elle est préparée en solution de 4 et 10 %, seule ou associée au phénol et menthol sous forme de liquide de Bonain.

La posologie à ne pas dépasser est de 3 mg·kg-1, ce qui correspond à 200 ou 300 mg chez l’adulte.

Elle est très largement utilisée au niveau des muqueuses en raison de ses propriétés anesthésiantes et vasoconstrictives, et en particulier au niveau de la muqueuse nasale où son effet vasoconstricteur est secondaire au blocage du recaptage de la noradrénaline au niveau de la synapse sympathique.

L’absorption de la cocaïne au niveau de la muqueuse nasale est importante, sans doute du fait de sa grande liposolubilité.

Cependant, si la cocaïne est appliquée sur des tampons, seulement une petite quantité est réellement absorbée.

Il faut alors utiliser de fortes concentrations.

La dose maximale autorisée est de 5 mL de cocaïne à 4 % et 2 mL à 10 %.

* Lidocaïne :

Utilisée en topique, elle est présentée sous forme de Xylocaïnet 1 %, de Xylocaïnet 2 %, de Xylocaïnet 5 % avec ou sans naphazoline, de Xylocaïnet visqueuse 2 %.

La Xylocaïnet mise en contact avec les voies aériennes supérieures et digestives est, soit déglutie et inactivée au niveau digestif, soit résorbée par les muqueuses.

Cette fraction correspond à des concentrations sanguines faibles de l’ordre de 1 µg·mL-1.

Elle est métabolisée par le cytochrome P 450 et éliminée par voie urinaire.

Les posologies autorisées pour l’anesthésie cutanée et des muqueuses ORL, ou lors des bronchoscopies ou laryngoscopies, sont de 4 mL pour la lidocaïne à 5 %, qu’il s’agisse de lidocaïne à 5 % à la naphazoline, en pulvérisation, instillation ou tamponnement.

En nébulisation, la posologie est, chez l’adulte, de 90 à 225 mg, soit 10 à 25 pulvérisations, chez l’enfant après 6 ans, de 2 à 4 mg·kg-1 et chez l’enfant de moins de 6 ans, de 1 à 2 mg·kg-1 (une pulvérisation = 9 mg de lidocaïne).

La lidocaïne visqueuse à 2 % est préférée pour les anesthésies gingivales, oropharyngées, et les syndromes hyperalgiques oesophagogastriques.

La posologie est de 1 cuillère à café ou de 1 cuillère à soupe trois fois par jour ; chez l’enfant, la dose est de 2 mg·kg-1 ; les indications sont les radiomucites, les stomatodynies, les oesophagodynies…

Comme autre topique utilisé en ORL, citons la pramocaïne ou Tronothanet, gel hydrosoluble à 4 %.

* Crème Emlat :

Cette crème analgésique est une émulsion basique concentrée à 5 % d’un mélange huileux de deux anesthésiques locaux en proportion égale : prilocaïne et lidocaïne (lidocaïne : 125 mg ; prilocaïne : 125 mg).

Ce mélange eutectique franchit la barrière cutanée et donne une anesthésie in situ par action directe sur les fibres nerveuses.

Sur peau saine, l’absorption est faible et retardée.

Les taux systémiques sont bas (60 g pendant 3 heures donnent 120 ng·mL-1 de lidocaïne et 67 ng·mL-1 de prilocaïne).

La prilocaïne se dégrade en orthotoluidine qui peut induire en théorie, à forte dose, une méthémoglobinémie.

Par voie muqueuse, 10 g donnent une concentration plasmatique de 180 ng·mL-1 de lidocaïne et 150 ng·mL-1 de prilocaïne.

De nombreuses études démontrent que l’on bénéficie d’une importante marge de sécurité lorsqu’on réalise une application cutanée de crème Emlat.

Les concentrations plasmatiques d’anesthésiques locaux sont obtenues 120 à 180 minutes après cette application.

Deux groupes d’enfants âgés respectivement de 2 à 3 ans et de 6 à 8 ans ont reçu des applications multiples de crème Emlat pendant 120 minutes pour ablation de molluscum contagiosum.

La dose de pommade utilisée a varié de 0,30 à 0,60 mg·kg–1, ce qui correspond à des doses de lidocaïne et de prilocaïne de 7,6 à 20 mg·kg–1.

Les pics plasmatiques maximaux ont été de 315 ng·mL–1 pour la lidocaïne et de 315 ng·mL-1 pour la prilocaïne.

Ces taux sont très inférieurs à ceux retrouvés après une anesthésie caudale, ou après un bloc pénien.

Actuellement, en France, l’utilisation de crème analgésique est autorisée à partir de l’âge de 1 mois.

Le respect des doses prévient tout danger de méthémoglobinémie, rapportée chez le nourrisson de moins de 3 mois.

Cette crème est contre-indiquée toutefois chez le patient traité par des médicaments méthémoglobinisants comme les sulfamides.

Des accidents ont été décrits à type d’allergies cutanées, érythèmes, de brûlures locales avec prurit (rares), de méthémoglobinémie (qui peut être corrigée avec 1 à 2mg·kg-1 de bleu de méthylène), d’accidents convulsifs chez le petit enfant.

Ces accidents de surdosage sont rares et surtout liés à l’utilisation sur des peaux pathologiques où le taux d’absorption n’est plus contrôlable.

* Autres anesthésiques cutanés utilisés en topique :

Plusieurs autres mélanges ont été proposés, le « tétracaïne 0,5 %, adrénaline 1/2 000, cocaïne 11,8 % » (TAC) introduit en 1980 par Pryor, et le « lidocaïne 4 %, adrénaline 1/2 000, cocaïne 11,8 % » (LAT), tous deux utilisés dans la réparation des plaies cutanées, sans différence d’efficacité.

Il convient de respecter les posologies car il existe un risque toxique potentiel, en particulier neurologique (convulsions, excitation).

3- Vasoconstricteurs :

Ils ont pour but de réduire la résorption sanguine et d’augmenter la fixation neuronale.

Ils augmentent ainsi la durée du bloc anesthésique et réduisent la toxicité des anesthésiques locaux.

Le produit le plus largement utilisé est l’adrénaline.

C’est le plus efficace et le moins nocif.

La concentration optimale est de 1/200 000.

Elle est le plus souvent mélangée aux anesthésiques locaux à des concentrations variables (lidocaïne 2 % au 1/80 000, lidocaïne 1 % au 1/100 000, bupivacaïne au 1/200 000).

La dose à ne pas dépasser est de 0,25 mg chez l’adulte, ce qui correspond à 50 mL au 1/200 000, ou 25 mL au 1/100 000, ou 20 mL au 1/80 000.

Cependant, son injection doit être prudente à proximité des artères terminales ou dans les blocs périorbitaires où il existe un risque de spasme artériel et d’ischémie (artère centrale de la rétine), en particulier chez l’enfant.

Les autres vasoconstricteurs utilisés sont la noradrénaline, surtout à usage dentaire, l’ornipressine, le corbasyl, la néosynéphrine. Les mélanges d’anesthésiques locaux utilisés sous forme topique sont souvent associés à des vasoconstricteurs comme la naphazoline, ou l’oxymétazoline.

C – TOXICITÉ :

La toxicité des anesthésiques locaux injectés au niveau des sites d’action est différente de celle des produits injectés par voie systémique, car seule la concentration plasmatique après absorption est responsable de toxicité ; d’où la relative sécurité des anesthésiques locaux injectés correctement et à bonne dose, le danger venant alors essentiellement de l’effraction vasculaire et des surdosages accidentels.

En raison de la haute densité capillaire et de la rapidité d’absorption, l’injection des anesthésiques locaux au niveau des muqueuses peut toutefois générer des taux plasmatiques comparables à ceux d’une injection intraveineuse.

La toxicité systémique des anesthésiques locaux est liée à leur action au niveau des canaux sodiques et concerne donc les organes riches en membranes excitables comme le myocarde et le cerveau.

La toxicité dépend de la dose injectée, de l’effraction vasculaire éventuelle, de l’agent utilisé (procaïne < lidocaïne < ropivacaïne < bupivacaïne), de la vitesse d’injection et de l’utilisation éventuelle de vasoconstricteurs.

Les signes de toxicité intéressent dans un premier temps la sphère cérébrale puis le système cardiovasculaire (excepté pour la bupivacaïne où les signes de toxicité cardiaque et cérébrale sont contemporains).

Les signes annonciateurs, comme l’engourdissement ou les paresthésies des lèvres, les sensations de vertige, les bourdonnements d’oreilles, les troubles visuels, la désorientation temporospatiale, la somnolence, les secousses musculaires, précèdent la crise convulsive généralisée.

La toxicité neurologique est de loin la plus fréquente.

Les signes avant-coureurs permettent de faire très vite le diagnostic et de traiter.

La toxicité cardiaque est liée au ralentissement de la conduction et à une dépression myocardique (allongement de l’intervalle PR, élargissent du QRS, bradycardie) et à une vasodilatation périphérique.

Elle apparaît à des doses élevées, souvent supérieures à deux fois la dose convulsivante.

Elle provoque une hypotension, une bradycardie et au maximum un arrêt cardiaque.

La toxicité concerne par ordre décroissant l’étidocaïne, la bupivacaïne, la ropivacaïne, la lidocaïne et la mépivacaïne. Aux doses toxiques se produisent des troubles du rythme ventriculaire (tachycardie ou fibrillation) et des troubles de conduction (bloc auriculoventriculaire, torsades de pointes).

La ropivacaïne, isomère lévogyre pur, est plus efficace en termes de bloc nerveux, tout en étant moins toxique. Plusieurs accidents toxiques ont été décrits avec la cocaïne.

Les effets secondaires intéressent le système nerveux central à type d’excitation, de logorrhée, suivies de dépression pouvant aller jusqu’au coma. L’euphorie est souvent le premier signe de toxicité ; elle apparaît rapidement en 2 à 5 minutes.

Les effets cardiovasculaires de la cocaïne reproduisent ceux des amphétamines.

La stimulation sympathique engendre une tachycardie, une augmentation de la contractilité du myocarde, une vasoconstriction, une bronchodilatation, une dilatation des pupilles, une augmentation de la tonicité musculaire, une hyperthermie centrale.

En fait, les accidents sévères, suivis de décès, relèvent essentiellement de la prise abusive de cocaïne.

La prévention des effets toxiques impose :

– de respecter la dose conseillée ;

– de vérifier en permanence et avant toute injection l’absence d’effraction vasculaire.

Au niveau de la face, la densité vasculaire et l’absorption muqueuse importantes peuvent induire une résorption massive, d’où un risque d’accident plus important ;

– d’utiliser des vasoconstricteurs en association pour les raisons évoquées.

La tachycardie induite par le passage dans le territoire vasculaire permet de faire le diagnostic d’effraction accidentelle, d’où l’importance de réaliser une injection lente en gardant le contact verbal avec le patient et en surveillant son comportement.

Le traitement curatif des effets toxiques doit être précoce.

Il comporte :

– l’administration d’oxygène ;

– le traitement des convulsions ;

– le contrôle hémodynamique : remplissage vasculaire, administration de vasopresseurs (épinéphrine, adrénaline…) ;

– la réanimation cardiorespiratoire : oxygénation, ventilation, massage cardiaque externe, adrénaline, choc électrique…

L’hypersensibilité aux anesthésiques locaux est rare, exceptionnelle avec les amides (moins de dix cas documentés) ; des accidents ont été décrits avec les esters (allergie au noyau para-aminobenzoïque).

Le diagnostic est souvent porté par excès.

Il s’agit le plus souvent de malaises, de type vagal ou liés à un passage massif d’adrénaline, et d’accidents secondaires au surdosage.

Il convient donc d’être prudent lors de l’utilisation de solutions adrénalinées chez les patients coronariens.

Les phénomènes allergiques (respiratoires ou choc anaphylactique) sont surtout le fait des conservateurs associés : métabisulfites et parabens.

Ces produits doivent être exclus des différentes préparations chez le patient allergique (asthme, polypose nasale de Vidal) ; l’adrénaline pure est alors associée de manière extemporanée.

Modes de réalisation de l’anesthésie locale :

A – ANESTHÉSIE DE CONTACT :

1- Anesthésie transcutanée :

Elle est obtenue en appliquant sur la peau une solution d’anesthésiques locaux.

La crème analgésique Emlat représente actuellement le produit de choix mais son action analgésique ne dépasse pas 5 mm de profondeur.

Elle doit être appliquée au niveau de la zone intéressée et laissée en couche épaisse sous un pansement occlusif. Un temps d’application suffisant (1 à 2 heures) est un élément essentiel du succès de l’analgésie.

La vitesse de pénétration dépend de l’épaisseur de la peau ; elle est donc plus rapide au niveau de la face où la peau est fine (dès 30 minutes sur le front et les joues).

Cette crème est bien tolérée. Les manifestations cutanées observées, pâleur après 30 minutes d’application et rougeur après 2 heures, ne sont que le corollaire de son action locale.

L’utilisation de ce produit sur les muqueuses n’est pas autorisée en France.

2- Anesthésie muqueuse :

L’anesthésie de contact peut être réalisée par dispersion d’une solution de lidocaïne sur les muqueuses nasale, buccale, laryngée et trachéale.

Elle permet la réalisation de petits gestes sur les muqueuses oropharyngée et nasosinusienne ; elle facilite l’intubation et la mise en place du laryngoscope, le passage du bronchoscope ou de l’oesophagoscope lors des explorations endoscopiques.

L’absorption des anesthésiques locaux par ces muqueuses est immédiate et massive, entraînant un taux sérique d’emblée important.

La lidocaïne à 5 % est la plus largement utilisée, associée ou non à un vasoconstricteur (naphazoline).

La cocaïne est plus largement utilisée au niveau nasal.

Si une anesthésie locorégionale est associée, le calcul de la dose totale d’anesthésique local doit tenir compte de toutes les quantités utilisées.

L’anesthésie des muqueuses laryngées est responsable d’une anesthésie des cordes vocales et de troubles de la déglutition dont il faut tenir compte après l’extubation.

Enfin, l’anesthésie de contact ne doit pas être effectuée sur des muqueuses inflammatoires et infectées, le taux d’absorption s’en trouvant modifié.

Ces anesthésies de contact sont également très utilisées dans le traitement de la douleur (brûlures des radiomucites ou postchimiothérapiques, stomatodynie…).

Elles peuvent exposer à un accident de surdosage, surtout si l’anesthésie est réalisée sur des muqueuses inflammatoires et infectées.

Elles sont également utilisées dans le traitement de la douleur (attouchement du ganglion parasympathique sphénopalatin dans les algies vasculaires de la face et les céphalées nasales).

B – ANESTHÉSIE PAR INFILTRATION :

L’anesthésie locale par infiltration consiste à injecter un anesthésique local directement au niveau des tissus concernés en réalisant un bloc de champ opératoire.

L’infiltration doit s’accompagner de tests d’aspiration lors des différentes modifications de position de l’aiguille ; l’injection doit être lente afin d’éviter une distension douloureuse et traumatisante des tissus.

L’anesthésie par infiltration a le mérite de la simplicité mais nécessite une quantité importante d’anesthésiques locaux si la zone opératoire est large avec un risque de toxicité non négligeable et souvent sous-évalué.

Elle peut aider à diminuer le saignement si le produit injecté est adrénaliné.

Elle réclame des ponctions multiples, douloureuses, qui déforment les berges des tissus, rendant dans certains cas la réparation difficile, avec un résultat esthétique aléatoire.

C – ANESTHÉSIE TRONCULAIRE ET LOCORÉGIONALE :

L’anesthésie tronculaire bloque la transmission nerveuse en aval de la zone à traiter et permet ainsi une anesthésie à distance du point d’injection dans tout le territoire d’innervation.

Elle est de réalisation plus difficile et demande une bonne connaissance anatomique.

La quantité d’anesthésique local nécessaire est beaucoup plus réduite.

Elle ne déforme pas les structures anatomiques et ne dilacère pas les tissus puisque l’injection est le plus souvent réalisée à distance du champ opératoire, ce qui est un avantage dans les plaies souillées et les lésions dermiques infectées.

La réalisation de l’anesthésie tronculaire est précédée d’une recherche de la sensibilité dans le territoire concerné afin de diagnostiquer d’éventuels déficits nerveux liés au traumatisme initial et qui pourraient être imputés à tort aux effets de l’anesthésie locale.

Le choix entre l’anesthésie par infiltration et l’anesthésie tronculaire est fonction de l’importance de la zone opérée, de la chirurgie et de l’expérience de l’opérateur.

Environnement de l’anesthésie locale :

A – CONSULTATION PRÉANESTHÉSIQUE :

Elle est obligatoire, en dehors des anesthésies locales strictes, et réalisée plusieurs jours avant l’acte chirurgical, excepté dans le cadre de l’urgence.

Elle comporte un examen clinique, un entretien avec le patient qui reçoit toutes les informations concernant l’anesthésie (recommandations pour la préanesthésie, formulaire lu et remis au patient, traitements à arrêter ou à poursuivre, conditions de retour au domicile si la chirurgie est pratiquée en ambulatoire), une préparation psychologique à l’anesthésie.

L’examen clinique comporte un interrogatoire évaluant les fonctions cognitives du patient et/ou de son entourage (surtout si l’acte opératoire est réalisé en ambulatoire), les traitements et antécédents du patient (remplacé éventuellement par un questionnaire remis au patient).

Les examens biologiques ne sont pas obligatoires et prescrits en fonction de l’état clinique du patient et de la chirurgie.

B – PRÉMÉDICATION :

Elle a pour but de calmer le patient et d’éviter la survenue de réflexes vagaux induits par le stress, la douleur, ou les anesthésiques locaux.

Le choix du produit dépend du niveau de sédation désiré, du type de chirurgie, de l’état clinique du patient.

Les benzodiazépines restent encore très utilisées pour leur activité anxiolytique.

Le midazolam (Hypnovelt), de demi-vie courte, est très adapté à la chirurgie ambulatoire.

Chez l’adulte, les posologies moyennes sont de 0,15 à 0,2 mg·kg-1 ; la voie orale n’est pas disponible en France ; des injections de petites doses de midazolam peuvent être utilisées juste avant le geste opératoire.

Chez l’enfant, la voie rectale est le plus couramment utilisée à la posologie de 0,3 mg·kg-1, le pic plasmatique étant atteint en 15 minutes environ.

L’hydroxyzine est également proposé dans le cadre de la chirurgie ambulatoire pour ses actions tranquillisante, antiémétique et antihistaminique.

Sa durée d’action est courte et sa demi-vie d’élimination de 2 heures.

Un agent vagolytique comme l’atropine peut y être associé.

C – SURVEILLANCE PERANESTHÉSIQUE :

Elle est identique à celle d’une anesthésie générale et comporte :

– un enregistrement électrocardioscopique à la recherche de troubles du rythme éventuels (tachycardie des injections vasculaires accidentelles, bradycardie des blocs sympathiques ou d’accès vagal) ;

– un monitorage de la pression artérielle ;

– une surveillance clinique de la ventilation et à l’aide d’un oxymètre de pouls ;

– une surveillance des modifications du comportement du patient.

D – SÉDATION :

Le but est de relaxer le patient sans entraîner de narcose importante pouvant gêner la ventilation ou modifier les réflexes pharyngolaryngés de déglutition.

Il convient de maintenir une ventilation correcte, pour ne pas induire de dépression respiratoire grave, responsable d’une hypercapnie et d’une augmentation du saignement, pour conserver une réflectivité laryngée normale afin que le patient puisse déglutir les hypersécrétions salivaires ou le saignement s’il existe.

Ces conditions minimales respectées garantissent une sédation en toute sécurité.

Le contact verbal avec le patient doit être de préférence conservé pendant l’injection des anesthésiques, permettant ainsi de détecter toute anomalie (malaise vagal, troubles hémodynamiques, complications neurologiques).

Les produits utilisés actuellement sont variés.

Les benzodiazépines ont toujours une place de choix, mais les narcotiques purs comme le propofol peuvent être administrés au pousse-seringue de manière continue et la dose adaptée au niveau de vigilance du patient.

Les techniques d’anesthésie intraveineuse assistée par ordinateur, et sous contrôle électroencéphalographique, cérébrale devraient permettre d’ajuster au mieux la sédation du patient en fonction des différents temps de la chirurgie.

E – ANESTHÉSIE GÉNÉRALE :

Elle peut être associée à l’anesthésie locorégionale dans certaines conditions.

Elle a pour but la perte de conscience du patient et son immobilité.

L’anesthésie locorégionale offre une bonne analgésie peropératoire et permet d’obtenir un réveil rapide et calme sans le risque de dépression respiratoire encouru après l’injection de morphiniques.

Les blocs analgésiques sont réalisés le plus souvent avant l’induction anesthésique, de manière à pouvoir détecter les éventuels incidents et les traiter précocement.

Chez l’enfant, l’anesthésie locale est toujours réalisée après l’induction.

F – MATÉRIEL D’ANESTHÉSIE LOCALE :

Le plateau d’anesthésie locale comporte des aiguilles à biseau court, des seringues, des cathéters et du matériel de détection des troncs nerveux.

Anesthésie locale et cophochirurgie :

A – RAPPEL ANATOMIQUE :

L’innervation sensitive de l’oreille, sujette à certaines variations, est sous la dépendance de plusieurs branches nerveuses :

– le plexus cervical superficiel (C2-C3), par ses rameaux auriculaires, innerve la partie postéro-inférieure du pavillon du conduit auditif externe (CAE) et du lobule ;

– le nerf auriculotemporal, branche du nerf mandibulaire (V3), innerve la partie antérolatérale du pavillon et une partie du CAE (le rameau nerveux passe en avant du conduit entre cartilage et os) ;

– la branche auriculaire du pneumogastrique innerve la partie profonde postéro-inférieure du conduit et la partie inférieure du tympan ;

– l’intermédiaire de Wrisberg (VII bis) assure l’innervation sensitive de la conque et de la partie externe du CAE (zone de Ramsay-Hunt) ;

– la caisse du tympan reçoit, quant à elle, son innervation sensitive du nerf de Jacobson ou nerf tympanique, branche du glossopharyngien.

Cette innervation complexe rend difficile la réalisation d’une anesthésie tronculaire.

On a donc le plus souvent recours à une anesthésie distale par infiltration, associée à une anesthésie de surface, anesthésie dont les modalités dépendent de la technique chirurgicale utilisée.

B – TECHNIQUES D’ANESTHÉSIE LOCALE :

1- Anesthésie locale par contact :

De nombreuses techniques ont été proposées pour anesthésier le CAE et la membrane tympanique : iontophorèse, réfrigération, application locale de cocaïne ou de lidocaïne à 5 %.

L’application locale de coton imprégné de lidocaïne à 5 % au contact de la membrane tympanique donne une très bonne anesthésie à la condition de le laisser en place au moins 20 minutes.

La cocaïne est également très intéressante, mais on a pu reprocher au liquide de Bonain une certaine agressivité pour la membrane tympanique (à mettre sur le compte, il est vrai, du produit de conservation).

La pommade Emlat donne une bonne anesthésie à la condition d’être laissée en place suffisamment longtemps.

Elle comporte comme inconvénient d’entraîner une importante hyperhémie favorisant le saignement local.

2- Anesthésie locale par infiltration :

C’est la technique d’anesthésie locale la plus utilisée en cophochirurgie.

* Infiltration dans le conduit auditif externe :

L’injection de 2 à 3mL de lidocaïne à 2 % adrénalinée à la partie postérieure du CAE, à la limite de la zone pilosébacée, permet d’effectuer pratiquement tous les gestes de cophochirurgie réalisés par la voie du conduit.

On parfait souvent cette anesthésie en injectant 1 mL de produit à la partie antérieure du CAE.

Cette injection ne doit pas être trop externe pour ne pas diffuser dans la loge parotidienne.

Si l’on effectue une incision de décharge intertragohélicéenne, par exemple, on injecte 1 mL d’anesthésique à ce niveau.

De plus, l’infiltration de la partie inférieure de la conque permet la mise en place indolore d’écarteurs autostatiques.

Si on prélève une greffe tragopérichondrale, l’infiltration de 0,50 mL de produit au niveau du tragus suffit.

* Anesthésie lors d’un abord rétroauriculaire :

Elle ne présente pas d’originalité particulière.

On injecte en trois ou quatre points 1 à 2mL de lidocaïne à 2 % dans toute la zone sus-et rétroauriculaire, en complément de l’anesthésie du conduit auditif externe.

L’injection ne doit pas être trop basse et trop antérieure (souslobulaire) afin d’éviter de provoquer une anesthésie du VII (il est vrai transitoire).

L’infiltration effectuée, on doit attendre 10 minutes avant de commencer l’intervention.

C – INDICATIONS CHIRURGICALES :

La presque totalité de la cophochirurgie peut être effectuée sous anesthésie locale sous réserve des contre-indications habituelles.

Seuls les gestes comportant un fraisage osseux prolongé (malformation congénitale, cholestéatome) en raison du bruit et de la vibration engendrés sont en fait de réalisation délicate sous anesthésie locale.

1- Aspiration de l’oreille, nettoyage du conduit, paracentèse, pose d’aérateurs transtympaniques :

Ces gestes sont réalisables en ambulatoire chez le sujet un peu coopérant après simple anesthésie locale de contact, à la condition de savoir attendre l’effet de l’anesthésie.

Si l’on craint que le geste soit un peu long et douloureux, on peut être amené à réaliser une infiltration du conduit à l’aide de 1 ou 2 mL de lidocaïne à 1 ou 2% adrénalinée.

Cette méthode, très efficace, est toutefois plus douloureuse et expose à des réactions vagales. De plus, le produit anesthésique peut diffuser et donner une réaction vertigineuse intense et prolongée pouvant survenir après l’intervention.

2- Cophochirurgie par voie du conduit et par voie endaurale :

L’infiltration du CAE permet d’effectuer, sous anesthésie locale, presque tous les gestes réalisables par la voie du conduit, si l’on excepte la chirurgie des malformations congénitales.

Si le conduit est étroit, on élargit la voie d’abord grâce à une incision de décharge de type Shambaugh, après infiltration intertragohélicéenne.

Tous les patients ainsi opérés bénéficient d’une prémédication et le plus souvent d’une diazanalgésie.

3- Cophochirurgie par voie rétroauriculaire :

L’infiltration combinée de la zone péri-et rétroauriculaire et du CAE permet la pratique de la presque totalité de la chirurgie de l’oreille réalisée par voie rétroauriculaire.

Toutefois, et malgré l’administration d’une prémédication et la réalisation d’une diazanalgésie, la chirurgie du cholestéatome ne peut être conseillée sous anesthésie locale que chez le sujet coopérant.

Le fraisage osseux prolongé est en effet souvent mal supporté.

De plus, la muqueuse de la caisse étant très inflammatoire, elle est volontiers douloureuse, au niveau notamment de l’orifice tubaire ; l’application locale de lidocaïne à 5 % permet toutefois de pallier assez aisément cet inconvénient.

On doit enfin insister sur le fait que dans toute la cophochirurgie effectuée sous anesthésie locale, l’administration concomitante d’adrénaline en l’absence de contreindication, soit par infiltration, soit par contact, est la règle car elle est essentielle pour réduire le saignement.

4- Otoplasties :

La chirurgie des oreilles décollées peut être réalisée sous anesthésie locale à l’aide d’infiltrations sus- et rétroauriculaires comme celles décrites.

Ce type de chirurgie est tout à fait réalisable à partir de 8 à 10 ans et chez les enfants coopérants.

Anesthésie locale et chirurgie nasale et nasosinusienne :

A – RAPPEL ANATOMIQUE :

L’innervation sensitive de la région nasosinusienne dépend des branches nasales du nerf ophtalmique de Willis (partie antérieure des fosses nasales et de la pyramide nasale) et des rameaux nasaux du nerf maxillaire V2, l’aile du nez étant innervée par le nerf infraorbitaire.

Le nerf ophtalmique de Willis se termine par le nerf nasal qui se divise en plusieurs branches : les nerfs ciliaires longs innervent l’oeil ; le nerf infratrochléaire (nasal externe) innerve les téguments du dorsum du nez et la commissure interne de l’oeil ; le nerf nasal interne (ethmoïdal antérieur) pénètre le conduit ethmoïdal antérieur, donne des filets pour la partie antérieure de l’ethmoïde, des rameaux naso-internes pour le septum, la paroi latérale de la cavité nasale et se termine en rameau nasolobaire pour l’os nasal, la pointe du nez et la région alaire.

Le nerf maxillaire sort du crâne par le foramen rond et pénètre dans l’arrière-fond de la fosse infratemporale.

Il se divise alors en plusieurs branches dont les racines ptérygopalatines qui, avec les fibres sympathiques et parasympathiques convergeant vers le ganglion ptérygopalatin, forment un complexe trigéminosympathique donnant plusieurs branches : nasales pour les parois latérales du nez (cornet inférieur, méats moyen et inférieur), nasopalatine pour la partie postérieure de la cloison et la partie antérieure de la voûte palatine.

La branche terminale, ou nerf infraorbitaire, sort par le foramen infraorbitaire et innerve la peau de la paupière inférieure, la joue, l’aile du nez, la lèvre supérieure.

B – TECHNIQUES D’ANESTHÉSIE LOCALE :

L’anesthésie du nez fait plus souvent appel à l’anesthésie locale par infiltration et/ou à un tamponnement car les blocs tronculaires sont de réalisation plus difficile et requièrent une bonne connaissance anatomique d’une région complexe où les territoires sensitifs des différents troncs nerveux se recouvrent.

Toutefois, l’anesthésie locale nécessite parfois de grandes quantités de produits anesthésiants exposant à des risques d’accidents toxiques en rapport avec la résorption systémique de ces agents dans cette région particulièrement vascularisée.

L’anesthésie tronculaire nécessite moins de produit, d’où un risque toxique inférieur et une moindre déformation des tissus.

1- Anesthésie topique muqueuse :

La cocaïne est très largement utilisée au niveau de la muqueuse nasale, en raison de ses propriétés anesthésiantes et vasoconstrictives.

Elle est préparée en solution à 4 %, 10 % et 33 % (la solution à 4 % est le plus couramment utilisée en France).

L’adjonction d’adrénaline améliore la réduction du saignement et réduit les phénomènes de toxicité (les taux plasmatiques sont inférieurs s’il y a eu adjonction d’adrénaline : 0,82 contre 0,11 mg à la 30e minute).

L’absorption de la cocaïne au niveau de la muqueuse nasale est importante, sans doute liée à sa grande liposolubilité.

Toutefois, si la cocaïne est administrée par tamponnement, seule une petite quantité est réellement absorbée.

Des concentrations élevées de l’ordre de 33 % ont montré leur efficacité avec un bon indice de sécurité.

L’efficacité de la cocaïne est comparable à celle de la lidocaïne 2 % avec oxymétazoline et à la tétracaïne.

2- Anesthésie locale par infiltration :

Elle a le mérite de la simplicité mais nécessite une quantité importante d’anesthésiques locaux ; ceux-ci déforment la région à opérer mais, en contrepartie, diminuent le saignement si le produit injecté est adrénaliné.

Elle comporte habituellement, pour effectuer une rhinoplastie, une injection externe latéronasale en « losange » avec un trajet souscutané à partir de la racine du nez jusqu’au niveau de l’angle nasofrontal et une autre à partir de l’épine nasale inférieure en direction du trou sous-orbitaire.

Ces deux trajets évitent la zone opératoire car la déformation induite par le produit pourrait gêner le geste chirurgical.

L’infiltration interne endonasale est d’abord latérale à partir du vestibule nasal muqueux en direction de la racine du nez puis au niveau de la cloison dans l’épaisseur de la muqueuse, en se dirigeant vers la partie inférieure du septum puis sous l’auvent nasal, enfin au niveau de l’épine nasale.

Le tout est complété par un méchage avec de la lidocaïne.

Au total, on ne doit pas dépasser 10 à 15 mL de lidocaïne à 1 % adrénalinée afin d’éviter le surdosage et les risques toxiques.

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